Chapitre 13ENFIN !
Mistress Morton vit arriver sa niècesouriante.
– Ma tante !
– Ma chère enfant ?
– Avez-vous des préjugés ?
– Quels préjugés ?
– Des préjugés de race.
– Hum ! Hum !
– Croyez-vous, par exemple, que le négus nevaut pas n’importe quel Européen ?
– Assurément.
– Moi, Française, je n’ai aucune répulsionpour les nègres.
» Mais vous ?
– Il y a nègres et nègres.
– Sans doute.
» C’est donc une questiond’individus.
– Mais… oui…
– Je suis sûre que si un ras ou un djezzazabyssinien, bien de sa personne, vous avait demandé votre main,quand nous étions à la cour du négus, vous la lui auriezaccordée.
Minaudant :
– S’il m’avait plu…
Mlle de Pelhouer :
– Ma tante…
– Eh quoi, ma nièce…
– À votre âge…
– Mais suis-je si vieille ?
– Hum !
» Cinquante ans bien sonnés !
– Oh ! trente-huit au plus.
– Allons donc.
» Pourquoi me mentir à moi.
Mistress Morton d’un air vexé :
– Enfin où voulez-vous en venir ?
– À ceci :
» Vous venez de dire à propos d’unprétendant tout à fait hypothétique :
« S’il m’avait plu ! »
» Ceci me parait excessif commeprétention.
» S’il m’avait plu !
» Ma tante ne vous montrez pas tropdifficile.
Brusquement :
– Que pensez-vous des Indiens ?
» Beaux guerriers !
» Un sachem, c’est quelqu’un.
– Et si l’indien avait été policé par lafréquentation des blancs ?
Toute pâle :
– Ma chère enfant… S’agirait-il deM. Œil-de-Lynx.
» Il m’a semblé…
– Ma tante… il vous aime…
Mistress Morton :
– Je m’en doutais…
Il me regardait avec des yeux, des yeux…terribles.
– Eh bien, qu’en dites-vous ?
– C’est à voir…
– Ma tante, avant de rien compromettre, jeveux une réponse nette.
Faisant sa vieille coquette :
– Ça demande pourtant réflexion.
– Prenez garde !
» À trop réfléchir, l’occasionéchappe.
– Mais toi…
» Qu’en penses-tu ?
– Moi…
» Je crois que M. Œil-de-Lynx bienstylé, habillé à l’européenne, très digne de manières et demaintien, sera un oncle très sortable.
– Tu crois ?
» Tu me décides.
» Mais oui.
– Alors, ma tante, je vais faire donner à cegentleman indien, l’autorisation de vous faire sa cour ?
– Oui… puisqu’il le faut…
– Ne prenez donc pas, des airs de colombesacrifiée.
» Vous êtes enchantée.
Et, légère, presque aérienne comme toujours,elle alla raconter la nouvelle à Mme Castarel, àMme Santarelli, aux deux Taki.
Elles en rirent beaucoup.
Un mariage pour inaugurer l’hôtel polaire,c’était amusant.
Et d’Ussonville fit appeler sa nièce.
– Est-ce vrai ?
» Mistress Morton épouseŒil-de-Lynx ?
– Oui, mon oncle.
– Et vous avez fait le mariage ?
– Non, mon oncle.
» Il s’est fait tout seul.
» Triomphe de l’art !
– Quel art ?
– La peinture.
Elle conta les détails.
D’Ussonville, homme très sérieux, ne puts’empêcher de rire.
C’était si drôle, une vieille anglaiseémaillée enflammant ce cœur de Sioux.