Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

VIII – Une journée qui avait biencommencé et qui finit mal

L’après-midi de ce même jour, le comteStanislas de Gorbio (mon petit Stani… disait Nina dans l’intimité)s’était rendu sur la promenade des Anglais, où il comptait trouverquelques personnages de qualité, de passage à Nice, et propres àlui fournir, innocemment, quelques renseignements dont il savaittoujours tirer profit.

La journée était belle et les promeneursnombreux. Ceux-ci passaient, potinant, entre les chaises oùs’étaient installées les mères de famille penchées sur leurstravaux d’aiguille ou de tricot… avec une application qui n’étaitinterrompue que par l’apparition d’une toilette à sensation ou devisages inconnus auxquels la curiosité des dames, toujours enéveil, cherchait immédiatement à donner des noms.

Le monde est petit, c’est toujours lemême qui se rencontre, l’été sur les plages du Nord, l’hiver surcelles du Midi, au printemps et à l’automne dans les milieuxmondains de la capitale et dans les allées du Bois à onze heures età six heures.

Le comte de Gorbio s’était fait denombreux amis dans ce monde-là, si tant est qu’on puisse donner lenom d’« amis » à tous ceux à qui l’on serre la main. Sa« personnalité » n’avait jamais été plus en vogue depuisle duel où le pistolet de M. Didier d’Haumont l’avait abattu.Dieu seul savait les histoires qui s’étaient chuchotées autour decette aventure ! Les fiançailles du comte avecMlle de la Boulays n’avaient été un secret pour personneet il y avait veillé lui-même, persuadé trop tôt quel’« affaire était conclue ». L’échec qu’il en avait subiavait été d’autant plus retentissant…

Aussi, plus que jamais, avait-il sesraisons de « plastronner » pour donner le change etrefaire sa fortune mondaine.

Il ne perdait pas une occasion de semontrer et de prouver qu’un incident même aussi cruel (un mariageraté et un duel néfaste) ne pouvait l’arrêter en chemin. Comme ilpassait pour très riche et disposant des plus grandes influences,on lui pardonna vite son malheur… Chacun était persuadé qu’un hommecomme lui prendrait tôt sa revanche…

Or, cette revanche, il la tenait !Et comment !…

L’heureux rayonnement qui éclairait sonvisage ne passa point inaperçu. On le félicita de sa bonne mine.Ses propos étaient enjoués et son esprit redoutable.

« En voilà un qui a del’abattage ! » murmurait une dame un peu mûre à sa filleen âge de se marier et qui avait eu déjà quelques aventures dedemi-vierge avec de notoires rastas.

Soudain, le front de Gorbio serembrunit, ses yeux devinrent fixes, on regarda ce qu’il regardaitet l’on aperçut Mme Didier d’Haumont qui s’avançait sur lapromenade avec Mme Martens.

Françoise semblait heureuse et ellel’était en effet.

Depuis la minute terrible où elle avaittout appris et où elle s’était mise à épier Palas avec une angoissesi tragique, jamais elle ne l’avait vu comme ce jour-là, libreapparemment de tout souci, et d’une aisance si naturelle qu’elleétait presque inexplicable pour une personne qui, comme Françoise,avait sondé l’abîme sur lequel naviguait son mari.

Celui-ci était rentré à la villa du capFerrat, transformé littéralement, au moral et même au physique.Certaines rides du front que Françoise avait vues se creuser dejour en jour depuis leur arrivée à Nice, s’étaient évanouies commepar enchantement.

Elle n’avait pu s’empêcher de montrerson étonnement et Palas, devinant qu’il ne devait plus êtrereconnaissable depuis qu’il avait appris l’accident providentielqui le débarrassait du Parisien et de sa bande, avait jugé bon dedonner à sa femme une rapide et vague explication :« J’ai eu de graves soucis d’affaires ! c’estpassé ! n’en parlons plus ! »

Joliment, elle lui avait reprochéd’avoir eu l’esprit occupé par quelque autre chose que leur amour,la seule chose qui comptât pour elle, aumonde !…

Et elle aussi s’était réjouieintimement, persuadée que Didier venait de faire un pas immense surle chemin où il tentait de trouver, comme Chéri-Bibi l’avaitexpliqué à Françoise, la preuve de son innocence dans le drame quiavait bouleversé sa vie.

Cette belle journée ne lui en paraissaitque plus radieuse, et Mme Martens elle-même s’étonnait de sagaieté qui faisait contraste avec l’expression un peu sévère etréservée qu’elle avait remarquée sur le visage de la jeune femmedans leurs précédentes rencontres.

Françoise n’avait pas encore aperçu lecomte de Gorbio…

Elle ne le vit que lorsqu’elle fut toutprès de lui, à la hauteur du groupe dans lequel ilpérorait.

Alors, son visage changea.

Elle regarda droit devant elle, comme sielle n’avait point aperçu le personnage, mais ils savaient tousdeux qu’ils s’étaient vus…

Et tout le monde qui assistait à cettescène le savait aussi…

On avait surpris le rapide croisement deleurs regards. Quelle aubaine pour ces oisifs qu’une rencontrepareille !… Qu’allait-il se passer ?… Car certainement ilallait se passer quelque chose… Et il se passa ceci, que le comtesalua Françoise…

Celle-ci ne pouvait pas ne pas voir cecoup de chapeau…

Françoise, qui était devenue d’abordtrès pâle, dès qu’elle avait reconnu le comte, sentit que sonvisage s’embrasait. Elle hâta le pas, en détournant légèrement latête avec un mépris marqué…

Elle était furieuse… Elle se mordait leslèvres… Elle dit à Mme Martens :

« Vous avez vu ? Cetteaudace !…

– Ça, oui, réponditMme Martens, c’est d’un insolent et d’un mufle ! Ildevait ne pas vous voir. »

Gorbio était resté à sa place,continuant de regarder Françoise qui s’éloignait. Un sourireterrible crispait sa lèvre. Il y avait un grand silence autour delui. Il dit tout haut :

« Mme d’Haumont ne me connaîtplus. Elle a tort ! Elle n’a pas de meilleur ami quemoi ! »

En rentrant à la villa Thalassa, lapremière chose que Françoise dit à son mari fut cetteextraordinaire histoire du coup de chapeau du comte deGorbio…

« J’espère que tu n’as pas réponduà son salut ? s’écria Palas.

– Je suis passée près de lui commesi je ne le connaissais pas !… »

Tant de méchante hardiesse lesstupéfiait et venait jeter une ombre sur le bonheur parfait decette rare journée.

Ils se mirent à table en pensant encoreà Gorbio…

Ils savaient que le comte était enpleine convalescence, mais ils étaient loin de se douter qu’ilsurgirait aussi vite dans leur vie… Ils étaient en droit de penserque l’ancien rival de Didier aurait le bon goût de faire tout sonpossible pour passer inaperçu, si le hasard les mettait tous troissur le même chemin… Que signifiait une incorrection aussi grave àtoutes les conventions mondaines ?

Palas avait de graves raisons de seméfier du comte et, plus d’une fois, chez M. de laBoulays, il avait eu l’occasion de s’étonner de certaines de sesattitudes.

Sans qu’il pût formuler contre lui riende précis, Palas nourrissait à l’égard de Gorbio des sentimentsplutôt hostiles, en dehors même de toute rivalité d’amour, mais ilavait été assez honnête homme pour se méfier de ses propresimpressions et pour les mettre au compte de cette rivalité même etde sa propre jalousie.

Mais maintenant il se laissait aller àson ancienne haine pour un homme qui aurait pu posséder Françoiseet qui lui apparaissait de plus en plus comme un rastaquouère deredoutable envergure.

L’incident prenait à ses yeux uneampleur soudaine. Il commençait, de ce point-là, à le considérernon plus seulement comme le résultat d’un manque absolu de tact,mais, qui sait ? comme une menace !…

Les deux époux se faisaient part deleurs réflexions et échangeaient encore des hypothèses quand undomestique entra, apportant une carte sur un plateau. Palas lut eteut une sourde exclamation :

« Lui ! c’est tropfort !

– Qui,lui ?

– Mais lui,Gorbio !

– Ce n’est paspossible !… »

Françoise prit la carte des mains de sonmari et lut à son tour : « Le comte de Gorbio demandeà voir M. et Mme d’Haumont pour une communicationurgente ! »

« Mais je ne veux plus revoir cemisérable qui a voulu te tuer ! »s’écria-t-elle.

Le domestique attendait desordres.

« Faites entrer dans monbureau », commanda Palas.

« Pourquoi lereçois-tu ?

– Pour lui faire passer le goût derevenir !… » répondit Palas, qui s’essayait à reconquérirtout son sang-froid…

Le comte, dans le bureau, attendait,sans impatience… Il jouissait de l’émoi que sa seule présenceapportait dans cette maison.

Il se représentait la stupéfaction et lacolère des deux époux en face d’une démarche qui devait leurapparaître d’une audace incompréhensible et d’une insolence sansnom.

Qu’allaient-ils résoudre ? Il avaitenvisagé l’hypothèse où l’on refuserait de le recevoir… En ce cas,il aurait refusé de se retirer et, de toute façon, une explicationdevenait nécessaire, fatale…

Cette explication serait courte, maisfoudroyante ; et, à l’idée de l’effet qu’il allait produireavec une seule phrase, sa figure prenait une expression de férocitétriomphante.

Quand Didier d’Haumont parut, domptantdifficilement la plus noble colère qui eut encore gonflé le cœurd’un époux outragé, il fut frappé par cette physionomie, par cetteface où rayonnait une joie diabolique, et il ne put retenir pluslongtemps son courroux. En quelques mots durs, prononcés d’une voixâpre, il déclara à Gorbio qu’il trouvait sa démarche, quel qu’enfût le but ou le prétexte, d’une extrême inconvenance.

À quoi Gorbio, glacé,répondit :

« J’ai quelque chose de trèsimportant à dire à Mme d’Haumont et il m’a semblé plus correctde le dire devant vous ! » »

Les deux hommes étaient alors séparéspar la largeur de la pièce. Gorbio s’en vint vers Palas, le fixantde ses yeux où flambaient toutes les joies de lavengeance…

Palas comprit que cet homme étaitterriblement armé contre lui et redouta le pire…

Ce fut le pire, en effet, qui arriva…Gorbio prononça :

« Je veux lui dire qu’elle aépousé un forçat !… »

Palas recula sous le coup… Mais l’autrecontinuait :

« Une bonne nouvelle à apprendre àMme d’Haumont, n’est-ce pas, Raoul deSaint-Dalmas ! »

Ainsi Gorbio savait tout ! Sonsecret, son horrible secret était maintenant entre lui et cethomme !…

À l’heure où il se réjouissait de ladisparition providentielle des quatre misérables qui lepoursuivaient de leurs hideuses entreprises, un nouvel ennemisurgissait, et lequel !

Celui que Françoise avait rejeté,bafoué, qu’il avait lui-même abattu par un coup inespéré et quiressuscitait pour prendre la plus terrible, la plus effroyablerevanche !… Ô misère incalculable ! Non point à cause deson mauvais destin, à lui, mais de sa douleur à elle, de sondésespoir et de la mort de son amour, la mort de son cœur et de soncorps !… Car une phrase comme celle-ci : « Vousavez épousé un forçat », ça tue !…

Palas ne bougeait plus, il semblait uncadavre debout…

Devant lui il y avait cette bouche quicontinuait de cracher la haine et l’épouvante avec ce mot quirevenait sans cesse :« forçat ! »

Et, tout à coup, Palas ne put l’entendredavantage, ce mot-là !

Il sauta à cette gorge, son poingpuissant l’étreignit et il soufflait à l’autre :

« Assez ! assez !tais-toi ! tais-toi !… »

L’autre râlait, se débattait, ruait dansles meubles renversés et comme le mot affreux ne se faisait plusentendre, Palas lâcha Gorbio, se rendant compte soudain de songeste homicide :

« Mais assassine-moi donc !…Fais ton métier ! » glapit Gorbio en se mettanttoutefois prudemment à l’abri d’une nouvelle agression derrière unmeuble.

Et il ricana, sinistre :

« Tu t’y connais !… Il n’ya que le premier pas qui coûte ! »

Ah ! certes, ce premier pas n’eûtguère coûté à Palas dans la voie du crime !… Si quelqu’undésira jamais « tuer », ce fut bien Palas dans cetteminute terrible…

Et pendant que cette atroce scène sedéroulait dans le bureau, Françoise, seule dans la salle où l’avaitlaissée son mari, attendait, en prêtant l’oreille aux moindresbruits.

Didier lui avait fait promettre qu’ellene quitterait point cette pièce. Il lui avait juré qu’il seraitcalme et garderait son sang-froid quoi qu’il advînt, enfin,qu’après avoir vu le comte il reviendrait aussitôt auprèsd’elle…

Or, il ne revenait pas…

L’entrevue se prolongeait…

L’angoisse, l’inquiétude de Françoiseaugmentaient de seconde en seconde. Que pouvaient se dire les deuxhommes ?…

Les plus redoutables hypothèses luiembrasaient le cerveau… Françoise, cependant, ne s’arrêta point àla seule qui fût exacte : la connaissance, par Gorbio, dusecret de Palas…

Cette hypothèse-là était si terriblequ’elle la jugeait impossible. Elle préférait la rejeter tout desuite…

Elle envisagea plutôt celle qui luiparaissait la moins à craindre : elle savait que Gorbio étaiten affaire avec M. de la Boulays. Le comte avait là unprétexte tout trouvé à cette étrange démarche… Mais encore cen’était qu’un prétexte ! Qu’y avait-il au fond de toutcela ?…

Eh bien, au fond de tout cela, il yavait la haine de deux hommes qui aimaient la même femme !…Gorbio et Didier se haïssaient jusqu’à la mort… Françoise l’avaitbien vu lors du duel !

Quel drame nouveau allait sortir decette interminable visite ?

Elle frissonna…

Elle entrouvrit la porte de lasalle…

Il lui semblait entendre des éclats devoix… Et puis il y eut un grand coup sourd, comme il arrive quandun meuble tombe sur un tapis…

Elle ne réfléchit plus à rien… Elle nese souvint plus de ce qu’elle avait promis à Didier… Elle s’avança,haletante, du côté du bureau…

Dans le bureau, Gorbio disait àPalas :

« Je ne quitterai point cette piècesans avoir vu Mme d’Haumont !… Je veux qu’elle sachetout !… et qu’elle sache tout par moi !… C’est moi quimesurerai devant vous votre degréd’ignominie !… »

Palas, penché sur une table, étreignaitde ses poings crispés le meuble, arrêtant ainsi l’élan qui pouvaitle jeter encore à cette gorge abominable pour la faire se taire àjamais…

Il râla :

« Non, pas ça !… Tout ce quevous voudrez, mais pas elle !… Que vous me fassiez souffrir,moi, je supporterai tout !… Mais elle,épargnez-la !… »

Et il eut l’admirable lâcheté de luisouffler :

« Vous l’avezaimée !…

– Je vous hais encore plus que jene l’ai aimée !… gronda Gorbio.

– Écoutez ! reprit Palas d’unevoix rude et qui cessait d’être suppliante… je vous parlemaintenant « dans votre bien »… ne me poussez pas àbout !…

– Je ne crains pas !… je necrains pas un forçat !…

– Encore !… Ah !taisez-vous… car tout à l’heure vous craigniez un assassin !…Gorbio, je suis capable de vous assassiner, voussavez !… »

Comme il disait cela, il entendit unbruit de pas dans le couloir. Il s’en fut à la porte, souleva lerideau, aperçut la silhouette de Françoise.

Alors, il tourna vers le comte un visaged’une pâleur mortelle, revint à sa table, ouvrit un tiroir etsaisit un revolver…

Il allait tuer !… C’étaitinéluctable, il n’avait pas d’autre moyen de suspendre la véritéformidable sur cette lèvre maudite.

Cependant Gorbio surveillait le geste dePalas :

« Ah ! ah ! ricana-t-il,le revolver !

– Oui, le revolver, ma femme vient,elle sera ici dans une seconde, si vous dites un mot de ce qu’il nefaut pas qu’elle sache, je vous jure que je vous tue comme unchien !… »

Il répéta : « Je vous lejure. »

Gorbio haussa les épaules.

« Vous me prenez pour unenfant ! Ma mort ne garderait point votre secret ! Sivous croyez que je n’ai pas pris toutes mes précautions !… Cene sera qu’un crime de plus et tout à fait inutile, je vous enpréviens. Si vous voulez absolument tuer quelqu’un, tuez-vous,c’est tout ce que je puis faire pour vous !

– Ce serait déjà fait si celapouvait la sauver », râla Palas…

Puis ils ne se dirent plus rien, ilsattendirent l’entrée de Françoise…

Les secondes passaient,interminables…

C’est que, dans le corridor, Françoises’était arrêtée, la main à son cœur ; elleétouffait !…

Qu’allait-elle encore voir en poussantcette porte ? Quel spectacle d’horreur lui était encoreréservé ?… Tout à l’heure, ce bruit… était-ce le bruit d’unmeuble qui tombe ou le bruit d’un corps… Puisqu’elle est venue poursavoir… encore un peu de courage !… Elle regarde ! ellevoit !… Non, il n’y a pas de morts dans la pièce, il y a deuxvivants qui se regardent avec une haine indicible… Elle entre,spectrale…

……………………

Devant l’attitude de bataille des deuxhommes et les regards qu’ils lui jetèrent à son entrée dans lebureau, Françoise ne douta point qu’elle fût elle-même l’objet deleur querelle et la seule cause de cette scèneredoutable.

Toutes les autres hypothèsess’évanouirent. Elle allait savoir jusqu’où pouvait aller l’audaceamoureuse du comte, mais aussi elle était prête à châtier tantd’insolence.

« Vous aviez demandé à me voir,monsieur de Gorbio ? »

Avant de lui répondre, le comte setourna vers Palas et alors, il eut un spectacle si nouveau que sonesprit, frappé par une transformation aussi brusque, envisagea avecla rapidité de l’éclair tout le parti qu’il pouvait tirer d’un plannouveau.

À la première attitude, si furieusementhostile de Palas, avait succédé chez le malheureux une physionomieexprimant la plus terrible angoisse et une suprêmesupplication.

Tout son être semblait crier :« Ayez pitié d’elle ! »

Le voyant ainsi, éperdu, si complètementà sa disposition, Gorbio se rappela ce que lui avait ditNina-Noha : « Cet homme t’appartient… Tu peux en fairetout ce que tu voudras !… »

Ah ! certes ! il le voyaitbien maintenant, dans ses yeux, qu’il pouvait tout luidemander ! Tout exiger de lui ! Le traiter enesclave !

N’était-ce pas une vengeance,celle-là ? Et plus complète, plus cruelle que celle quiconsistait à tout briser d’un mot !…

S’il prononçait ce mot,qu’adviendrait-il ? Évidemment tout serait fini pour Palas,mais pour lui aussi !…

Tandis qu’il pouvait s’amuser longtempsavec cette petite histoire-là et ne prononcer le mot de la fin quelorsqu’il aurait traîné sa victime dans tous les chemins utilespour des besognes hideuses, des travaux nécessaires à sesmystérieux desseins…

Sa résolution prise, Gorbio rompit enfinl’effrayant silence qui s’était établi entre les trois personnages,et se retournant vers Françoise :

« Madame, pardonnez-moi, fit-il ens’inclinant et sans dissimuler un sourire cynique et sournoisementtriomphant… pardonnez-moi si j’ai eu l’audace de venir voustroubler dans cette heureuse retraite, mais une affaire danslaquelle nous avons des intérêts communs…

– Je sais, monsieur, que vous avezété en affaires avec mon père !

– Nous sommes toujours en affaires,madame… Les engagements commerciaux ne se rompent heureusement pasavec la même facilité que… »

Palas ne lui laissa pas le tempsd’achever sa phrase. Il était allé à Françoise, et il lareconduisait à la porte, cependant que d’une voix suppliante il luidisait :

« Laisse-moi régler avecM. de Gorbio les intérêts de cette affaire sansimportance !…

– Mais M. de Gorbio n’aqu’à s’adresser à mon père, fit-elle tremblante.

– Je t’en prie, murmura Palas, tum’avais promis de ne pas venir !…

– Je t’attends dans le salon àcôté ! chasse-le !

– Ce serait déjà fait si tu n’étaisvenue… »

Elle consentit à attendre la fin del’entretien dans une pièce adjacente… Son impatience se doublait del’incompréhension où la laissait l’événement… Pourquoi Gorbiorestait-il ?… Qu’avait-il encore à dire ?… Et pourquoison mari prenait-il tant de précautions après avoir montré tant decolère ?

Autant de questions qui restaient sansréponse et qui la laissaient dans un désarroi absolu…

Elle ne comprenait bien qu’une chose,c’est que si elle était restée entre ces deux hommes une seconde deplus, il se serait passé quelque chose d’irréparable…

Et maintenant, elle attendait que Gorbiovoulût bien s’en aller !…

Palas, la porte refermée, était retournéauprès du comte. Fou de honte, il lui demanda sans leregarder :

« Que voulez-vous demoi ?…

– Eh ! ricana Gorbio, beaucoupde choses ! Vous comprendrez, mon cher monsieur d’Haumont, quej’ai besoin d’y réfléchir…

– Ne me poussez pas audésespoir…

– Mais non ! mais non !…Je ne suis pas un méchant homme, moi. Je vous l’ai prouvé toutl’heure ! Vous m’avez fait pitié, littéralement, et, devantvotre pauvre misère, j’ai oublié tant de raisons que j’avais devous en vouloir !… Vous verrez que nous finirons par faire unepaire d’amis…

– Je ne crois pas à votre pitié…Dites-moi ce que vous voulez de moi, pour qu’elle ne sache pas…pour qu’elle ne sache jamais… »

Le comte regarda Palas et se félicitadéjà de la résolution qu’il avait prise de goûter une vengeancepatiente et froide…

Cela ne faisait que commencer et,vraiment, c’était un plaisir des dieux…

Ah ! que le menaçant d’Haumont detout à l’heure était loin !

Il lui répondit :

« Je vous le dirai bientôt !Au revoir, monsieur d’Haumont ! »

Il partit, laissant l’autre accablé,étourdi du coup qu’il lui avait porté et aussi de tous ceux dontson silence le menaçait…

Françoise vit passer Gorbio avec sonsourire insolent. Dès qu’il fut hors de la villa, elle courut àPalas qu’elle retrouva dans le bureau, et qu’elle surprit avec unefigure terriblement ravagée…

« Tu vas me dire ce qui s’est passéentre vous ! j’ai entendu un bruit de lutte !… Vous vousêtes battus !…

– Tu as bien fait de venir, mapetite Françoise… Cela nous a rendu quelque sang-froid à tous lesdeux… Sans toi, je l’aurais tué !… Ah ! je le hais bien,cet homme !… »

Elle le vit frissonnant, grelottant dehaine inassouvie…

Elle le prit dans ses bras, une fois deplus, pour qu’il y trouvât un sûr refuge contre les maux qui necessaient de l’assaillir, pour qu’il y puisât, sur son sein, uneconfiance nouvelle, génératrice de la force nécessaire à la luttecontre son affreux destin. Mais, cette fois, Palas ne put quepleurer, sangloter sur son épaule, comme un enfant.

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