Balaoo

IV – BALAOO N’OSE PAS RENTRER À LAMAISON

Balaoo, ayant roulé la robe de l’impératricefort proprement sous son bras, s’assit sur la lisière de la forêt.La nuit était profonde ; les dernières lumières s’éteignaientaux fenêtres de Saint-Martin-des-Bois. Il réfléchissait. Ilregrettait sincèrement l’accident qui lui était arrivé avec lenoble étranger qui lui avait rendu visite. Non point qu’il souffrîtd’avoir tué avec aussi peu de formes et sans avis préalable un dela race humaine qui l’avait insulté ; mais il craignaitd’avoir fait un bien gros chagrin à sa chère petite Madeleine. Queldrôle de visage elle lui avait montré quand il traînait avec tantd’orgueil, par les deux pattes de derrière, le noble étranger envisite ! Et son bon maître Coriolis, quels yeuxterribles !… Quelles grimaces désespérées ! Quelleaffaire !…

Non, décidément, tout bien réfléchi, ilpréférait ne pas encore rentrer ce soir à la maison.

Balaoo se gratta les poils ras mouvants dudessus du crâne. Perplexité…

Et puis, il considéra, avec inquiétude, sonbutin.

C’était dans la pensée d’acheter son pardon etde se préparer une bonne rentrée auprès de Madeleine qu’il avaitchipé tout à l’heure la robe de l’impératrice. La chose étaitarrivée le plus naturellement du monde. Après avoir pendu le mortcomme il convenait, par sa cravate, sur la route de Riom, Balaoo,le dos lourd, la tête pesante, le pas traînard et les mains d’enhaut dans les poches, était revenu dans le village et avaitrencontré la petite troupe apeurée des brodeuses à galoches et àchaufferettes se rendant, pour la veillée, au Soleil-Noir. Ilsourit sans trop savoir ce qu’il faisait, peut-être parce qu’ilavait reconnu Mme Mûre etMme Boche, et qu’avec elles il y avait toujoursquelque bonne farce à faire. Il entendit qu’elles parlaient entreelles d’une robe merveilleuse, d’une robe comme on en porteseulement chez les empereurs des hommes : la robe del’impératrice. Balaoo était curieux. Il voulut voir ce chef-d’œuvrede l’industrie humaine ! Il retira ses chaussures et se lesattacha au cou par les lacets. Dès lors, tout à son aise, il n’eutbesoin que d’une gymnastique sommaire par-dessus deux murs et untoit pour arriver au vasistas de cette salle d’été oùMme Toussaint déployait la merveille. Aussitôtqu’il l’eut vue, Balaoo eut son idée faite. Cette robe irait àravir à Madeleine. Et, à la première occasion qui lui était fourniepar l’absence des brodeuses, il poussait le vasistas, se retenaitpar les mains de derrière à la fenêtre, se balançait, attrapait auvol avec les mains de devant l’objet de ses convoitises,rebondissait par le vasistas et disparaissait sur les toits avec larobe de l’impératrice.

D’une traite, il avait couru ensuite à laporte du fond du jardin de Coriolis, sa porte à lui ; mais samain, qui était déjà sur la sonnette, s’en était allée gratter lespoils mouvants du dessus de son crâne. Il se rappelait laloi : les leçons de la loi, que lui avait apprisesMadeleine. On doit toujours prévenir avec de l’argent quand onprend quelque chose ! Or, Balaoo venait de prendre sansprévenir avec de l’argent. (Pour Balaoo, voler et prendre, c’est lamême chose, et la question d’argent avant la prise de possessionn’est qu’une question de politesse inventée par ceux de la racehumaine qui ne veulent rien faire comme ceux des autres races.)Donc, Madeleine ne serait pas contente !

Mélancoliquement, il s’était éloigné de lapetite porte du fond du jardin et avait gagné la campagne.

Ah ! Balaoo a fait de beaux coupsaujourd’hui ! C’est une journée qui compte ! Il doit êtrecontent de lui !… Eh bien ! non, puisque Madeleine a dela peine, Balaoo est triste.

Cependant, comme il ne peut rester toute lanuit sur la lisière des bois à gémir comme un enfant et qu’il estmalsain de dormir à la belle étoile, il se lève pour rentrer dansle chez-lui de la forêt : dans son pied-en-l’air du gros hêtrede la clairière de Pierrefeu.

Tout cet enchevêtrement de charmes, de frênes,de gros chênes et de gros hêtres et toute cette collection biendroite de milliers de sapins, tout cela qui constitue lesBois-Noirs, n’est qu’un pis-aller pour Balaoo, comme qui dirait unparc ; et, quand quelques-uns de ses amis des sous-bois, commele renard As, par exemple, fait le malin avec sa charmille épaisseet protectrice, Balaoo a beau jeu de lui raconter des histoires delianes géantes, en grondant de rire.

Ainsi, la dernière fois que l’autre est venului faire bonjour au gros hêtre, Balaoo ne s’est pas gêné :« As, tu n’es qu’un enfant qui vient de naître. Si tu avaisvu, comme moi, dans ma forêt de Bandang, les arbres à trois pieds(les mangliers) qui portent notre hutte sur l’eau épaisse desmarécages et si tu avais vu le mur de lianes géantes tressé d’unarbre à l’autre qui empêche depuis cent mille ans ceux de la racehumaine de pénétrer dans notre village, tu n’oserais plus nousparler de ton trou de maison défendu par la charmille deSaint-Martin-des-Bois ! »

Cet As, avait pensé Balaoo, qui passe pourmalin ici, chez nous ferait sourire un éléphant. « Et puisd’abord, c’est bien simple, avait-il ajouté, ma forêt de Bandang,quand on veut pénétrer dedans, il faut y faire un trou comme untunnel ! Ça n’a rien à faire avec les forêts de parici ! »

As n’avait pas insisté, sachant qu’il n’auraitpas le dessus avec Balaoo et connaissant le proverbe :« À beau mentir qui vient de loin. » As comprenait toutce que lui disait Balaoo, parce que l’anthropopithèque avait soin,quand il s’exprimait devant les bêtes, d’oublier la langue deshommes que Coriolis et Madeleine lui avaient apprise. Ainsi, il semettait gentiment et sans se faire prier à égalité de bête à bête,et la communication était établie tout de suite entre instinctsanimaux (ce qui ne l’empêchait pas de garder son quant-à-soi humainet même de penser avec sa pensée humaine, tout en s’exprimantdevant les autres, comme tout le monde de la race bête). Et ilagissait même ainsi avec le général Captain qui, lui, prononçaitdes mots d’hommes sans les comprendre, et ne comprenait que lesmots de bête.

Le général Captain était le perroquet qu’ilavait volé à Mlle Franchet et qu’il avait emmené enesclavage dans sa hutte de la forêt, où il lui servait deconcierge. Balaoo avait le plus grand mépris pour le généralCaptain, trouvant qu’il n’y a rien de plus bête pour une bête quede s’acharner à parler avec des mots d’homme qu’elle ne comprendpas.

Ainsi pensait Balaoo à travers la forêtprofonde, en marchant sans route et sans boussole et sansallumettes, en pleine nuit sans lune, vers sa hutte du grand hêtrequi était pour lui comme qui dirait sa garçonnière. Ainsi pensaitBalaoo, le cœur troublé de ses méfaits, et portant sous le bras,dans un paquet proprement roulé, la robe de l’impératrice.

Une voix, au-dessus de lui, tout là-haut, lesortit de sa réflexion :

– As-tu bien déjeuné, Jacquot ?

– L’idiot ! fit tout haut Balaoo, enhaussant les épaules.

Aussitôt la voix reprit dans les arbresnoirs :

– Bonjour, madame, comment vousportez-vous ?

– Quand tu auras fini de fairel’imbécile, général Captain ! commanda l’anthropopithèqued’une voix rude et animale et en employant des sons animaux quiproduisirent leur effet immédiat.

Général Captain cessa de jouer à l’homme et,du haut d’une branche si élevée que nul être, d’en bas, ne pouvaitl’apercevoir, même si on avait été en plein jour clair, même si onavait eu les yeux de Balaoo, il souhaita humblement, comme unhumble concierge-perroquet qu’il était dans la langueanimale-perroquet que Balaoo comprenait très bien, car presquetoutes les langues animales se comprennent, la bienvenue à sonmaître.

Balaoo émit quelques grognements et luidemanda comment il se faisait qu’il ne dormait pas encore à cetteheure. Général Captain lui répondit qu’il avait été réveillé parune grande lueur qui brillait du côté du village.

– D’en bas, tu ne peux la voir, fitcomprendre l’oiseau-concierge à l’anthropopithèque ; mais moi,je la vois très bien. Le ciel est tout rouge, tout rouge, éclatantcomme lorsque le soleil se lève dans mon pays !

Balaoo ricana, car il connaissait lesprétentions du général Captain. Cet animal, qui était, du reste,menteur comme un arracheur de dents, affirmait avoir vu autant depays que Balaoo ; mais il était incapable de dire lesquels. Aufond, il n’avait un peu de bagou que parce qu’il se souvenaitd’avoir entendu un loro (perroquet du Brésil) conter, chezl’oiseleur de Marseille, où il avait échoué tout jeune, sesprouesses équatoriales. Balaoo le faisait toujours taire en luidisant : « Tais-toi, j’en ai connu, moi, des perroquets,dans la forêt de Bandang. Ils n’étaient point d’un vert-de-griscomme toi, mais ils avaient de l’incarnat aux ailes, et de l’azur àla tête, et de l’or au cou ! Tu ne sais même pas, généralCaptain, comment les mères-perroquets de la forêt de Bandangobtiennent de leurs petits de l’or au cou ! Eh bien ! monvieux, c’est en les nourrissant avec des jaunes d’œufs. Il n’y arien de meilleur pour l’or au cou. C’est avec ça que, dans la forêtde Bandang, on fait la couleur serin, général Captain ! »Le général alors se taisait, parce que tout le monde savait bienque Mlle Franchet ne le nourrissait point avec desjaunes d’œufs.

Balaoo montait donc dans l’arbre, inquiet dece que lui avait dit le perroquet, rapport à l’incendie.

Le grand hêtre de la clairière de Pierrefeuétait au moins quatre fois centenaire. Il était, à lui seul, unmonde, une nature, un univers. C’était le plus bel arbre de laforêt, et il avait bien près de cinquante mètres de haut et plus dedeux mètres de diamètre. Balaoo en avait le plus grand orgueil,bien qu’il ne manquât jamais de raconter à ses amis de la futaiequi lui en faisaient compliment, que cet arbre n’était rien à côtéde ceux de la forêt de Bandang, et que son père et sa mère, avantd’aller suspendre leur maison sur les mangliers des marécages,avaient d’abord habité, au temps de sa première jeunesse, uneucalyptus qui avait plus de quinze cents pieds de haut (qu’ildisait) et trente pieds de diamètre. Enfin, il voulait bien secontenter de cet arbre-là dont il aimait le tronc lisse et propre,la ramure soyeuse, les feuilles polies et luisantes après la pluieet dont il dévorait les fruits en ayant bien soin d’en rejeterl’écorce (la nature – dont la voix ne cessait jamais de lui parlerà l’oreille – lui ayant soufflé qu’elle contenait le pire poison,celui qui rend épileptique et vous fait ressembler à un hommesoûl).

Balaoo, au moment de son emménagement dansl’arbre, en avait chassé tous les animaux, excepté les petitsoiseaux dont il respecta avec grand soin tous les nids.

Ce n’était point qu’il fût, à l’excès,sentimental, mais il aimait la fine omelette : ce donts’aperçurent, à la longue, les oiseaux qui le quittèrent, quoiqu’il prît garde de ne les point chasser.

Balaoo, ayant traversé dix étages de ramures,arriva à son petit pied-en-l’air de garçon anthropopithèque. Leconcierge était sur la porte, le bec ouvert, tourné vers lelointain incendie. Balaoo mit sa main en visière sur son front etregarda. Cela brûlait au beau milieu de Saint-Martin, du côté de laplace de la mairie. Il fut rassuré tout de suite. Du moment que lademeure de Madeleine n’était point en danger, le reste lui étaitbien égal. Il pensa instinctivement aux Trois Frères quiaimaient, comme lui, à faire des farces à ceux de la racehumaine, et il se dit qu’une si grande lueur était peut-être deleur invention, et il ne regretta point le coup qu’il avait fait àRiom, quand il leur avait ouvert leur cage d’homme.

Comme la lueur tombait et que le tocsin setaisait, Balaoo rentra chez lui. Il fit craquer une allumette.

Il alluma une bougie, qui ne lui avait pascoûté cher, non plus que le bougeoir. On pouvait dire que Balaoos’était meublé à peu de frais. Les épiceries-merceries etdifférents commerces du village lui avaient fourni, à la longue, lenécessaire ; et il avait des provisions dans son cellier, carsa hutte, qu’il avait fort proprement, et solidement, etconfortablement construite à la mode anthropopithèque avec desroseaux, des feuilles, des fougères, des branchages, de lacharmille, se divisait en deux chambres à la mode des hommes. Dansla plus reculée, il entassait les objets de son industrie et lesfruits de son larcin ; dans la première, qui était toujoursbien propre et fort agréablement tenue et à peu près décorative, iln’y avait que le strict nécessaire, c’est-à-dire : une natte,une commode qui contenait quelque linge et effets de rechange,surtout des faux-cols et des manchettes bien empesés pour lesquelsBalaoo avait une vraie passion (la commode avait appartenu dans letemps au docteur Honorat), une table de nuit (de même provenance),sur laquelle il avait disposé un portrait-carte de Madeleine, etc’était tout.

Pas de lit. C’était bien assez d’en avoir unavec des draps, dans son appartement de la maison du village. Ici,quand on voulait dormir, on couchait sur la natte ; et quandon voulait causer, aussi. Balaoo avait horreur des fauteuils, àquelque style qu’ils appartinssent. Ceci ne signifiait point qu’ilfût l’ennemi de l’art décoratif ; ainsi, il avait disposé surses murs des tableaux-réclames des meilleurs chocolats et des plussucculents biscuits. Longtemps, on avait cherché à l’auberge duSoleil-Noir un admirable carton où une jeune et jolie femme,court-vêtue, dégustait, le petit doigt en l’air, un Byrrh doré. Cecarton, qui ornait autrefois le mur de la salle à manger d’été desRoubion, faisait maintenant partie de la galerie de tableaux duseigneur Balaoo, dans sa maison de campagne du grand hêtre dePierrefeu.

Le général Captain était attaché à ce palais,en qualité de concierge, par une patte. Son rôle ne consistaitpoint seulement à nettoyer d’un bec habile tout l’établissement,pendant les absences de son maître, mais encore à introduire lesvisiteurs et à les faire attendre, en leur offrant des faines. CarBalaoo recevait, quand il était de bonne humeur, ses amis de lahaute et basse futaie. Pour ceux qui avaient le derrière lourd, ilavait imaginé un système de petites coches à même le tronc, formantescalier. L’idée lui en était venue en regardant le perchoir degénéral Captain, chez Mlle Franchet. Balaoo, quin’avait jamais vu d’ascenseur, était très fier de cet ouvrage quipermettait à son ami Dhole lui-même, qui n’avait jamais quitté laterre, de se promener dans son arbre comme chez lui et de se donner(ce qui était d’ailleurs parfaitement ridicule pour un loup) desairs de jaguar.

Balaoo avait donc fait de la lumière. Ildéroula aussitôt, devant le général Captain, médusé, les splendeursde la robe de l’impératrice. Puis, l’ayant secouée, comme on luiavait appris à secouer les étoffes, aux fins d’enlever les plis, ill’accrocha à un clou. Ceci fait, il s’étendit, rêveur, sur sanatte, l’esprit tout brouillé des événements du jour.

Il aurait bien voulu la paix ; maisgénéral Captain ne cessait de lui poser des questions auxquelles,d’ailleurs, il ne répondait pas.

La robe de l’impératrice intriguait leconcierge. Il voulait savoir si c’était pour s’en revêtir queBalaoo avait apporté cette parure, et si on verrait bientôt sonmaître se promener dans cette belle robe blanche. Il la retournaitavec son bec et trouva le moyen de lui arracher un bout dedentelle, ce qui lui valut une gifle.

– Tu as tort de te fâcher, exprima legénéral Captain, en se mettant hors de portée, je suis sûr qu’ellet’irait joliment bien.

– Général Captain, fait Balaoo sur un tonnégligent, tu ne sais pas ce que c’est que lejacarei ?

– Jacarei ? Non,Balaoo.

– C’est un crocodile de la forêt deBandang. Quand la panthère de Java commence à le manger par laqueue, il ne bronche pas d’une semelle ; quand la panthère deJava en a mangé la moitié et que sa faim, pour ce jour-là, estapaisée, la panthère s’en va, mais le jacarei reste. Oui,ma parole, il reste, attendant que la panthère revienne manger, lelendemain, son autre moitié. Est-il bête, hein ?

– Pourquoi me racontes-tu ça ?demanda le concierge, abruti.

– Pour que tu saches bien que, dans laforêt de Bandang, il y a tout plus beau qu’ici ! Ainsi lejacarei est encore plus bête que toi ! Mais ne t’y fiepas, général Captain. Certes ! ce n’est pas moi qui temangerai jamais par la queue ; mais mon ami As pourrait bien,si je le lui permettais, être moins dégoûté. (À ce moment, ongratta à la porte. Balaoo ordonna à son domestique d’ouvrir, car ilavait reconnu un grattement ami ; et As, justement, le renard,entra, une poule dans la gueule et saluant de sa queue entrompette.)

Balaoo lui ordonna aussitôt d’aller déposer saproie dehors, sur le paillasson. Balaoo avait reconnu une poule deMme Boche, et lui fit reproche de ses instinctscarnassiers. As déposa la poule précieusement dans un coin, à saportée ; il avait le museau tout sanglant et tout emplumé, etil l’allongea sur ses pattes en philosophe qui prétend vivre à saguise et qui peut écouter sans se fâcher les observations desautres, ayant le ventre plein et ses provisions faites pour lelendemain. Il laissa parler le vertueux Balaoo, qui vantait lesdouceurs pacifiques du régime végétarien ; et, au moment oùl’autre s’y attendait le moins, il lui décocha un argument quiassomma quasiment l’anthropopithèque :

– Tu te vantes d’être un homme, dit As,et tu ne manges même pas de poules !

Balaoo ne dit plus rien pendant des instantsqui lui parurent interminables. Est-ce qu’il ne lui viendrait pasune bonne réponse à la cervelle ? Ce n’était vraiment pas lapeine d’avoir fait des études, d’avoir appris à lire les motsd’hommes sur les cubes de bois et à les écrire d’abord avec unpinceau, et puis avec une plume trempée dans l’encre noire, pours’en laisser boucher un coin, de la sorte, par un simple As. Enfin,il se redressa sur son séant, l’œil brillant, toussa etdéclara :

– Je ne ferais pas de mal à une mouchepour manger ! Moi aussi, je tue ; mais je tue parce qu’onm’embête, mais jamais pour manger, je trouve ça dégoûtant,et je ne te l’envoie pas dire.

– Alors, dit As, tu n’aimes pas ceux quituent pour manger. Pourquoi, alors, aimes-tu les Trois Frères quituent pour manger ?

Balaoo répliqua :

– Je les ai vus tuer l’huissier, et ilsn’ont pas mangé l’huissier.

– Oui, mais ils nous tuent, nous autres,dans la forêt, et c’est pour nous manger.

– Tu te vantes, dit Balaoo, en haussantles épaules, les Trois Frères ne mangent jamais de renard. Leshommes ne mangent pas de renard. Tu n’es même pas bon à manger,pour ceux qui mangent de tout, ce qui ne veux pas dire que lesTrois-Frères ne te tueront pas, car ils n’aiment pas les bavards.Ce sont les bons et les mauvais côtés de la vie de la forêt. Et,maintenant, mon vieux As, tu vas me laisser dormir.

– On peut dormir, dit As, qui compritqu’on le mettait à la porte, lorsque, comme toi, on a le cœurtranquille et qu’on est l’ami des hommes. Dis donc, Balaoo, il y aun pendu au premier arbre à gauche sur la route de Riom, tu devraisaller le décrocher.

Balaoo sauta sur la patte d’As et faillit lalui briser.

– Qu’est-ce qui t’a dit ça ?

– On ne me l’a pas dit, je l’ai vu !annonça As, en tirant sa patte qu’il lécha.

– Qu’est-ce que tu as vu ? grondaBalaoo.

As jeta un coup d’œil de côté et vit que laporte était restée entrouverte :

– J’ai vu que tu lui remettais sacravate, jeta-t-il en bondissant hors du petit pied-en-l’airdu grand hêtre de Pierrefeu.

Balaoo courut jusque sur le seuil, maisl’autre était déjà au diable. On entendait son petit riredéplaisant dans les lointains ténébreux et feuillus.

Balaoo qui étouffait de rage, ne trouva, pourexprimer son courroux animal, qu’un mot de la languehomme :

– Saloperie !

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