Balaoo

VI – ON RETROUVE LES JEUNES FILLES

Non, ce grand singe, habillé en homme etportant monocle comme Balaoo, ce n’était pas Balaoo. Quelquesheures plus tard, on savait que c’était Gabriel, le grand chimpanzéoriental de Java, du jardin des Plantes.

Comme il avait déjà fait maintes farces et,qu’à plusieurs reprises, il s’était montré d’une certaine humeurfarouche, on eut tôt expliqué sa formidable incartade. Il avaitprofité, le premier, de la négligence soûlographique du gardien,habitué du père Lunette, et avait pris ainsi la clef des toits.

Fallait-il s’étonner qu’avec son instinctirrésistible d’imitation et d’assimilation, il eût chipé un completpour s’en vêtir ? Non ! à ce point de vue, il ne fauts’étonner de rien chez les singes.

La cage de Gabriel, au jardin des Plantes,était double, comme beaucoup d’autres cages, avec une chambregrillée en plein air et une autre chambre grillée à l’intérieur dela ménagerie. On avait accoutumé de laisser la porte decommunication de Gabriel ouverte, de telle sorte que le prisonnierpût, selon l’heure ou la température, aller chercher l’ombre ou lesoleil. Comme le gardien ou le visiteur ne peut voir qu’une seulechambre à la fois, chacun avait dû croire Gabriel dans la secondequand il regardait la première, et vice versa. Ainsis’expliquait encore que Gabriel eût pu, pendant des jours et desnuits, courir les toits de la capitale et épouvanter la ville deses sinistres exploits sans que son absence fût signalée à laménagerie du Muséum…

Mais alors, que devenait en tout ceci lefameux anthropopithèque, le monstre, mi-homme, mi-bête, qui parlaitle langage des hommes ?

Que devenait l’invention deCoriolis ?

On était trop heureux à la préfecture d’êtredébarrassé d’un monstre pour s’embarrasser d’un autre ! Ondéclara, sans plus tarder, que l’invention de Coriolis était uneimagination de ce cerveau malade… On traita le professeurcomme un monomane… et on le pria de retourner enfermer sa monomaniedans son hôtel de la rue de Jussieu, tout en restant à ladisposition de la justice.

La journée qui vit la délivrance de Paris vitaussi celle des jeunes filles collectionnées.

Toutes celles qui avaient été volées par lechimpanzé furent retrouvées par le plus grand des hasards, et aumoment où on désespérait de savoir jamais ce que Gabriel avait puen faire.

Elles furent toutes retrouvées saines etsauves dans une salle du musée de la Marine, où leurétrange ravisseur les avait enfermées après les y avoir amenées parles toits. C’est à la curiosité scientifique et navale d’unM. Benezecque, percepteur dans une petite commune des environsde Montauban, que ces jeunes filles doivent la vie, car, au fond dece grenier lointain, elles seraient toutes mortes de faim et desoif, si, poussé par le désir de voir des bateaux,M. Benezecque n’était monté dans les combles de notre vieilillustre palais où des coups sourds l’avaient averti qu’on appelaità l’aide, coups frappés contre une porte que l’on peut voir encoreaujourd’hui (avant quatre heures, le lundi, le mercredi et ledimanche) à côté de la galère du XIIIe siècle.

Le professeur Coriolis rentrait en son hôtelde la rue de Jussieu quand une édition du soir de La Patrie endanger vint lui apprendre l’heureuse délivrance des victimesde la fantaisie diabolique de Gabriel, et il ne fut pas étonné dene point découvrir parmi les noms de ces jeunes filles celui deMadeleine…

Il savait bien, lui, que Madeleine n’avait pasété volée par Gabriel… Comme il franchissait le seuil de sa porte,sombre et si désespéré qu’il songeait à se donner la mort, iltrouva un pli sur les dalles du vestibule.

Ce pli venait de Saint-Martin-des-Bois etétait ainsi libellé :

« Vous attends au grand hêtre dePierrefeu : Balaoo. »

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