Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XII – De quelques événements qui sepassèrent chez Nina-Noha

Palas ignorait tout des relations deGorbio et de Nina-Noha.

La révélation qui lui en était faitetout à coup par la visite de Gorbio à Nina et par la façon dont ladanseuse avait prononcé ce mot : « un ami… » le jetadans une stupeur profonde en même temps qu’elle lui faisaitentrevoir un nouvel abîme…

Nina continuait :

« Je sais que vous avez eu desrapports un peu tendus avec le comte… Je crois qu’il seraitpréférable que vous ne le rencontriez pas !… »

Étourdi par tout ce qu’il venaitd’entendre et par ce dernier coup qui lui était porté, Palas futreconduit par Zoé sans se rendre compte des gestes qu’ilaccomplissait, se laissant pousser dans un escalier de service, etc’est ainsi qu’il sortit de chez la danseuse par une porte que nefranchissaient à l’ordinaire que les domestiques et lesfournisseurs.

Il traversa le jardin sans entendre ungémissement qui s’éleva sur ses pas, et le suivit jusqu’à ce qu’ileût disparu…

La nuit était venue, rapide… Quelleautre douleur que la sienne habitait l’ombre, autour deNina-Noha ?

Hélas ! c’était celle de Françoiseaccourue pour être sûre désormais que rien ne manquait à sonmalheur…

Ne plus pouvoir douter du mal dont ilpeut mourir semble devoir être un soulagement à l’être le pluscourageux que le soupçon effleure, et il n’aura de cesse qu’il nesoit complètement renseigné là-dessus. Aussitôt après survient lacatastrophe qu’il dépendait de lui de laisser en suspens, mais ilaime mieux la subir que la craindre…

Ainsi, Françoise, laissant son auto àl’angle de l’avenue, était-elle venue jusqu’à la fenêtre de Nina etpresque dans les massifs du jardin ouvert qui précédait la villa,épier la sortie de Didier…

Elle non plus n’était point maîtresse deses gestes. Sa douleur et le besoin inéluctable de souffrirdavantage lui faisaient accomplir les mouvements les plusordinaires de la plus vulgaire passion. L’amour, à un certaindegré, ne connaît plus la séparation des classes, celle qui faitqu’il y a d’une part des gens qui ne doivent pas faire certaineschoses « parce que cela ne se fait pas » etd’autre part, des gens qui peuvent se permettre les gestes les plus« nature » parce qu’ils en sont encore toutprès.

Ce gouffre qui sépare les uns et lesautres, creusé lentement par des siècles de civilisation, l’amour avite fait de le combler. Si elle aime vraiment, il arrivera unmoment où la plus grande dame sera surprise écoutant derrière uneporte.

Françoise était depuis quelques minutesdans le jardin de Nina, haletante, tremblante et brûlante de honte,quand Gorbio le traversa et pénétra chez la danseuse.

Françoise avait reconnu le comte, elleavait eu un mouvement comme pour l’arrêter en chemin. Le« comte va trouver Didier, là-haut ! Il va se passer unechose atroce !… »

Elle ne pensa plus, une seconde, qu’audrame qui allait éclater !… Elle courut à la porte… Elle étaitprête à entrer… Et puis, tout à coup, elle se dit :« … et si Didier n’y était pas ? »

Car enfin, il pouvait ne pas yêtre !… Devait-elle ajouter foi à tous les potins deMme d’Erland ?…

Il avait suffi de quelques mots d’unefemme, connue de tous pour son méchant esprit, pour que tout leformidable échafaudage de son héroïque confiance en Didiers’écroulât sous elle et la laissât pantelante, meurtrie,agonisante, comme une pauvresse d’amour, dans les jardins d’uneNina !…

Et pendant ce temps, son Didier étaitpeut-être chez elle à l’attendre !…

Dans l’instant où elle allait seprécipiter pour l’y rejoindre (car ainsi va, saute à tous les ventsde leur pensée, l’amour des femmes : lof pour lof, commedisent les marins) Didier sortit de chez Nina par l’escalier deservice… poussé dans la nuit par une soubrette complice de cetteterrible aventure… Et cependant que Gorbio, lui, pénétrait chez ladanseuse, en maître !… Ignominie. Abominable désolation aufond de l’ombre !…

Quand Didier se fut éloigné, Françoisese traîna jusqu’à l’auto… Elle n’eut que la force d’y monter et dejeter l’adresse du Cap-Ferrat.

Gorbio n’était pas resté très longtempschez Nina. Il paraissait fort affairé en sortant. De son côté,Nina, fatiguée sans doute de son entrevue avec M. d’Haumont,se mit au lit de bonne heure et recommanda à Zoé que l’on netroublât son repos sous aucun prétexte.

Or, elle ne dormit pas, elleréfléchissait aux nouveaux événements et sans doute à tout le partiqu’elle et Gorbio allaient pouvoir tirer de leur alliance (exigéepar eux) avec le gendre de M. de la Boulays.

Peut-être aussi sa capricieuse pensée lapromenait-elle dans ses aventures d’antan, quand le jeune Raoulfaisait ses premières folies. Ce qu’elle s’était jouée delui !… Ce qu’elle l’avait fait souffrir !… Comme ill’aimait alors !… Elle n’avait pas besoin de menacer dans cetemps-là !… Sur un mot d’elle il se serait jeté au feu !…Sa seule présence, un coin de sa chair entrevue le rendaitfou…

Et cela ne la faisait pas sourire, laNina-Noha, de constater que sa puissance de séduction avait à cepoint diminué que tous ses artifices ne lui servaient plus de rienau regard de Raoul, devenu l’indifférent Didierd’Haumont.

Cela aussi, cela surtout, il le luipayerait !

Elle en resta là de ses réflexions etelle commençait enfin de somnoler quand un bruit étrange attira sonattention…

C’était comme le crissement d’une limeou d’une scie sur de l’acier… Cela s’arrêtait par instants et puiscela reprenait.

Par moments, cela paraissait assezlointain… et puis cela semblait tout proche…

Il y avait, à part cela, un grandsilence dans l’avenue et dans la maison… Il pouvait être onzeheures au plus tard, pensait-elle ; chez elle, tout le mondedevait être couché…

Elle n’eut pas peur, mais elle futangoissée…

Les plus braves (et Nina était brave) nesont pas sans inquiétude dans la nuit, en face d’un bruitinexpliqué…

Maintenant le bruit avait cessé tout àfait… Comme il ne reprenait pas, Nina en fut à se demander si ellen’avait pas été le jouet de son imagination…

Elle se leva, prit un mignon revolverdans sa table de nuit, et entrouvrit sa porte.

Elle avait l’oreille très fine, elleperçut le sourd et étouffé murmure de quelques voix, au fond del’appartement… Cela venait du boudoir, où semblait envenir…

Elle pensa à s’enfermer dans sa chambreet à sonner, à réveiller tous ses domestiques… Et puis, tout àcoup, elle eut une pensée singulière… et, hardiment, elle sedirigea, sans faire le moindre bruit, vers le boudoir…

Brusquement elle en ouvrit laporte.

Il y eut de sourdes exclamations, uncommencement de ruée sur elle. Mais, elle, de sa voixclaire :

« Laissez-moi vous ouvrir cemeuble, madame et messieurs ! ce sera beaucoup plussimple ! »

En effet, elle avait tout vu dans uneseconde… Une espèce de colosse accroupi devant le meuble ettravaillant l’acier des ferrures à la lueur d’une lanterne sourdetenue par une femme dont elle ne distingua pas d’abord le visage…Tout près de la fenêtre-balcon, un autre homme faisait leguet…

« Donnez d’abord votre joujou,commanda la voix rude de Chéri-Bibi, et nous verrons après si onpeut s’entendre… »

Elle ne fit aucune difficulté pourdéposer le revolver sur le meuble. Chéri-Bibi mit aussitôt sa largepatte dessus :

« Ouvrez le meuble et on ne vousfera pas de mal ! dit-il.

– Vous êtes bien bon,répliqua-t-elle… J’ai justement la clef sur moi !… Mais on n’yvoit pas clair ! fit-elle.

– Je ne peux pas supporter lalumière électrique, expliqua la grosse voix de Chéri-Bibi…Mademoiselle vous éclairera !…

– Mais la lanterne tremble dans samain ! » fit remarquer Nina.

En même temps, elle saisissait cettemain et dirigeait la lueur sur le visage de laporteuse :

« Zoé !…

– Madame, ils m’ont menacé de metuer si je ne faisais pas tout ce qu’ilsvoulaient !

– Pauvre fille ! soupiradrôlement Nina.

– Je vais vous éclairer, moi,déclara Chéri-Bibi, et moins de bavardage, s’il vous plaît !Finissons-en, je suis pressé !…

– Oui, dépêchez-vous, soupira letremblant la Ficelle sur le balcon… voilà dumonde !…

– Mais, messieurs, ce n’est pasplus difficile que cela ! »

Et Nina ouvrit le meuble.

Chéri-Bibi se précipita. Aussitôt onentendit un puissant et désolé« Fatalitas ! »

Le meuble était vide !…

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer