Un mariage polaire – Au Pôle Nord, chez les esquimaux – Voyages, explorations, aventures – Volume 14

Chapitre 12UN MARI

 

– Monsieur Francœur !

– Mademoiselle de Pelhouër ?

– C’est donc bien terrible un oursgrizzly ?

» On m’a dit que ça valait un lion ou untigre.

– Mademoiselle, dans la vie, on est toujoursdans le vrai des choses, quand, ayant affaire à des braves gens, onest franc.

– Je pense comme vous.

– Mademoiselle, je dois vous dire alors que jene sais pas du tout, comment se comportent les tigres et leslions.

» Je n’en ai jamais tué, moi.

– Et des jaguars ?

Francœur sourit.

– Des jaguars ?

» Une trentaine !

– Dangereux ?

– Oui et non.

» Tout se résume en ceci.

» Voit-on la bête ?

» Ne la voit-on pas ?

» Si vous la voyez, si vous tirez bien,vous visez au défaut de l’épaule.

» Dam !

» La bête, avant le cuir traversé, vitencore et bondit.

» Mais si vous avez du sang-froid, vousla tirez avant le dernier bond.

» Une balle presque à bout portant, dansla tête.

» Elle tombe.

– Mais si vous la tirez, du premier coup, dansl’œil.

Nouveau sourire.

– Parbleu, dans l’œil, elle a la cervelletraversée.

» Morte sur le coup !

– Mais si la bête est à trente pas ?

Sourire de la jeune fille.

Silence de trois secondes.

Réflexions :

– Mademoiselle ?

– Monsieur Francœur ?

– À trente pas ?

– Eh bien ?

– Vous seriez bien sûre de crever l’œil à unepanthère ?

– À cent pas !

– Oh !

– Sachez. Monsieur Francœur, que je vois detrès loin.

– Mais un œil !

» C’est petit.

» À cent pas !

– Je le vois.

Francœur lit un tas de réflexions, puis il semit à dire :

– Sûr que je ne voudrais pas vous exposer poursatisfaire ma curiosité.

» Mais si l’occasion se présentait d’unepanthère à deux cents mètres…

– Vous, voudriez voir ça ?

– Oui, mademoiselle.

» D’autant plus que je serais là avecLangue-de-Fer et le Sioux.

Vous pensez bien que si la panthère[1], je veux dire le jaguar était manqué,nous lui ferions son affaire.

À cent mètres, on a le temps de lui envoyersix balles.

Nouveau sourire de la jeune fille.

– Monsieur Francœur ?

– Mademoiselle ?

– L’occasion ?

– L’occasion de la panthère ?

– Oui.

– Ça peut venir.

– Surtout si on la fait naître.

– Vous voulez dire si on la cherche.

– Oui.

» Ça trace comme les autres, ces bêteslà.

– Assurément.

– Alors il faut m’en trouver une.

– Oh !

– Puisque vous doutez qu’à cent pas, je peuxlui crever un œil !

– Je doute ! Je doute !

» Pas tout à fait !

» Mais pour croire, il faudraitvoir !

» Et le commandant ?

– Mon oncle ?

– Qu’est-ce qu’il dirait ?

Elle se mit à rire.

– Qu’est-ce qu’il a dit, quand j’ai tué deslions et des éléphants ?

– Je ne sais pas.

– Il a dit : Très bien !

» Du reste, pourquoi est-il mononcle ?

» Car je ne suis pas sa nièce.

– Ah !

– Non !

» C’est un oncle que j’ai adopté.

– Je ne savais pas.

– Je voulais voir le monde.

» Je voulais avoir des aventures.

» Je ne pouvais pas réaliser mon désirtoute seule et j’étais trop jeune pour me marier avec un aventurierde profession.

» J’ai rencontréM. d’Ussonville.

» Alors je l’ai pris pour mon oncle.

– Et mistress Morton ?

– Ma vraie tante.

– Il y a un homme qu’elle rend bienmalheureux, sans s’en douter.

Et de rire.

– Mais qui donc ?

– Œil-de-Lynx.

– Pourquoi donc ?

– Mademoiselle, vous savez que les Indiens sepeignent ?

– Avec le plus grand soin.

– Ils sont fous de peinture.

– J’ai remarqué ça.

Francœur se gratta l’oreille.

Silence prolongé.

Enfin Francœur dit avec embarras :

– Mademoiselle ?

– Monsieur Francœur, un reproche.

» Vous n’êtes pas franc.

» Vous avez quelque chose à me dire etvous tournez autour de la question.

– C’est que…

– ?

– C’est que c’est grave.

– En êtes-vous bien sûr ?

Et de rire.

– Alors si vous riez, ça m’encourage.

» Votre tante…

– Eh bien, ma tante…

» Elle se teint !

– Je n’osais pas le dire.

– Mais ça se voit !

– Mademoiselle…

– Monsieur Francœur ?

– Respectueusement… Avec votre permission…

– Accordée la permission.

– Quand un guerrier indien se teint, c’estpour marcher dans le sentier de la guerre.

– Je le sais.

– Quand une femme blanche se teint, c’estqu’elle a son idée.

– Elle espère marcher dans le sentier dumariage, monsieur Francœur.

Le trappeur battit des mains.

– Je n’osais pas vous le dire !fit-il.

– Oh ! vous aviez tort ! Il n’y a làrien que de permis.

» Une veuve a le droit de seremarier.

– Sans doute.

» Et si mistress Morton voulait…

Mlle de Pelhouërjoyeusement :

– Vous lui auriez trouvé un mari ?

– Très bel homme !

» Jeune encore !

» Et qui serait très fier del’épouser.

» C’est un gentilhomme, du reste.

» Noblesse indienne !

» Sachem d’une tribu illustre, maisanéantie par la petite vérole.

» Et, en somme, par sa fréquentation deblancs bien élevés (je parle de Langue-de-Fer et de moi), estdevenu gentleman.

– Il s’agit de votre amiŒil-de-Lynx ?

– Oui, mademoiselle.

– Mais veut-il donc de ma tante ?

– À tout prix.

» Hier encore il me disait :

« Ah ! si je pouvais avoir une squawcomme cette squaw blanche qui se peint si bien, pas un guerrier nepourrait se comparer à moi.

« Elle me peindrait ! »

L’idée sembla si drôle àMlle de Pelhouër qu’elle éclata de rire.

Francœur dit :

– Ça gâte.

– Pourquoi ?

– Vous vous moquez de moi.

– Non pas.

» Monsieur Francœur, c’est assez amusantde penser à ce sauvage qui trouve que ma tante se peint si bienqu’il la veut pour femme.

» Mais moi, je donne mon consentement etje vais en parler à ma tante.

– Mademoiselle, Œil-de-Lynx vous portera dansson cœur.

– Au fond, j’aime mieux être portée par un boncheval ou un traîneau, sans faire fi du bon cœur deM. Œil-de-Lynx.

Ils rirent tous les deux de bon cœur.

Mais elle, sérieusement :

– Si votre ami veut que je fasse le mariage,qu’il me fasse tuer un jaguar.

– Je vais le lui dire.

– À cent pas.

– Nous nous arrangerons pour ça.

» Et vous êtes sûre que lecommandant…

– Il en sera content.

» Du reste, les deux Taki seront avecnous et aussi leurs ordonnances.

» Je ne regarde pas ça comme une chassesérieuse, mais comme un tir à la cible.

– Mademoiselle, avant peu, vous aurez nouvellede quelque panthère.

» Mais songez à mon ami.

– Toute dévouée à ses intérêts.

» Au revoir.

– Au revoir, mademoiselle.

Francœur était content.

MaisMlle de Pelhouer ?

Aux anges !

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