Napoléon le petit de Victor Hugo

X

« Ce but fut-il atteint ?
« Oui.
« Immédiatement, dès le soir du 4 décembre, le bouillonnement public tomba. La stupeur glaça Paris. L’indignation qui élevait la voix devant le coup d’État se tut subitement devant le carnage. Ceci ne ressemblait plus à rien de l’histoire. On sentit qu’on avait affaire à quelqu’un d’inconnu.
« Crassus a écrasé les gladiateurs ; Hérode a égorgé les enfants ; Charles IX a exterminé les huguenots, Pierre de Russie les strélitz, Méhémet-Ali les mameluks, Mahmoud les janissaires ; Danton a massacré les prisonniers. Louis Bonaparte venait d’inventer un massacre nouveau, le massacre des passants.
« Ce massacre termina la lutte. Il y a des heures où ce qui devrait exaspérer les peuples, les consterne. La population de Paris sentit qu’elle avait le pied d’un bandit sur la gorge. Elle ne se débattit plus. Ce même soir, Mathieu (de la Drôme) entra dans le lieu où siégeait le comité de résistance et nous dit : « Nous ne sommes plus à Paris, nous ne sommes plus sous la République ; nous sommes à Naples et chez le roi Bomba. »
« À partir de ce moment, quels que fussent les efforts du comité, des représentants et de leurs courageux auxiliaires, il n’y eut plus, sur quelques points seulement, par exemple à cette barricade du Petit-Carreau où tomba si héroïquement Denis Dussoubs, le frère du représentant, qu’une résistance qui ressemblait moins à un combat qu’aux dernières convulsions du désespoir. Tout était fini.
« Le lendemain 5, les troupes victorieuses paradaient sur les boulevards. On vit un général montrer son sabre nu au peuple et crier : La République, la voilà !
« Ainsi un égorgement infâme, le massacre des passants, voilà ce que contenait, comme nécessité suprême, la « mesure » du 2 décembre. Pour l’entreprendre, il fallait être un traître ; pour la faire réussir, il fallait être un meurtrier.
« C’est par ce procédé que le coup d’État conquit la France et vainquit Paris. Oui, Paris ! On a besoin de se le répéter à soi-même, c’est à Paris que cela s’est passé !
« Grand Dieu ! les Baskirs sont entrés dans Paris la lance haute en chantant leur chant sauvage, Moscou avait été brûlé ; les prussiens sont entrés dans Paris, on avait pris Berlin ; les autrichiens sont entrés dans Paris, on avait bombardé Vienne ; les anglais sont entrés dans Paris, le camp de Boulogne avait menacé Londres ; ils sont arrivés à nos barrières, ces hommes de tous les peuples, tambours battants, clairons en tête, drapeaux déployés, sabres nus, canons roulants, mèches allumées, ivres, ennemis, vainqueurs, vengeurs, criant avec rage devant les dômes de Paris les noms de leurs capitales, Londres, Berlin, Vienne, Moscou ! Eh bien ! dès qu’ils ont mis le pied sur le seuil de cette ville, dès que le sabot de leurs chevaux a sonné sur le pavé de nos rues, autrichiens, anglais, prussiens, russes, tous, en pénétrant dans Paris, ont entrevu dans ces murs, dans ces édifices, dans ce peuple, quelque chose de prédestiné, de vénérable et d’auguste ; tous ont senti la sainte horreur de la ville sacrée ; tous ont compris qu’ils avaient là, devant eux, non la ville d’un peuple, mais la ville du genre humain ; tous ont baissé l’épée levée ! Oui, massacrer les Parisiens, traiter Paris en place prise d’assaut, mettre à sac un quartier de Paris, violer la seconde Ville Éternelle, assassiner la civilisation dans son sanctuaire, mitrailler les vieillards, les enfants et les femmes dans cette grande enceinte, foyer du monde, ce que Wellington avait défendu à ses montagnards demi-nus, ce que Schwartzenberg avait interdit à ses Croates, ce que Blücher n’avait pas permis à sa landwehr, ce que Platow n’avait pas osé faire faire par ses Cosaques, toi, tu l’as fait faire par des soldats français, misérable ! »

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