Miss Harriet

7.

Depuis cette heureuse découverte, les trois parents vivaientdans une union parfaite. Ils étaient d’humeur gale, égale et douce.Cachelin avait retrouvé toute son ancienne jovialité, et Coraaccablait de soins son mari. Lesable aussi semblait un autre homme,toujours content, et bon enfant comme jamais il ne l’avait été.

Maze venait moins souvent et semblait, à présent, mal à son aisedans la famille ; on le recevait toujours bien, avec plus defroideur cependant, car le bonheur est égoïste et se passe desétrangers.

Cachelin lui-même paraissait éprouver une certaine hostilitésecrète contre le beau commis qu’il avait, quelques mois plus tôt,introduit avec empressement dans le ménage. Ce fut lui qui annonçaà cet ami la grossesse de Coralie. Il la lui dit brusquement : «Vous savez, ma fille est enceinte ! »

Maze jouant la surprise, répliqua : « Ah bah ! vous devezêtre bien heureux. »

Cachelin répondit : « Parbleu ! » et remarqua que soncollègue, au contraire, ne paraissait point enchanté. Les hommesn’aiment guère voir en cet état, que ce soit ou non par leur faute,les femmes dont ils sont les fidèles.

Tous les dimanches, cependant, Maze continuait à dîner dans lamaison. Mais les soirées devenaient pénibles à passer ensemble,bien qu’aucun désaccord grave n’eût surgi ; et cet étrangeembarras grandissait de semaine en semaine. Un soir même, comme ilvenait de sortir, Cachelin déclara d’un air furieux : « En voilà unqui commence a m’embêter ! »

Et Lesable répondit : « Le fait est qu’il ne gagne pas à êtrebeaucoup connu. » Cora avait baissé les yeux. Elle ne donna pas sonavis. Elle semblait toujours gênée en face du grand Maze qui, deson côté, paraissait presque honteux près d’elle, ne la regardaitplus en souriant comme jadis, n’offrait plus de soirées au théâtre,et semblait porter, ainsi qu’un fardeau nécessaire, cette intimiténaguère si cordiale.

Mais un jeudi, à l’heure du dîner, quand son mari rentra dubureau, Cora lui baisa les favoris avec plus de câlinerie que decoutume, et elle lui murmura dans l’oreille :

« Tu vas peut-être me gronder ?

– Pourquoi ça ?

– C’est que… M. Maze est venu pour me voir tantôt. Et moi, commeje ne veux pas qu’on jase sur mon compte, je l’ai prié de ne jamaisse présenter quand tu ne serais pas là. Il a paru un peufroissé ! »

Lesable, surpris, demanda :

« Eh bien ! qu’est-ce qu’il a dit ?

– Oh ! il n’a pas dit grand-chose, seulement cela ne m’apas plu tout de même, et je l’ai prié alors de cesser complètementses visites. Tu sais bien que c’est papa et toi qui l’aviez amenéici, moi je n’y suis pour rien. Aussi, je craignais de temécontenter en lui fermant la porte. »

Une joie reconnaissante entrait dans le cœur de son mari :

« Tu as bien fait, très bien fait. Et même je t’en remercie.»

Elle reprit, pour bien établir la situation des deux hommes,qu’elle avait réglée d’avance : « Au bureau, tu feras semblant dene rien savoir, et tu lui parleras comme par le passé : seulementil ne viendra plus ici. »

Et Lesable, prenant avec tendresse sa femme dans ses bras, labécota longtemps sur les yeux et sur les joues. Il répétait : « Tues un ange !… tu es un ange ! » Et il sentait contre sonventre la bosse de l’enfant déjà fort.

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