Chapitre 6LES MACHINES… À POUDRE
Langue-de-Fer demanda au capitaine :
– Comment avez-vous pu arriver par eaujusqu’ici ?
» La mer n’est pas encore libre.
– Mais la glace est déjà pourrie.
» Or, nous avons un navire brise-glaced’une grande puissance.
– Un vapeur ?
– Non.
– Mais un voilier est impuissant comme briseurde glace.
– L’hélice de notre navire est mue parl’électricité qui, elle-même, est engendrée par une machine mue parla poudre.
– Ça marche ?
– Oui !
– Mais c’est une belle invention.
– Un grand impossible réalisé.
– Mais alors…
– Alors quoi…
– Vous êtes des grands hommes !
– Nous, non.
» Moi je suis un Parisien blagueur,Castarel un Marseillais farceur.
» Santarelli est un Corse très sérieuxqui ne rit pas, mais qui est un excellent camarade et qui est lemeilleur garçon du monde ; mais il ne plaisante pas sur lepoint d’honneur.
» Au cours de nos voyages, il s’est mariéavec une princesse abyssinienne.
» Castarel a épousé une jeune fille néed’une Abyssinienne et d’un Français, mécanicien du Madhi deKarthoum et devenu le nôtre.
» Un très brave homme, notre mécanicien,et très habile.
» Nous avons encore un médecin très fort,un ingénieur, les capitaines de nos navires, car outre leBrise-Glace, nous avons un clipper, le plus rapide desbâtiments qui sillonnent les mers ; il rend quarante-troisnœuds à l’heure, plus de, soixante-dix-sept kilomètres !
– Un train rapide, alors ?
– Oui.
– Et… à poudre ?…
– À poudre.
– Mais le danger…
» Si l’on sautait ?
– Impossible.
– Pourquoi ?
– Par suite d’une idée du commandant qui s’estdit :
» Qu’est-ce que la poudre ?
» Du charbon pulvérisé.
» Du soufre.
» Du salpêtre.
» Mais ce n’est de la poudre que quandles trois substances sont réunies.
» Or, on ne mêlera que charge par charge,à la seconde où il faudra s’en servir.
» Donc les trois substances descendentséparément par trois tuyaux dans l’accumulateur où un volant lesmêle.
» La charge de poudre ainsi fabriquéetombe sur l’inflammateur.
» Les gaz produits agissent sur lespistons.
» C’est très simple.
– Et on n’y avait pas pensé ?
» On ne pense pas à tout.
Œil-de-Lynx, qui écoutait sans mot dire,secoua la tête, prit le bras de Drivau et lui dit lentement, dansun jargon assez clair quoique incorrect :
– Vous allez faire ici un établissement, sij’ai bien compris ?
– Oui.
– Alors, préparez-vous à la guerre.
– Pourquoi ?
– Les directeurs vous feront fairecombat par leurs Indiens.
Et les deux trappeurs d’approuver :
– Il a raison !
» Oui, cent fois raison.
» Ils ne supportent personne autour d’euxet ne veulent pas qu’il y ait des témoins de leur tyrannie et deleurs vols.
» Les Indiens vous enverront unparlementaire avec un drapeau blanc, comme ils ont fait quandJoseph Pasquier a voulu établir une fonderie de graisse de phoquesur le fleuve ; le parlementaire vous dira que le territoireappartient aux Indiens, que vous n’avez pas le droit de vous yétablir, que les sachems ne vous accorderont jamais ce droit.
» Et il vous sommera de déguerpir.
» Si vous ne voulez pas, vous verrezaccourir un millier de guerriers indiens.
» Soutenus par les directeurs, ils necraindront pas de vous attaquer.
– Nous leur répondrons.
– Combien êtes-vous ?
– Une centaine de fusils en comptant nosEsquimaux qui commencent à bien tirer.
– Vous serez écrasés.
Drivau se contenta de sourire.
On arrivait au camp.
Le capitaine présenta les trappeurs et leSioux à M. d’Ussonville.
Celui-ci prêta peu d’importance aux craintesd’attaque.
Mais il demanda :
– Dans les meilleures années, que gagnez-vousà trapper ?
– L’année dernière, tout décompte fait denotre compte de dépenses au fort, nous avons touché chacunvingt-deux livres sterling et quelques schillings.
– C’est bien !
» Je vous engage.
– Mais, commandant…
– Je vous donne à chacun centlivres !
– Mais…
– Drivau va vous compter immédiatement vingtlivres à chacun.
» C’est un cadeau.
– Qu’est-ce que nous ferons ?
– Vous serez les chasseurs de l’hôtel et voustuerez du gibier, vous ferez la chasse aux morses et la pêche auxtruites.
» Ça vous va-t-il ?
– Oui, commandant.
– On va vous donner une tente et vous vousconstruirez une hutte !
» Allez.
Jamais trappeur n’aurait rêvé un pareilengagement.