Un mariage polaire – Au Pôle Nord, chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 14

Chapitre 9LES BONS ANGLAIS !

 

On doit bien penser que ce n’est pas la finefleur des gens selects qui consent à s’en aller diriger desforts-factoreries, situés à des quatre, cinq ou six cents lieuesdans d’immenses solitudes où un gentleman n’a de conversationqu’avec quelques commis plus ou moins grossiers ; destrappeurs ignorants les belles manières et des sauvages.

À moins d’un tempérament spécial, ça n’a riende gai.

Messieurs les directeurs, surtout ceux du trèshaut Canada, sont des personnages plus ou moins tarés qui s’exilentlà-bas, faute de mieux.

Ce sont gens que leurs vices, surtoutl’ivrognerie, ont empêché de réussir.

C’est connu.

Il y a des exceptions. Mais pas beaucoup.

Ces bons directeurs partent avec larecommandation suivante :

– Arrangez-vous comme vous voudrez ; lefort doit rendre tant.

Et l’on comprend que ce soit làcommercialement le bon système.

Point de déboires.

Les actionnaires sont sûrs, à l’avance, deleurs dividendes.

Mais si l’inspecteur qui passe tous les ans,en été, avec le vapeur de ravitaillement, s’aperçoit que le fortpeut rendre davantage, il le taxe d’autant plus haut.

Si réellement l’année a été mauvaise, ildétaxe un peu.

Au milieu de ces fluctuations, le directeurn’en fait pas moins son beurre.

Les commis font aussi le leur.

Le directeur tolère.

Il faut bien qu’il ferme les yeux, pour queles langues des inférieurs ne se délient pas.

Tel est le système.

Excellent, très pratique pour la compagnie,détestable pour les Indiens et les trappeurs.

Ces malheureux boivent l’infâme eau-de-vie depommes de terre et de tafia que leur vend la compagnie, alcoolsfrelatés.

Il y a entre le rhum et le tafia la mêmedifférence qu’entre l’eau-de-vie de vin et l’eau-de-vie demarc.

Le rhum se fait avec le jus même de la canne àsucre pressée.

Le tafia se fait avec les marcs.

Il est plein de principes neufs, car il n’estpas rectifié.

Il a promptement raison des Peaux-Rouges quirésistent moins que les nègres, moins que les blancs, moinsqu’aucune race.

Et quand on reproche aux Anglais cesassassinats par le tafia, ils répondent :

– Que voulez-vous ?

» Une loi divine, souvent vérifiée,prouve que dès qu’ils sont en face des civilisés, les sauvagesfondent et disparaissent.

» Que ce soit d’une façon ou d’une autre,il faut que ça arrive.

» Ce serait une révolte impie contre lesvolontés de Dieu, d’essayer d’entraver la déchéance fatale etl’annihilation des races inférieures.

Tas d’hypocrites !

Inventer cette prétendue loi !

Oui, partout où les Anglo-Saxons s’installent,les sauvages disparaissent.

Ils y travaillent le plus sournoisement, maisle plus efficacement du monde.

Mais les républiques américaines, du Mexique,du Brésil, toutes celles de l’Équateur et du sud ont civilisé larace des sauvages, créé la race des métis, conféré à tous lesdroits civiques.

Et ces républiques prospèrent tout en sauvantles indiens qui deviennent pour elles un élément de force et degrande natalité.

Ainsi donc la prétendue loi divinequ’invoquent les Anglais n’existe pas.

La vérité est qu’ils ne veulent pas civiliserles sauvages.

Ils disent en riant :

– Un sauvage tient la place de cent Anglais etce n’est pas raisonnable.

Ils font par là allusion à l’énorme espacequ’il faut aux peuples chasseurs pour vivre.

Mais les Peaux-Rouges américains desÉtats-Unis du sud s’étaient faits cultivateurs et réussissaientadmirablement.

Qu’ont fait les Anglo-Saxonsaméricains ?

Ils ont dépossédé ces Indiens de leursdéfrichements et les ont déportés en masse.

Ils ont, du reste, une manière à euxd’exterminer une tribu gênante.

Ils arment un petit vapeur, le chargent demarchandises et l’envoient trafiquer avec la malheureuse tribucondamnée dont on convoite le territoire ; tout l’équipage duvapeur est vacciné : parmi les marchandises, il y a desvêtements de varioleux qui répandent le virus partout etcontaminent tout ce qu’achètent les Indiens.

Ils crèvent en masse.

C’est ainsi qui dix mille Dacotas, trentemille Sioux, cinq mille Iroquois ont été anéantis.

C’est pourquoi des écrivains ont pu dire quela Providence avait suscité la guerre de sécession pour punir lesÉtats-unis de leurs crimes contre les Indiens.

Les agents tes plus impitoyables, les plusféroces de cette destruction sont les directeurs desforts-factoreries.

Ceux-ci, du reste, toujours ivres, se tuentrapidement par l’alcoolisme.

Tels sont messieurs les directeurs des forts,belles et généreuses natures, on le voit.

LE COMPLOT

Or, le fort Peel-River avait pris un air defête.

Les Indiens des villages voisins avaientendossé leurs manteaux de cérémonie ; ils étaient prêts àmonter à cheval.

Le directeur et les commis étaientendimanchés, les trappeurs présents avaient leurs blouses derechange neuve sur le dos.

Un cavalier indien accourut et cria sur sonpassage :

« Ceux du fort Lapierre ! »

Aussitôt les Indiens montèrent à cheval et serangèrent en bataille sur un rang devant la porte du fort.

Un cops indien à cheval, présente un coupd’œil pittoresque.

Coiffés de plumes, les guerriers ont le fusilen bandoulière, le bouclier au bras gauche, la lance en maindroite.

Le tomahawk, pend à la selle du cheval et lelasso enroulé y est accroché.

La race est superbe, vraiment guerrière,d’aspect imposant.

Les exercices de corps continuels, la vie enplein air, des chasses de jour et de nuit, des alternatives desaisons absolument froides, extrêmement chaudes, forment des hommesmagnifiques, malheureusement dégradés par l’ivrognerie.

À cheval, des centaures.

À pied, drapés dans leurs manteaux d’apparat,chapes du cuir ornées de dessins d’un coloris très vif, les Indienssont majestueux.

« Ce peuple, dit Cottin, est d’unedignité vraiment imposante. »

Les deux cents Indiens du fort, immobiles surleurs chevaux, attendaient.

Bientôt, au loin, retentit un long coup desifflet, modulé d’une certaine façon.

Les Indiens saisirent des tibias de daim,transformés en sifflets ; ils répondirent à la troupe quis’annonçait.

Puis il se fit un silence.

Mais des éclaireurs parurent, montant à lafile indienne.

Derrière eux des gentlemen à cheval.

M. le directeur de Fort-Remparts, connudes Indiens et des trappeurs sous le nom caractéristique del’Ours-Blanc, M. le directeur et six de ses commisarrivaient.

Sept trappeurs à cheval l’escortaient avec unetroupe de quinze Indiens.

En tête de ceux-ci, un sachem.

C’est un jeune homme.

Il porte à son manteau des queues de renard etil s’appelle le Subtil-Renard.

Tête fine et cruelle.

C’est un renard qui tient du chat.

Les Indiens se saluent gravement, aussi lestrappeurs des deux troupes.

Aussi les commis avec des airs gourmés de genstrès comme il faut.

Aussi les deux directeurs.

Nilson a une tête de belette des pluscaractéristiques.

Bête puante !

On sait que tous les animaux du genre beletteont une odeur.

D’où leur nom en vénerie.

Bêtes puantes !

En somme, à part l’alcool et ses relents,Nilson ne sentait pas plus mauvais que tout autre ivrogne se tenantmal.

Mais sa ressemblance avec les bêtes puanteslui valait son surnom.

L’Ours-Blanc était un homme colossal, taillécomme à coups de hache.

Ours d’aspect !

Ours de manières !

Ours de tempérament !

Très fort, malgré une vieillesse prématurée setrahissant par des cheveux longs tout blancs, une barbe longuetoute blanche (il n’avait que quarante-huit ans), master Williamsonétait encore extrêmement solide.

Il assommait un buffle d’un seul coup depoing.

Brutal, oh ! certes.

Mais il avait le petit œil fin, rusé,pénétrant de l’ours.

Les deux directeurs se serrèrent la main.

Nilson :

– Merci d’être venu.

Williamson :

– Affaire grave, m’avez-vous fait savoir.

– Très grave.

– Il s’agit, je suppose, des gens qui montentun établissement près de l’embouchure du fleuve.

– Oui !

» Je leur ai fait savoir que la Compagnieavait le monopole de l’exploitation de tous ces territoires et lechef de l’établissement a fait une très insolente réponse àM. Griffiths, mon premier commis, lui disant qu’il avaitacheté le terrain au gouvernement et qu’il le défendrait envers etcontre tous.

» Que le titre de vente portait« pour construire un hôtel » et qu’il leconstruirait.

L’Ours-Gris fronça ses gros sourcils et ditd’une voix éraillée :

– Nous verrons bien !

Mais on annonçait deux autres troupes.

C’étaient les escortes du fort Lapierre et dufort Garik’s.

Même entrevue.

Même échange de paroles, presque mot pour mot,puis entrée au fort.

Un repas était préparé.

Aux Indiens, hors du fort.

Aux blancs, dans le fort.

Repas confortable.

Coquillages. Saumons du fleuve.

Pommes de terre flanquant la sauce dupoisson.

Pâté énorme de gibier de poil et de plume trèsvarié.

Épaules et gigots de daims à l’étuvée et auxcarottes.

Cygnaux rôtis avec haricots secs assaisonnésau jus de ces magnifiques oiseaux.

Salades aux pommes, aux pommes de terre et auxharengs saurs.

Tartes aux confitures et à la rhubarbe.Bières.

Café et liqueurs.

Beaucoup d’entrain grossier.

Le repas terminé, les directeurss’assemblèrent.

Grogs corsés !

Puis causerie sérieuse sur l’établissement del’hôtel.

Conclusion :

« Rien de plus gênant que cet hôtel etque les touristes.

« Ils se mêleront de ce qui ne lesregarde pas et mettront le nez dans les affaires desforts-factoreries.

« . Ils feront des tartines dans lesjournaux et il y aura des meetings d’indignation.

« Donc… pas d’hôtel… »

Par les moyens ?

Oh ! très simples.

Ultimatum envoyé par les sachems indiens, et,si l’ultimatum est rejeté, massacre général et sans pitié.

Les trappeurs ne se mêleront de rien.

Pas de blancs dans l’affaire.

D’autant plus que, pensaient les directeurs,on aurait obtenu difficilement le concours des trappeurs, qu’ilvalait mieux ne pas mêler à la chose.

Il ne restait qu’à s’entendre avec lessachems, ce qui ne pouvait être long.

Du rhum d’abord. De la poudre.

Des carabines aux chefs.

Des fusils pour les jeunes guerriers. L’appâtdu pillage.

Puis, beaucoup de rhum après l’affaire.

Combien de guerriers ?

Deux mille !

Voilà les forces qui allaient tomber sur lapetite troupe de M : d’Ussonville.

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