Balaoo

III – LE SIÈGE DE L’AUBERGE

Qu’était devenue la merveille de l’industriefrançaise ?

De toute évidence, il y avait du Vautrinlà-dessous. Cela ressemblait à tant d’autres disparitions ménagèresqu’on n’avait jamais pu expliquer et qui avaient été mises sur lecompte des Trois Frères ! On ne douta plus dès lors qu’Élie,Siméon, Hubert ne fussent de retour et qu’ils eussent accompli lemiracle d’avoir échappé au couperet du bourreau, dans le but uniqued’accourir à Saint-Martin-des-Bois voler la robe del’impératrice.

Si M. Jules (le maire), qui avaittoujours eu un faible pour ces chenapans, à cause des hautesrelations qu’ils entretenaient avec les élus de la nation, hésitaitencore à se rendre à l’évidence, son hésitation ne devait pas êtrede longue durée…

En effet, on frappa de nouveau à la porte del’auberge du Soleil-Noir, et la personne qui frappait ainsiparaissait aussi pressée d’entrer que le docteur Honorat l’avaitété lui-même. Un silence affreux régna aussitôt à l’intérieur del’auberge, car tous se demandaient déjà s’ils n’allaient pointentendre la voix des Trois Frères. Mais chacun reconnut latremblante voix de Mme Godefroy, la receveuse despostes de Saint-Martin.

– Une officielle ! Uneofficielle pour M. le maire ! Ouvrez, monsieur Roubion,c’est très pressé.

Sur l’ordre du maire, la porte fut entrouverteet Mme Godefroy apparut. Elle avait cette mêmepâleur mortelle, ces mêmes yeux hagards qui étaient entrés en mêmetemps que le docteur Honorat. Un papier jaune tremblait entre sesdoigts. M. le maire s’empara de la dépêche ; il lut touthaut le texte officiel : « Préfet du Puy-de-Dôme à MaireSaint-Martin-des-Bois. Trois frères Vautrin échappésaujourd’hui de la prison de Riom ; faitesnécessaire. »

Le maire, qui ne disposait en fait de forcearmée que de l’appariteur et de son tambour, laissa tomber unregard atone sur tous ceux qui l’entouraient. Ces pauvres gensparaissaient n’avoir plus la force de respirer. M. etMme Sagnier, M. etMme Valentin se tenaient étroitement enlacés,formant deux couples comme on en voit sur les images quireprésentent les premiers ménages chrétiens promis aux bêtes.M. Honorat, sur sa chaise, ne donnait plus signe de vie. Lavieille petite troupe des brodeuses se serrait autour de lapuissante Mme Roubion qui s’efforçait en vain, lesdeux mains posées à plat sur sa vaste poitrine, de commander auxmouvements de son cœur. Enfin, la terreur était telle queMme Toussaint elle-même, que soutenaitMme Boche, laquelle était soutenue parMme Mûre, laquelle ne lâchait pas la main deMlle Franchet, en avait cessé de gémir sur ladisparition de la robe de l’impératrice.

Le maire répétait :

– Faites nécessaire… Faites nécessaire…Il est bon, lui, le préfet… Quel nécessaire veut-il que jefasse ? C’est à lui de faire le nécessaire… Il devrait déjànous avoir envoyé des gendarmes !… Il devait bien se douterqu’ils allaient revenir ici !…

Mais voici de nouveaux coups à la porte ducabaret : Pan ! Pan ! Pan !… Tout le mondesursaute encore. Et une voix dans la rue :

– Vite ! Vite ! Ouvrez !…C’est moi, Clarice ! Au nom du ciel, ouvrez !

– Le commis de Camus ! On devraitéteindre ces lumières. Ils vont tous venir ici ! s’écriaRoubion.

Mais l’autre tambourinait de plusbelle :

– Ouvrez ! Ouvrez !

On lui ouvrit, mais on jura qu’on n’ouvriraitplus à personne ! Celui-là était encore plus effaré que lesautres, et il y avait de quoi !… Il n’avait pas vu les TroisFrères, lui ; mais il s’était heurté au cadavre deM. de Meyrentin pendu à un arbre sur la route de Riom.Ah ! on en poussa des cris : La vengeance des Vautrincommençait !… À quoi allait-on assister, Seigneur !…Après les cris, ce fut une consternation générale, un désespoirmuet… Et puis cela se transforma encore, comme il fallait s’yattendre…

Comme M. le maire réfléchissait auxtristesses de la situation sans pouvoir se résoudre à rien, il vitsoudain se dresser en face de lui un spectre furieux etgesticulatoire : c’était le docteur Honorat qui lui criait,les poings sous le nez :

– Tout ça, c’est de votrefaute !…

Ah ! il n’en fallait pas davantage pourdonner du courage aux autres. Le notaire et le pharmacien étaientdéjà sur lui : Sûr que c’était de sa faute ! Sans lui,rien de tout cela ne serait arrivé !… Sans lui, il y avaitbeau temps que ces bandits eussent débarrassé le pays de leurprésence !

Et ils faisaient un si beau bruit qu’ilsn’entendirent pas que l’on frappait, cette fois à la porte cochère,avec le lourd marteau.

Ce fut Mme Boche qui allatendre l’oreille dans le corridor. Elle revint, les bras en l’air,et les jambes flageolantes :

– Écoutez !… Écoutez !…

Tous se turent, et, les appels du marteaus’étant tus également, chacun perçut une lointaine voix rude quiappelait M. le maire.

Cette fois, il n’y avait plus à s’y tromper.C’était Hubert, l’aîné des Vautrin, qui était là ! Onreconnaissait sa voix, et, comme c’était le plus terrible destrois, il y eut un recul général dans le coin le plus obscur ducabaret. Les femmes se mirent à pousser des miaulements de chattesqu’on écorche. M. le maire, cependant que madame le retenaitpar les pans de sa jaquette, se détacha du troupeau tremblant. Ildit à Roubion :

– Venez, Roubion, il faut savoir cequ’ils veulent. Vous n’avez jamais eu d’histoire, vous, avec lesVautrin ?

– Jamais ! Jamais ! proclamaRoubion, en grande hâte et avec une évidente satisfaction. Non,non, nous n’avons jamais rien eu ensemble !

– Vous n’allez pas leur ouvrir ?sanglota Mme Valentin.

– Non, dit le maire, mais on peuttoujours causer.

– On ouvrira le judas, et on verra bience que c’est, déclara Roubion.

– Ne leur dites pas que je suis là !gémit le docteur Honorat, qui avait à peine la force de parler.

– Ni moi non plus !… Ni moi nonplus ! firent Valentin et Sagnier.

Le maire et Roubion, suivis de leurs femmes,se risquèrent sous la voûte de la cour.

Encore, Mme Jules etMme Roubion restèrent-elles à l’entrée de lavoûte.

L’absence du maire et de Roubion dura au moinscinq minutes. Quand ils rentrèrent, les autres virent tout desuite, à leurs figures consternées, qu’il ne se passait rien debon. Le docteur Honorat, le pharmacien et le notaire ne quittaientpoint des yeux M. le maire, attendant qu’il parlât. Et lecondamné à mort, qui, au petit jour, dans sa cellule, regarde lemagistrat chargé de lui annoncer le rejet de son pourvoi, n’a pointplus d’épouvante au cœur.

– Mais enfin, dites-nous ce qu’il ya ? grelotta Mme Sagnier.

– Eh bien ! voilà, répondit le maireen s’épongeant le front avec son mouchoir. J’ai vu Hubert par lejudas. Il demande qu’on lui livre le docteur Honorat.

Le docteur, sur sa chaise, reçut comme unesecousse. M. Jules ajouta :

– J’ai fait mon devoir, j’ai refusé.

Là-dessus, il y eut un silence de mort. Cesdames, à part elles, pensaient que le maire en prenait bien à sonaise. Après tout, le docteur Honorat était célibataire.

Mme Godefroy surmonta, lapremière, la tyrannie de ses nerfs :

– Qu’est-ce qu’il a répondu ?

– Il a dit, fit le maire, qu’il allaitconsulter ses frères et il est parti !

– Lui avez-vous dit, au moins, qu’ilscouraient les plus grands dangers en restant ici ? que lesgendarmes allaient venir, et qu’ils feraient mieux de s’enfuir dansun autre pays ? interrogea M. Sagnier.

– Je lui ai dit tout ça ! déclarafroidement le maire, mais il m’a répondu que ça ne me regardaitpas !

Mme Roubion dit :

– Il est parti, ils ne reviendrontpeut-être plus ! Tout le monde ferait peut-être bien de s’enaller.

Tous jetèrent des cris : ils étaient biend’accord pour ne pas quitter l’auberge avant le jour et surtoutavant l’arrivée des gendarmes qu’on ne manquerait pas d’envoyer àSaint-Martin-des-Bois.

– Écoutez donc comme ils sontpartis ! fit Mme Boche.

En effet, les coups de marteau recommençaient.Le maire se dressa de nouveau comme un héros qui marche à la mort,sans défaillance, et se dirigea vers la voûte. M. Roubionvoulut le suivre encore ; mais, cette fois,Mme Roubion lui ordonna tout sec de rester auprèsd’elle :

– T’occupe donc pas des affaires desautres !

M. Roubion se le tint pour dit.

Il sembla à tous que l’absence du maire seprolongeait plus que la première fois. Quand il revint, il étaitaussi pâle que les autres.

– Hubert m’a dit qu’il avait consulté sesfrères, laissa-t-il tomber d’une voix blanche qui tremblait un peu.Tous trois sont d’accord pour massacrer tout ce qu’il y a ici, sion ne leur livre pas le docteur Honorat. J’ai répondu que nousétions armés et que nous nous défendrions et que nous ne livrerionspas le docteur Honorat.

Là-dessus, la troupe des brodeuses fitentendre des glapissements : « Elles n’avaient jamais euaffaire avec les Trois Frères et, si les Frères savaient qu’ellesétaient là, ils les laisseraient sortir sans leur faire de mal,bien sûr !… Elles ne voulaient pas rester dansl’auberge ! On ne savait pas ce qui allait arriver !…Puisque les Trois Frères n’en voulaient qu’au docteur Honorat,elles ne couraient aucun risque en rentrant chez elles. Ellesvoulaient partir. »

– On n’ouvrira point les portes sans monordre, dit le maire, et puis vous ne sortiriez pas. Les portes sontgardées par Hubert, Élie, Siméon et la petite Zoé. Hubert m’arépété qu’ils massacreraient tout ce qui tenterait desortir !… Enfin, ils savent très bien que vous êteslà !

– Et nous ? Et nous ?savent-ils que nous sommes là ? interrogèrent le pharmacien etle notaire.

– Oui, ils le savent !

– Et… et… et… ils ne vous ont rien dit…pour nous ?

– Non !…

– Ils n’en veulent qu’au docteurHonorat ! C’est clair ! jeta Mme Sagnieren dirigeant sur le malheureux un effroyable regard.

– Oui ! Oui ! répétèrentsourdement le notaire et le pharmacien, ils n’en veulent qu’audocteur Honorat !…

À ce moment, on entendit un gros remue-ménagedans la rue. Puis il y eut des cris, des jurons. Et ce fut comme sion traînait un camion devant la grande porte du Soleil-Noir. Onentendit distinctement des volets claquer contre les murs d’enface, et, aussitôt, la grosse voix de Siméon qui éclatait dans lanuit sonore :

– Ah ! cachez vos gueules, là-haut,ou je les ferme avec du plomb !

Cette menace n’était pas plutôt prononcéequ’elle était suivie du tonnerre d’un coup de feu qui réveilla toutle village.

Les brodeuses tombèrent à genoux.Mme Mûre et Mlle Franchet, quiétaient pratiquantes, commencèrent un Ave Maria. Lesbruits qui venaient du dehors attestaient que toute la rue Neuveétait en pleine rumeur ; mais les fenêtres, entrouvertes parles curieux épouvantés, avaient dû se refermer aussitôt, car lesmenaces des Trois Frères avaient cessé. On n’entendait plusmaintenant que le va-et-vient de leurs gros souliers sur les pavésou sur le trottoir. Que faisaient-ils ? Voilà ce que tout lemonde se demandait dans l’auberge avec la sueur de l’angoisse et lefrémissement du désespoir.

Le docteur Honorat, qui ne ressemblait plus àrien d’humain, était affalé sur une chaise, dans un coin, comme unechose inerte. Tous lui lançaient des regards malfaisants et seretenaient tout juste pour ne point l’agonir d’injures.

Les sanglots des unes et les patenôtres desautres finirent par agacer le maire dont tout le système auditiftâchait à comprendre ce qui se passait dans la rue. Il les fittaire en jurant le nom du Seigneur, et, ayant ainsi rétabli lesilence, il grimpa sur une chaise préalablement disposée sur unetable pour atteindre aux vasistas. De là, son regard pouvaitplonger dans la rue. Ce qu’il vit à la lueur falote du réverbèrechargé d’éclairer ce coin de Saint-Martin-des-Bois sembla l’emplird’un nouvel effroi, car il ne put retenir une exclamation quiaugmenta la fièvre des assiégés. Ceux-ci voulurent desexplications, mais il ne leur répondit même pas et sauta sur latable et de là sur le parquet avec une adresse et une souplesse devingt ans.

– Ah non ! cria-t-il, pas ça !…Pas ça !

– Mais quoi ? Quoi ?

– Pas ça ! Pas ça ! Laissez-moidonc, vous autres, et silence ! (ici un abominable juron)…Ah ! Pas ça !… Taisez-vous ! Taisez-vous ! Jevais les interroger !

Et repoussant les malheureux quil’entouraient, il se pencha contre la porte du cabaret qui donnaitsur la rue Neuve et y colla son oreille après avoir frappé contrele volet trois énormes coups de poing.

– Eh là ! vous autres, hurla-t-il,qu’est-ce que vous faites ?

Le bruit cessa dehors comme il avait cessédedans.

Le maire reprit sa position en appelant parleurs noms les Trois Frères ; alors, on entendit quelqu’unqui, dans la rue, se rapprochait du volet.

– Qui est là ? demanda le maire.

– C’est moi, Hubert !

– C’est le maire qui vous parle.

– Qu’est-ce qu’il y a pour votre service,monsieur Jules ?

– Qu’est-ce que vous faites là devant laporte, dans la rue et au coin de la place ?

– Nous déchargeons de la paille, monsieurle maire, de la belle paille bien sèche qui risquait de s’abîmerdans le grenier aux Delarbre.

– Et pour quoi faire ?

– Pour vous faire flamber, monsieur lemaire, puisque vous ne voulez pas nous livrer l’Honorat !

À l’annonce de cette nouvelle et imminentecatastrophe, les clameurs reprirent dans la salle du cabaret. Ungeste terrible du maire réclama le silence.

– Vous n’allez pas faire ça,Hubert !… Vous n’allez pas faire ça !… Ah ! il ne merépond pas !… Mais taisez-vous donc, vous autres !…Hubert !… Hubert !…

– Quoi, m’sieur le maire ?

– Vous n’allez pas faire ça ?

– Non, je vais me gêner. Zoé, passe-moiles allumettes !…

Nouveaux cris, nouveaux hurlements dans lecabaret.

– Hubert !… Hubert !… Vous nepouvez pas faire ça !… Il y a ici des femmes !… desjeunes filles !… (ceci pour Mlle Franchet quia cinquante-six ans bien sonnés !)

Mais la voix épouvantable d’Hubert remplittoute la rue. On a prétendu, depuis, qu’on l’avait entendu alorsd’un bout à l’autre du village.

– Vous y passerez tous, et le notaire, etle pharmacien… Et la femme du notaire, et la femme dupharmacien !… si vous ne nous livrez pas le docteurHonorat !… Donnez-nous l’Honorat, et tout sera dit, toutsera oublié !

Cette fois, le bandit parlait trop près pourn’être pas compris. Il sembla à Sagnier et à Valentin que sa voixse vrillait dans leurs oreilles pour y glisser les parolestentatrices. Et, comme il y eut, dans le moment, une grande flammequi illumina les vasistas, la peur et la lâcheté commencèrent leurœuvre et ils se ruèrent tous deux sur le docteur, loque affaléedans son coin. Ils n’eurent point de peine à entraîner avec eux lesfemmes qui déliraient déjà à l’idée d’être brûlées vives. Elles ledéchiraient, en le traitant de lâche, parce qu’il n’avait pas lecœur de les sauver tous en sacrifiant sa peau.

Derrière cette ruée, la devanture commençait àflamber. On entendit le bois crépiter, et toute la maison, par lesvasistas, fut illuminée.

Dehors, il y eut encore des cris, des coups defeu ; et, soudain, lugubre, le tocsin sonna sur le village,sur les campagnes, annonçant le drame, appelant du secours. Lesvoix féroces et cyniques des Trois Frères et la petite voix aiguëde la petite Zoé dominaient tous les bruits. Avec un madrier dontils se servaient comme du bélier, les Vautrin, maintenant,tentaient de défoncer la porte du cabaret, pendant que destourbillons de fumée enveloppaient déjà le Soleil-Noir.

Les femmes durent lâcher le docteur en sangqui, devant la mort, s’était défendu avec acharnement. Suivies deshommes, elles se précipitèrent dans la cour. On ne pouvait sortirde cette cour que par la grande porte cochère, sous la voûte. Et lechemin par là était bien fermé. Roubion ne cessait de crier :« Mais les pompiers ne vont donc pas venir !… »oubliant qu’il était lui-même capitaine des pompiers et que lapompe était à l’abri sous son hangar.

La bande entourait à nouveau le maire et lesommait d’avoir, sur-le-champ, à la sauver de là. Et ils seseraient peut-être tous jetés sur lui comme ils l’avaient fait surle docteur, si l’embrasement du ciel, dont toute la cour étaitcomme enflammée, n’était tombé soudain, comme si on avait soufflédessus !

Les bruits du dehors avaient cessé. Le tocsins’était tu. On n’entendait plus les terribles coups de béliercontre la porte du cabaret. Ce calme subit, la nuit noire ettranquille surprirent tout le monde. On resta quelque temps sansparler, sans crier, car on ne savait que penser. Enfin, on entenditla voix du maire qui disait :

– Ils ont brûlé quelques bottes de paillepour nous faire peur et ils sont partis !…

Mme Roubion pensa touthaut :

– Les gendarmes sont peut-êtrearrivés !…

M. Roubion, que poursuivait l’idée de sedébarrasser de toute cette clique, cause de la tragédie, eut uneidée :

– Il y a peut-être un moyen de noussauver tous à la mairie. Là, on serait à l’abri, montez avec moidans le grenier à foin !

Ils le suivirent, grimpant un escalier debois, dont la rampe était faite d’une corde graisseuse.

– Surtout, pas d’allumettes !

Ils étaient dans l’obscurité, se tâtant, secherchant les uns les autres, trébuchant à chaque pas. Enfin,précautionneusement, la lucarne par laquelle on hissait le fourragefut ouverte par Roubion, et un coin de la nuit, moins noir que legrenier, se découpa dans l’ombre opaque. Ils avaient oubliéHonorat. Personne ne savait ce qu’était devenu le docteur et nul nes’en occupait.

Roubion se pencha à la lucarne. Il regardadans la ruelle qui séparait l’auberge des derrières de lamairie.

– Les Vautrin ne s’imagineront jamaisqu’on peut se sauver par ce chemin-là !… Et nous serons loinqu’ils seront encore à nous guetter aux portes ! fit-il à voixbasse.

– Ça n’est pas une mauvaise idée, dit lemaire.

– Eh bien ! montrons l’exemple, ditRoubion ; il y a là une poulie et une corde, c’est tout cequ’il nous faut !

Le maire déclara que, comme un capitaine surson navire, c’était lui qui devait partir le dernier. Mais on luidémontra que ce n’était pas la même chose. C’était même tout lecontraire. C’est le premier qui allait risquer quelque chose. Sicelui-là se sauvait, tout le monde était sauvé. Il se décida àl’aventure après avoir embrassé Mme Jules ; etc’est par ce chemin qu’ils sortirent tous de l’auberge, hommes etfemmes. On devait en parler longtemps !

Quand la petite troupe fut au complet, lemaire dit :

– Et maintenant à la mairie,tous !…

– Sans bruit ! conseillaMme Jules.

Mais personne ne songeait à en faire.

Comme la bande allait pénétrer sur la place,se glissant contre les murs et profitant de l’ombre, elle s’arrêtad’un seul mouvement. Il n’y eut pas un cri, pas un geste, rien quipût la trahir. Ce qu’elle apercevait dans le cercle de lumière quitombait du réverbère dressé au coin de la rue Neuve, l’avaitimmobilisée, foudroyée : Élie et Siméon passaient, en traînantle docteur Honorat, un bâillon sur la bouche et les mainsligotées ; suivaient Hubert et la petite Zoé. Hubert avait unfusil sur l’épaule. La petite Zoé en avait deux.

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