Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XXIII – Chéri-Bibi est toujours à lahauteur

Françoise se dirigeait vers la cabane dupêcheur Sylvio…

Depuis sa première, son étrange etterrible entrevue avec Chéri-Bibi, elle n’avait cessé de penser àcet être formidable dont la mentalité lui échappait, et qui s’étaitconstitué, à la porte de chez elle, le gardien de sonbonheur…

Qu’un homme comme Didier d’Haumont,même ayant passé par le bagne, ait pu devenir l’ami d’unetelle créature, née pour le crime, condamnée au crime, voilà quidéfiait toute explication. Et cependant… et cependant, Françoiseavait entendu, dans cette bouche maudite, des mots d’une tellepitié, et aussi d’une telle douceur, quand il parlait del’innocent… « oui, mais il est innocent,lui ! » qu’elle sentait instinctivement que c’était versce monstre qu’il fallait aller, si elle voulait dusecours !…

Elle était sortie en frissonnant del’antre de la Bête, mais plus d’une fois, dans les moments les plusdifficiles, sa pensée inquiète s’était rassurée parce qu’ellesavait que, là-bas, pas bien loin des terrasses, la bêteveillait !…

Ainsi qu’au lendemain de la nuittragique, quand elle était venue sur ces rochers quérir la clef dumystère, elle frappa à la porte du pêcheur Sylvio. Cette fois, iln’était point seul.

Il y avait même grande réception dans lacabane de Sylvio, et l’ombre en paraissait si irrégulièrementpeuplée que Françoise recula, mais Chéri-Bibi déjà s’étaitavancé.

D’un geste de grand d’Espagne, ilinvitait la visiteuse à pénétrer dans son humbledemeure :

« Soyez la bienvenue chez le pauvrepêcheur Sylvio, madame !… Dans les temps que noustraversons, où la méchanceté et la malice des hommes dépassenttoute mesure… c’est un spectacle réconfortant que celui de cescœurs fidèles. »

Ce fut d’abord à Yoyo d’êtreprésenté.

Moins que les autres, le pauvre garçon,dans le moment, ne payait pas de mine. Il était encore toutessoufflé de la course qu’il avait fournie pour venir apporter àChéri-Bibi les dernières nouvelles… et il était assezlamentablement accompagné de ces accessoires de pêcheur à la lignequ’il avait achetés à un amateur sur les quais du vieux port deNice.

« L’illustre docteur Ross, deChicago ! commença Chéri-Bibi ; le plus renomméchirurgien-dentiste de la cité d’azur, la coqueluche de ces dameset un grand ami de la célèbre Nina-Noha !… »

Françoise tressaillit en entendant cenom et elle se demanda pourquoi le bandit, qui était au courantde tout, le prononçait devant elle… Elle ne comprenait pointnon plus la raison pour laquelle tout ce joli monde lui étaitprésenté.

L’étrangeté de la scène, la visioninquiétante de ces figures entr’aperçues dans l’ombre, le tonsingulièrement exalté du pêcheur Sylvio, tout lui faisait peur,mais elle avait confiance ! Elle sentait que quels que fussentles gestes et les paroles de cet être énigmatique et terrible, il yavait quelque chose entre eux deux qui liait formidablement lafemme du monde au forçat : l’amour de l’une et l’amitiéforcenée de l’autre pour Palas !

« Celui-ci, madame, estM. Hilaire, honorable commerçant du quartier Saint-Roch, àParis, ex-chauffeur à Nice de M. de Saynthine, autre amide Mlle Nina-Noha et du comte deGorbio !… »

Françoise, haletante, recula d’un pas,devant le salut un peu trop prononcé du long corps de la Ficelle,qui se cassait devant elle avec une politesse pleine de trouble etde précipitation.

« Très honoré, madame, de fairevotre connaissance…

– Quant à cette petite, terminaitle pêcheur Sylvio, c’est Mlle Zoé, issue d’une excellentefamille de bohémiens… Elle s’est faite chanteuse des rues depuisque sa maîtresse, Mlle Nina-Noha, s’est privée de ses servicesde soubrette, un soir qu’elle l’avait surprise, écoutant auxportes ! »

Maintenant Françoise comprenait… Tout cepetit monde avait été les yeux et les oreilles de Chéri-Bibi autourde Nina et de Gorbio, c’est-à-dire autour du danger qui menaçaitDidier.

Zoé n’avait pas achevé sa révérence, quela voix de Chéri-Bibi grondait tout à coup :

« Et maintenant, vous autres, allezvoir dehors si j’y suis !… »

La bande disparut comme une volée demoineaux effarouchés.

Le bandit et Françoise se trouvèrentseuls.

La pauvre femme n’eut pas le tempsd’ouvrir la bouche :

« Je sais ce qui vousamène ! » prononça Chéri-Bibi sur un ton effroyablementlugubre et qui n’était certes point fait pour redonner de l’espoirà la visiteuse… « Rassurez-vous ! nous lesauverons encore cette fois-ci ! »

Mme d’Haumont se laissa tomber surun escabeau. Elle n’avait plus la force de se soutenir. À l’air deSylvio, à la façon dont il lui parlait, elle ne pouvait plus douterqu’une catastrophe nouvelle menaçait son Didier…

Sylvio eut pitié de tant de faiblesse.Lui aussi était profondément ému et toute la rudesse de sonaccueil, toute l’exaltation de ses propos étaient bien destinés unpeu à masquer cette émotion-là.

Cependant il n’y parvenait qu’à demi etsa grosse voix tremblait en disant àMme d’Haumont :

« Madame, vous êtes une sainte etle Ciel vous a mise sur la terre pour vous faire souffrir commeseul il sait faire souffrir les saintes et les misérables commemoi ! Avec vous, pas de subterfuges, pas de petits moyens, pasde vaines paroles, pas d’hypocrisie. La vérité toute nue !Vous m’avez déjà prouvé une fois que vous pouviez lasupporter ! À vous votre courage ! et nous sortironsencore de cette vilaine affaire-là… Votre mari est tombé dansun traquenard ! On lui a fait croire que cette jeune fille quevous aviez recueillie chez vous, courait les plus grandsdangers ! Et il l’a suivie à bord d’un bâtiment qui a prisimmédiatement le large et qui est commandé par l’un de ses piresennemis, par un M. de Saynthine dont vous avez peut-êtredéjà entendu parler !… »

Et Chéri-Bibi acheva brutalement et surun ton où éclatait toute sa colère contre la fausse innocence d’uneenfant qu’il croyait capable de la pire intrigue :« La jeune fille en question était d’accord avecSaynthine ! »

Françoise poussa uncri :

« Ça n’est pas vrai !… je l’aicru, moi aussi !… Mais je viens d’apprendre que c’était lafille de Didier !

– La fille de qui ? hurlaChéri-Bibi.

– Mais sa fille, à lui ?comprenez-vous… ? sa fille !…

– Oh ! ! ! »

Et ce fut au tour de Chéri-Bibi des’effondrer… Il se heurta aux murs et les murs de sa cabane, autourde lui, parurent vaciller…

Nous avons eu l’occasion, à bien desreprises, de juger en quels termes élégants, mesurés et quelquefoisraffinés Chéri-Bibi aimait à s’exprimer devant les dames. Maiscette fois, la surprise était trop rude !… et il perdit toutenotion de cette haute civilisation à laquelle il s’était initiéjadis avec un élan digne d’une meilleure destinée et dont il savaitse souvenir dans les grandes occasions…

Pas une seconde il ne douta de larévélation que lui apportait Françoise ! Elle expliquait tropde choses et qui l’avaient fait trop souffrir pour qu’il nel’accueillît point avec une allégresse triomphante ! Elleinnocentait son Palas ! Elle le remettait en place dansson cœur !…

Mais ce cœur misérable, qui avait douté,lui, de son Palas, combien était-il coupable !… Chéri-Bibiavait assisté à une promenade de Palas et de Gisèle et cela luiavait suffi pour qu’il crût Palas infâme ! Récemment, il avaitégalement été témoin de la douleur jalouse de Françoise ! Etil avait gémi sur elle ! Et il était parti de là, enmaudissant Palas !…

Chéri-Bibi, se souvenant de cela, frappasur son cœur infidèle comme sur un tambour ! Son poing fermémeurtrit effroyablement sa poitrine retentissante.

Il était effrayant à voir et terrible àentendre : « Gratte-pavé !… Godin !…orphelin !…Buteur et fourline !… Surineur à lamanque ! Tu mériterais de te faire gerber à la passepour une schonckerie pareille ! À Chaillot, bourriche etbusard ! Et toi, mon brûlant qui ne m’as rienenvoyé !(Et toi mon cœur qui ne m’as rien dit) j’tetamponnerai jusqu’à ce que t’aies perdu le goût dusoupir !… »

Françoise put croire qu’il allait setuer sur place, avec son poing !

Elle râlait d’épouvante et n’osait faireun mouvement. Ces cris d’une amitié farouche et qui n’avaient plusrien d’humain, lui inspiraient maintenant autant de terreur que lesmanifestations de la haine la plus redoutable…

Elle avait fermé les yeux et claquaitdes dents quand Chéri-Bibi, revenant à lui, l’aperçut et daignas’occuper d’elle.

« Vous et moi, madame, luidit-il, nous avons été bien coupables !… Palas neméritait pas cela ! Mais c’est assez perdu notre temps enlamentations… Vous allez rentrer chez vous et nous allons nousmettre au travail, nous autres !…

– Qu’allez-vousfaire ?…

– Ce serait trop long à vousraconter ! Qu’il vous suffise de savoir qu’on vous leramènera !

– Je ne vous quittepas ! »

Il fit : « Ah ! » etla regarda longuement…

« Vous ne savez pas où nousallons !…

– Vous allez me ledire !…

– Nous allons à San Remo, où lebateau qui emporte votre mari doit faire escale… Vous voyez commec’est simple ! Vous n’aurez pas besoin de vous faire debile.

– Je vais avec vous à SanRemo !…

– Ah !… »

Il la regarda encore…

« Écoutez, lui dit-il… je vousemmènerai si vous me promettez d’être bien sage,là-bas !…

– Comment cela ?

– Il ne faudra pas nousgêner !

– Je vous aiderai !

– À quoi ?

– Je ne sais pas, mais je ne vousquitte pas… »

Chéri-Bibi mit un genou à terre et baisale bas de la robe de Françoise.

Puis il se releva, ouvrit la porte de sacabane, fit un signe.

Les trois autres entrèrent. Alors, d’unevoix très calme, il leur donna des ordres relatifs au voyage. Ledocteur Ross devait s’occuper des passeports pour lafrontière ; M. Hilaire, de l’auto (Chéri-Bibi avaitrefusé celle de Françoise) et la petite Zoé de diverses commissionsurgentes.

Quand ils furent partis, Chéri-Bibi dità Françoise :

« Comprenez pourquoi je vous aiprésenté ces oiseaux-là, chère madame… Nous traversons une périodedifficile où M. et Mme d’Haumont doivent savoirsur qui compter quand ils se trouveront dans l’embarras. Vous allezles voir à l’œuvre, ce sont de braves gens !

– Ce sont aussi des amis de monmari ? demanda Françoise rêveuse.

– Non madame, ce sont des amisde moi, mais sur un signe de moi, ils sont prêts à sefaire tuer pour votre mari… S’ils ne sont pas morts déjà, ce n’estpas de leur faute !…

– Mais enfin, qui donc êtes-vouspour aimer et être aimé pareillement ?

– Je suis le crime,madame !… »

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