Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XXVI – L’Auberge des Pins

Le père Césaire était en train de leverle premier volet de son établissement quand le bruit d’un moteursur l’eau lui fit tourner la tête, et presque aussitôt il aperçut,doublant le promontoire qui protégeait contre les regardsindiscrets l’Auberge des Pins, un canot automobile qui se dirigeaitdare-dare vers son rustique embarcadère.

En même temps un certain coup de siffletle renseigna d’une façon précise sur la nature de la visite qu’onvenait lui faire, car lâchant là son volet, il courut jusqu’au bordde l’eau.

« Bonjour, Césaire ! jeta lavoix d’Arigonde. Pas d’étrangers dans ta cambuse ?…

– Personne, monsieur ! Lescopains du mas sont partis dans la nuit. Je ne les reverrai pasavant demain soir !… La maison vous appartient !… Je voisque vous apportez du gibier !… Pécaïre ! de la chairfraîche, même !… Bonjour, monsieur Nicopoli !… comment vale capitaine ?

– J’espère qu’il est en bonnesanté ! On bavardera tout à l’heure ; aide-nous à rentrer« la prise » ! »

Palas fut débarqué le premier. Iln’essaya point la moindre résistance entre ces quatre hommes armésjusqu’aux dents, et qu’il sentait prêts à le « brûler »au premier geste.

Si ce n’était chose faite, il devaitcertainement mettre une si patiente générosité au compte du plaisirque prenait Arigonde à prolonger son supplice…

Le père et la fille étaient entre debonnes mains. Toute l’intelligence de Palas, tout sa luciditéétaient tendues vers ce seul but : sauver Gisèle ! Aussiécoutait-il et regardait-il… Et cela sans qu’il y parût, car, dansle moment, il affectait un abattement suprême, un épuisement absoludestinés à tromper ses geôliers et son bourreau.

Quand on le fit sortir de l’embarcation,il ne tourna même pas la tête du côté de Gisèle, ce quiapparaissait bien comme la preuve absolue de sa misère physique etmorale…

Ils le descendirent à la cave, lejetèrent dans un cachot que n’éclairait aucun soupirail,resserrèrent ses liens et l’attachèrent encore par un pied à unechaîne qui était scellée dans la muraille.

« Comme ça, lui dit Arigonde, tu neferas pas de bêtises et il ne t’arrivera pas de malheur !…J’ai promis à Gorbio de veiller sur toi !… Si tu es bien sage,je viendrai te voir de temps en temps avec ta fille, quand nousserons mariés… À part ça, tu commanderas ton menu. Le père Césairen’a rien à te refuser… C’est moi qui paie ! »

Et ils refermèrent sur lui la lourdeporte dont ils tirèrent soigneusement les verrous.

Gisèle, qui ne donnait d’autre signe devie que le gémissement qui s’échappait par instants de ses lèvresexsangues, fut portée, plus que conduite, dans une chambre del’établissement, si tant est que l’on puisse décorer de ce nom lesréduits de l’Auberge des Pins…

« Et maintenant, en attendant ledessert, à table ! commanda Arigonde, moi j’ai une faim deloup ! »

Ils s’installèrent sur laterrasse.

À cette heure, ils ne risquaient pasd’être dérangés. Du reste, le père Césaire recevait de raresvisites. On le savait peu hospitalier, et de méchants bruitscouraient sur son établissement. Il laissait dire. Çal’arrangeait.

L’endroit où s’élevait l’auberge étaitisolé, loin de toute route fréquentée, dans un creux de la côtedangereux pour la navigation.

Cela n’empêchait point que l’endroit fûtcharmant et, sous les premiers rayons du jour, cette bicoque surson fond de verdure avec son collier de rochers rouges, au bord dela mer d’azur, n’éveillait aucune idée sinistre.

Arigonde, Césaire et Nicopolidéjeunèrent le plus gaiement du monde et burent comme d’aimablesgarçons qui ont la conscience tranquille et qui se réjouissent dela prospérité de leurs affaires.

Césaire avait bien remarqué que le frontde M. de Saynthine était un peu amoché et que la tenue deses hôtes était fort négligée, mais il avait eu bien garde de nefaire la moindre allusion à ces détails, pas plus qu’il nemontrait, du reste, de curiosité pour les origines de la doublecapture que l’on venait de lui confier.

Il ne manqua point cependant de demanderdes nouvelles de Monsieur le comte :

« Monsieur le comte va toujoursbien ? »

Ils burent à la santé de « Monsieurle comte ».

Soit par crainte, soit parreconnaissance, ils ne tarirent point d’éloge à son endroit.M. Césaire prétendait que c’était l’homme le plus puissant deFrance, que l’on n’avait rien à lui refuser, et qu’il n’y avaitpoint de mauvais cas duquel il ne sût tirer ses amis.

« Voilà un homme avec qui c’esttout bénéfice de travailler ! »

Du reste, il leur avait promis lafortune à tous !…

« Oui, eh bien, en attendant que lafortune vienne… je vais aller me reposer ! déclara leParisien.

– Compris ! ricana ignoblementNicopoli.

– Dans les bras de l’amour !fit M. Césaire en clignant de l’œil du côté de la chambre oùces misérables avaient jeté Gisèle… Faut-il que j’aille chercherM. le maire ? »

Arigonde ne les écoutait plus.Cependant, sur le seuil de l’auberge, il seretourna :

« Hein ! si vous entendez dubruit, ne vous croyez pas obligés de venir voir ce qui sepasse ! »

Les deux autres s’esclaffèrent et ildisparut dans l’établissement.

« Il a raison de nousprévenir ! se moqua Nicopoli. Elle en fait un raffut, lapetite, quand il veut l’embrasser ! Je parie que nous allonsencore rigoler !… Tu vas entendre ça, tout àl’heure !… »

Ils appelèrent le matelot de laTullia qui était resté à bord du canot automobile et ilsvidèrent encore une bouteille.

De temps en temps ils se taisaient, leregard posé sur les persiennes closes… Et en effet ils perçurentbientôt un certain tumulte, des cris, puis plus rien ! puiscela recommença.

« Dis donc ! fit Nicopoli, iln’y a pas que nous qui trinquons ici ! Je crois que tesmeubles ont leur part !… Ton Louis XVI prend quelquechose !… »

Le matelot, lui, chantonnait unebarcarolle italienne où il était dit que c’était une très bellechose que l’amour…

Sur ces entrefaites, le facteur survint.Il donna le courrier à Césaire, un journal et deux lettres, acceptade boire un verre, prêta une seconde l’oreille aux bruits del’auberge :

« Fais pas attention, lui ditCésaire, c’est un ménage qui ne fait que sedisputer… »

Et il s’en alla.

Césaire ouvrit le journal et aussitôtpoussa une exclamation :

« Ah non ! ça n’est paspossible !

– Quoidonc ? »

Voyant Césaire extraordinairement ému ettout pâle, Nicopoli lui arracha le journal où s’étalait une« manchette » énorme :

Arrestation du comte Stanislas deGorbio.

Ils n’en pouvaient croire leurs yeux.Ils relisaient les dix lignes du télégramme de l’agence sanscomprendre. Enfin ils durent se rendre à l’évidence. Letout-puissant seigneur de Gorbio avait été arrêté à sa sortie dupetit théâtre de la salle Favart, pendant un entracte. On avaitsaisi sur lui des papiers compromettants. Le bruit courait que lecomte était à la tête d’une organisation puissante, servant lesintérêts étrangers, organisation qui avait des ramifications surtout le territoire. Des commissions rogatoires avaient été envoyéesdans toutes les villes où Gorbio avait séjourné. À Nice,particulièrement, l’enquête, commencée dans le plus grand secret,promettait de prompts résultats et de retentissantsscandales !

Les figures de Césaire et Nicopolis’étaient terriblement allongées.

« Ah ! bien, c’est fini derire ! grogna le patron de l’Auberge des Pins… si onavertissait Saynthine ?… »

Dans le même moment, ils relevèrent latête du côté de la fenêtre aux persiennes closes… Quel drame sepassait encore là ? Les bruits de lutte semblaient avoirrepris avec une force nouvelle…

Et puis, tout à coup, le silence, unsilence plus effrayant que tout le tumulte qui l’avaitprécédé.

« Prévenir Saynthine ?… répétaNicopoli ; si tu savais ce que je m’en f… qu’il sedébrouille !… Moi, je me trotte en Italie. Adieu,Césaire ! »

Il était déjà levé. Il s’arrêta uninstant devant un gamin sordide qui sortait du bois en agitant sesloques.

« Le bambino ! fit Césaire,qu’est-ce qu’il veut ? »

Le bambino courut àCésaire :

« Le padre m’a dit d’aller vousprévenir. Les macaques arrivent par le bois et par le rocherrouge !…

– N… de D… ! lesgendarmes ! glapit Césaire… attends-moi deux secondes !Je te suis, Nicopoli !… »

Et il entra dans sa bicoque pour yramasser son magot.

Quand il en ressortit, il jura encored’une façon effroyable ; Nicopoli ne l’avait pas attendu et lecanot automobile disparaissait derrière le cap, filant droit surl’Italie… Alors il se jeta dans le bois avec le bambino.

Et l’Auberge des Pins paraissait déserteet abandonnée quand parurent les gendarmes.

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