Scène VII
Père Ubu, Mère Ubu, Conseillers de finances
PÈRE UBU
Messieurs, la séance est ouverte et tâchez debien écouter et de vous tenir tranquilles. D’abord, nous allonsfaire le chapitre des finances, ensuite nous parlerons d’un petitsystème que j’ai imaginé pour faire venir le beau temps et conjurerla pluie.
UN CONSEILLER
Fort bien, monsieur Ubu.
MÈRE UBU
Quel sot homme.
PÈRE UBU
Madame de ma merdre, garde à vous, car je nesouffrirai pas vos sottises. Je vous disais donc, messieurs, queles finances vont passablement. Un nombre considérable de chiens àbas de laine se répand chaque matin dans les rues et les salopinsfont merveille. De tous côtés on ne voit que des maisons brûlées etdes gens pliant sous le poids de nos phynances.
LE CONSEILLER
Et les nouveaux impôts, monsieur Ubu, vont-ilsbien ?
MÈRE UBU
Point du tout. L’impôt sur les mariages n’aencore produit que 11 sous, et encore le Père Ubu poursuit lesgens partout pour les forcer à se marier.
PÈRE UBU
Sabre à finances, corne de ma gidouille,madame la financière, j’ai des oneilles pour parler et vous unebouche pour m’entendre. (Éclats de rire.) Ouplutôt non ! Vous me faites tromper et vous êtes cause que jesuis bête ! Mais, corne d’Ubu ! (Un Messagerentre.) Allons, bon, qu’a-t-il encore celui-là ? Va-t’en,sagouin, ou je te poche avec décollation et torsion des jambes.
MÈRE UBU
Ah ! le voilà dehors, mais il y a unelettre.
PÈRE UBU
Lis-la. Je crois que je perds l’esprit ou queje ne sais pas lire. Dépêche-toi, bouffresque, ce doit être deBordure.
MÈRE UBU
Tout justement. Il dit que le czar l’aaccueilli très bien, qu’il va envahir tes États pour rétablirBougrelas et que toi tu seras tué.
PÈRE UBU
Ho ! ho ! J’ai peur ! J’aipeur ! Ha ! je pense mourir. O pauvre homme que je suis.Que devenir, grand Dieu ? Ce méchant homme va me tuer. SaintAntoine et tous les saints, protégez-moi, je vous donnerai de laphynance et je brûlerai des cierges pour vous. Seigneur, quedevenir ?
MÈRE UBU
Il n’y a qu’un parti à prendre, Père Ubu.
PÈRE UBU
Lequel, mon amour ?
MÈRE UBU
La guerre ! !
TOUS
Vive Dieu ! Voilà qui estnoble !
PÈRE UBU
Oui, et je recevrai encore des coups.
PREMIER CONSEILLER
Courons, courons organiser l’armée.
DEUXIÈME
Et réunir les vivres.
TROISIÈME
Et préparer l’artillerie et lesforteresses.
QUATRIÈME
Et prendre l’argent pour les troupes.
PÈRE UBU
Ah ! non, par exemple ! Je vais tetuer, toi, je ne veux pas donner d’argent. En voilà d’uneautre ! J’étais payé pour faire la guerre et maintenant ilfaut la faire à mes dépens. Non, de par ma chandelle verte, faisonsla guerre, puisque vous en êtes enragés, mais ne déboursons pas unsou.
Vive la guerre !