Un mariage polaire – Au Pôle Nord, chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 14

Chapitre 10L’ATTAQUE

 

L’hôtel en fer était terminé.

On s’était hâté.

Langue-de-Fer et Francœur ont tellementinsisté que M. d’Ussonville a acquis la quasi-certitude queles Indiens, sur l’instigation des directeurs de factoreries,attaqueront.

Mais, en homme de précaution, il a toujours eucette idée qu’il devait mettre ses hôtels à l’abri de toutassaut.

Aussi les a-t-il munis de trois blockhaus entôle de fer, formant saillies et disposés en triangle ; unemitrailleuse balayant tout l’espace entre elle et sa voisine.

Il pouvait, sur chaque face du triangle, fairetirer trois cents coups à la minute.

Œil-de-Lynx était parti à la découverte ;il revint annonçant, qu’à n’en point douter, il se faisait despréparatifs dans les tribus.

Et les deux trappeurs ne voyant d’Ussonvillefaire aucun préparatif, se montrèrent très inquiets de soninsouciance.

Et Langue-de-Fer de dire :

– Mais, mon commandant, ils vont venir enforce donner l’assaut.

– Nous les recevrons.

– Mais ils sont si nombreux !

– Seraient-ils trente mille.

– Vous comptez sur les petits canons qui sontdans les blockhaus ?

– Oui.

– Vous avez tort.

– Non.

– Je n’ai jamais vu jouer ces pièces-là, maisenfin ce n’est qu’un canon de fusil.

D’Ussonville avait souri.

– Mon ami, avait-il dit, quelque jour jevoudrai apprendre à trapper.

» Je vous prierai de m’emmener avecvous.

» Or, que diriez-vous si je voulais ensavoir plus que vous.

» Je n’ai jamais trappé.

» Vous n’avez jamais mitraillé.

» Croyez-moi, dormez en paix etlaissez-moi faire.

Langue-de-Fer s’était tu.

Avec Drivau, il avait été moins heureux, carle capitaine l’avait blagué.

Encore moins avec Castarel qui lui avait ditdes énormités.

Aussi en causait-il assez tristement avec sonami Francœur.

– Je vois, disait-il, que nous avons eu tortde nous engager dans cette affaire.

» Ces gens-là ne connaissent pas lesIndiens et ils se laisseront surprendre.

En quoi les braves trappeurs se trompaient,car toutes les nuits, il y avait dans chaque blockhaus, unesentinelle relevée d’heure en heure et munie d’une lorgnette marinede nuit.

On connaît la propriété de ce merveilleuxinstrument d’optique.

Par une nuit sombre, on y voit presque commeen plein jour.

Or, une nuit, voilà que tout à coup lestrappeurs entendirent sonner la cloche qui annonçait d’ordinaireles repas.

Dans les couloirs, retentissait lecri :

– Aux armes !

Des voix d’officiers criaient :

– Chacun à son poste.

Or, le commandant avait précédemment désignéaux deux trappeurs et à Œil-de-Lynx, comme place de combat, uneespèce de tourelle qui couronnait le toit de l’hôtel.

Ils y grimpèrent.

D’Ussonville les y rejoignit. On n’y voyaitpas.

TEMPS BOUCHÉ

– Diable ! disait Langue-de-Fer.

» Nuit sans lune !

» Brouillard !

» Sale temps !

D’Ussonville braqua sa longue vue et ne ditmot.

Francœur qui flânait au vent, se mit àdire :

– Mais, commandant, ils sont tout près, toutprès de nous.

» Ça pue l’Indien.

– Un vrai boucan, dit Langue-de-Fer.

Œil-de-Lynx dit à son tour :

– Je les vois.

Ils touchent aux murs.

– Je les vois aussi, dit d’Ussonville.

En ce moment, les Indiens poussèrent deshurlements effrayants et s’élancèrent à coups de tomahawk.

Ils attaquèrent les portes quirésistèrent.

Mais des lampes au magnésium s’allument etéclairent le théâtre du combat.

D’Ussonville, avec son porte-voix,ordonna :

– Feu de mitrailleuses !

Alors les trappeurs entendirent lescraquements sinistres.

En moins de deux minutes, sur toutes lesfaces, tout fut balayé.

Mais, pivotant sur l’affût, les instruments demort tirèrent encore pendant quelques minutes, poursuivant de leursmeurtrières décharges l’ennemi en fuite.

Enfin d’Ussonville fit cesser le feu.

Les lampes projetaient leurs rayonnementsblancs sur une scène de carnage épouvantable ; il y avait plusde douze cents morts ou mourants autour de l’hôtel.

D’Ussonville aux trappeurs :

– Qu’en pensez-vous ?

– Oh ! commandant, quelles armes, cespetits canons de rien du tout.

D’Ussonville dit à Œil-de-Lynx en lui tendantson porte-voix :

– Crie à ceux qui ne sont que blessés que jeleur fais grâce.

Le Sioux était étonné.

Jamais on ne fait quartier, quand on combatdes indiens qui, eux, sont sans pitié.

Les trappeurs furent frappés du silencemilitaire qui régnait dans l’hôtel, signe d’une grandediscipline.

Pas un mot.

Pas un bruit.

D’Ussonville lança différents ordres et lesportes s’ouvrirent.

Mais les blockhaus restèrent occupés, lesmitrailleuses braquées.

Le personnel s’occupa de transporter lesblessés sous les huttes dont nous avons parlé et qui servaientd’ateliers, de hangars, de magasins, avant la construction del’hôtel.

Le chirurgien des bâtiments et les deuxmédecins qui suivaient l’expédition eurent vraiment beaucoup àfaire.

Deux cent vingt blessés !

Soixante amputations à faire !

Les Peaux-Rouges étaient stupéfaits qu’on leurdonnât des soins.

Dès qu’il fit jour, d’Ussonville envoyaŒil-de-Lynx en parlementaire.

Le parlementaire attache à sa lance une flammeblanche.

Il est toujours respecté.

Le Sioux annonça aux Indiens :

1° Que les directeurs des forts qui lesavaient lancés contre l’hôtel étant les vrais coupables, lui,d’Ussonville, n’en voulait plus qu’à eux, se contentant de la leçondonnée.

Il n’avait fait tirer que lesmitrailleuses ; si les fusils avaient fait feu, il n’y auraitpas trente guerriers qui auraient échappé au massacre.

2° Les blessés étaient soignés et seraientrendus après guérison.

3° Il fallait venir enterrer les morts.

Et dédaigneusement :

– Vous pouvez emporter vos armes, lecommandant n’a pas peur de vous.

Les Indiens étaient consternés.

Ils assemblèrent aussitôt un conseil desachems et de guerriers.

Ici une parenthèse.

Un sachem est chef d’une tribu ou d’unedivision de tribu.

Un guerrier est un homme qui s’est distingué àla guerre et à la chasse.

Autour de lui se groupent un certain nombred’hommes.

Il les commande.

Il les appelle « ses jeunesgens ».

Ces derniers ne sont jamais appelés auconseil ; les guerriers les représentent.

Le calumet fut allumé, passé de main en mainaprès aspiration, puis la parole fut donnée à Œil-de-Lynx.

Les sauvages ne sont nullement embarrasséspour prendre la parole en public ; ils naissent avec le don del’éloquence.

Œil-de-Lynx répéta les trois propositions déjàfaites ; il les appuya.

Le plus âgé des sachems lui dit :

– Nous avons attaqué les blancs.

» Nous avions raison et nous avionstort.

» Le territoire était à nos ancêtres.

» La Compagnie prétend qu’il est à elleet que la grande squaws anglaise (la reine) le lui a donné ;enfin, une convention a été faite entre la Compagnie et nous ;le territoire lui appartient, mais il nous appartient aussi ;personne que nous ou les trappeurs de la Compagnie ne peut ychasser et s’y établir.

» Voilà pour que la raison soit de notrecôté et elle y est.

» Où nous avons eu tort, c’est de ne pasrefuser de marcher, si les trappeurs et les directeurs nemarchaient pas avec nous.

» Car ce n’est pas à nous que cetétablissement peut faire du tort.

» C’est aux forts.

L’assemblée approuva.

Le Sioux reprit la parole.

– Il faut, dit-il, que mon frère sache qu’ilse trompe sur un point, parce qu’il a été trompé par laCompagnie.

» Les directeurs sont les menteurs.

» Les Anglais se sont emparés du Canada,c’est comme si vous vous empariez du territoire d’une tribu voisinepar la force des armes.

» Or, ils n’ont accordé à la Compagnieque le droit de trafiquer seule les pelleteries et de vendre enéchange ce dont les chasseurs ont besoin.

» Les seuls terrains que la Compagniepossède sont ceux où les forts sont bâtis.

– Est-il vrai ?

La question fut posée tout d’une voix.

Le Sioux reprit :

– Avant peu, les directeurs seront obligés dele reconnaître devant vous.

» Un envoyé du gouvernement et de laCompagnie réglera pour le bien des Indiens et des trappeurs toutesles questions.

» Il réprimera les abus.

Avec animation :

– Ces abus, mes frères, ils ont poussé commeles arbres d’une forêt.

» Mais le Grand-Esprit a suscité unbûcheron, armé d’une cognée puissante qui va abattre les arbres dela forêt des abus.

» Vous les verrez à l’œuvre !

– Och ! och ! s’écrièrent lessachems joyeusement en levant la main droite.

» Honneur à ce bûcheron.

Le Sioux reprit :

– Suivez-moi donc.

» Vous verrez vos blessés.

» Vous emporterez ceux qui ont succombéet vous leur ferez des funérailles.

» Vous n’aurez pas la honte qu’ils soientscalpés, puis abandonnés aux coyotes (hyènes), aux renards, auxloups et aux vautours.

L’assemblée approuva.

Le grand sachem remercia le Sioux au nom detous.

Il leva la séance et ordonna le départimmédiat.

Toute la tribu se mit en marche.

Hors de l’hôtel, personne.

Les blessés dirent à leurs parents merveilledes soins qu’ils recevaient.

Rassurée sur leur compte, elle députa songrand sachem et le grand sorcier vers le chef blanc pour leremercier.

Après une cordiale réception, ils revinrentavec de beaux présents, ayant fumé le calumet de la paix avec leCommandant.

Les morts furent enlevés et emportés dans lescampements.

La terrible leçon s’imprima fortement dansl’âme des Indiens à deux cents lieues à la ronde et certainementils ne l’oublieront jamais.

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