Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

VI – Nina et Palas

Raoul de Saint-Dalmas !L’assassinat du banquier Raynaud ! Le vol du collier deperles ! On devine l’effet foudroyant d’une telle lettre surles deux personnages.

« Mais évidemment, c’est lui !Comment ne l’ai-je pas reconnu tout de suite ? »s’exclama la danseuse.

Nina ne parvenait pas à comprendrequ’elle n’eût pas identifié immédiatement ce visage qui, chaquefois qu’elle le rencontrait, attirait, retenait son attention et latourmentait comme un problème obscur dont elle cherchait au fond desa mémoire fragile les données mystérieuses…

Raoul ! c’était Raoul ! cethéroïque officier de la Grande Guerre, ce Didier d’Haumont quiétait venu se mettre si singulièrement entre eux et leurs ténébreuxprojets relatifs à la famille de la Boulays !

Lui aussi, quand il la rencontrait, laregardait avec une inquiétude certaine et avec une obstination biendangereuse s’il ne voulait point être reconnu. Que pouvaient êtreses projets pour qu’il osât ainsi s’approcher d’elle dans un momentoù tout lui commandait la retraite et le silence ?…

« Comme il a changé !murmura-t-elle. Il est plus vieux de vingt ans !…

– Eh ! le bagne ne rajeunitpas son homme ! » ricanait Gorbio.

Si Nina était stupéfaite de l’événement,Gorbio, lui, en était triomphant. Une joie féroce lui gonflait lecœur.

Il y avait tant de choses entre Raoul deSaint-Dalmas et lui ! Il y avait d’abord que c’était lui,Gorbio, qui allait assassiner le banquier Raynaud. Il y avait quec’était lui qui avait volé le collier de perles pour le donner àNina !

Le collier de la reine deCarynthie ! Nina le portait ! Elle n’avait osé le porter,du reste, qu’au bout de plusieurs années… Certes, la perledéfectueuse qui eût pu le faire reconnaître à première vue avaitdisparu et la monture avait été changée !… Et puis, quipensait encore à cette vieille histoire ?…

Eh bien, il y avait un homme qui devaity penser toujours ! Et cet homme, que l’on croyait au bagne,s’asseyait maintenant à ses côtés dans les fêtespubliques !

Le collier !… Gorbio et Nina leregardaient maintenant tous deux… et soudain, sans qu’un mot eûtété prononcé entre eux, ils eurent le même geste… Ils ledétachèrent de ces admirables épaules…

Et Nina ouvrant un meuble sûr, y prit uncoffret dans lequel elle déposa le bijou…

Puis la porte du meuble futrefermée…

Et encore, Gorbio eut un ricanement detriomphe qui avait fait tressaillir la danseuse…

« Comme tu ris ! tu es donc sicontent que cela qu’il soit ici cet homme ?

– Si je suis content ?Regarde-moi ! mais regarde-moi donc, Nina ! Est-ce que tune vois pas que j’étouffe de bonheur ?… Didier d’Haumont, unbagnard !…

– Oui ! oui, jecomprends ! avec un pareil secret, tu le tiens ! Ilt’appartient !

– Tu ne comprends rien dutout ! éclata Gorbio. Il ne m’appartient pas ! Ilappartient au bagne ! Comprends-tu maintenant,comprends-tu que je vais renvoyer au bagne Didier d’Haumont, lemari de Mlle de la Boulays ?

– Tu es terrible !

– Je suis tonélève !…

– Tu trouves qu’il n’a pas assezsouffert ?

– Jamais !…

– Tu vas me faire croire que tuaimais Françoise !

– Françoise ! je m’en f… Maislui, il m’a humilié, écrasé, fait jeter à la porte, as-tu oubliéqu’il a failli me tuer ?

– Mon Stani, je crois que tu asaimé Françoise !… »

Gorbio eut un gestetragique :

« Tu sais bien que je n’ai jamaisaimé que toi ! Je te l’ai assezprouvé !… »

Ils se turent. Dans leur silencemontaient tant de souvenirs… d’un temps où le comte Stanislas deGorbio n’était encore qu’un petit commis en bijouterie, dans lamaison de l’expert chargé de vendre les joyaux de la reine deCarynthie…

Jeune et élégant, d’une élégance de bar,nécessaire à un employé qui fréquente, pour la plus grandeprospérité de son négoce, les grandes demi-mondaines qui ont tropde bijoux ou les petites artistes qui n’en ont pas assez, il avaitamusé tout d’abord Nina par son bagout et ensuite par son audaceamoureuse, car il s’était déclaré fou d’elle. Elle n’en avait faitque rire jusqu’au jour où, lui ayant dit : « Je nesais même pas, mon cher, ce que vous seriez capable de faire pourmoi », il lui avait froidement sorti le bijou qu’elleavait tant convoité : le collier volé au banquierRaynaud !

« Voilà ce que je suis capablede faire pour toi ! »

Et elle avait reçu le collier de sesmains rouges de sang.

Après un moment de stupéfaction etd’horrible admiration, elle s’était donnée à Gorbio.

Ils étaient admirablement faits pours’entendre. Nina faisait déjà partie, à cette époque, d’uneorganisation formidable, payée par l’étranger, et elle venait detrouver dans Gorbio l’homme dont elle avait besoin…

Raoul venait alors d’être condamné. Ladanseuse l’avait laissé partir pour le bagne sans regret, commesans pitié…

Après tant d’années, le cœur de Nina nesemblait point être devenu plus tendre… Et ce soir-là, où ilsvenaient de recevoir la lettre d’Arigonde, elle finit par dire àGorbio :

« Ma foi, tu as peut-êtreraison ! Renvoie-le au bagne ! C’est encore là qu’il nousgênera le moins ! »

Gorbio, songeant à sa vengeance, ne luirépondit pas. Le lendemain matin, quand il s’apprêtait à laquitter, elle lui demanda encore :

« Que vas-tufaire ? »

Il lui réponditvaguement :

« Je vaisréfléchir ! »

Et il la laissa, très distraite, trèslointaine, ne songeant plus, de toute évidence, qu’à la revanchequ’il allait prendre.

« Pauvre Raoul ! soupira Nina,il n’a que ce qu’il mérite. Il n’avait qu’à resterlà-bas ! »

Cependant, l’idée que tant de joiemauvaise chez Gorbio pouvait avoir pour origine un véritable amourpour Françoise n’avait point quitté Nina.

Et c’est sans doute cette imaginationqui la conduisit à rouvrir le meuble, à regarder le coffret, à enfaire jouer un tiroir secret ignoré de Gorbio et dans lequel ladanseuse avait glissé, depuis bien des années, la perle défectueusequi pouvait faire reconnaître à coup sûr le collier, ainsi quequelques lettres du comte fort imprudentes, comme il arrive àl’ordinaire aux lettres d’amour et qui désignaient suffisamment levéritable auteur de l’assassinat du banquier Raynaud.

En contemplant ces reliques, Nina eut unsourire qui en disait long sur ses projets éventuels, dans le casoù Gorbio cesserait de lui être un instant fidèle… Puis elle rangeahâtivement son petit trésor, car on frappait à la porte. Lasoubrette annonçait un visiteur : « À cetteheure-ci ? »

Il était dix heures du matin et Ninavenait à peine de sauter du lit.

Le visiteur avait insisté toutparticulièrement, disant que l’affaire était d’importance. Ninalisait la carte qui lui était tendue ; elle ne put retenir uneexclamation : « Ah ! par exemple !… »C’était Didier d’Haumont !…

Didier d’Haumont venait chez elle !Il osait cela !… Il se croyait donc bien sûr de n’être pointreconnu ! « Ou il est fou ! se dit-elle, ou ilm’aime toujours ! »

Ce fut à cette dernière hypothèsequ’elle s’arrêta. Il plaît toujours à une femme d’expliquerl’inexplicable par le sentiment excessif qu’inspire son charme etsa beauté. Elle imagina tout de suite que Raoul de Saint-Dalmas nes’était échappé du bagne que pour retrouver quelques minutes deplaisir dans ses bras et qu’il préférait le risque de retourner àCayenne au supplice d’être privé plus longtemps de ses fantaisiesamoureuses.

Ce n’était point la fadeur d’une lune demiel avec la fille de M. de la Boulays qui pouvait avoirfait oublier à Raoul les heures diaboliques de leur cruelamour ! Il avait suffi qu’elle rencontrât une fois le pauvrehomme pour qu’il redevînt son esclave, quoi qu’il lui en dûtcoûter…

Ainsi sa pensée amoureuse agitait ladanseuse pour la plus grande satisfaction de son orgueil. Etaussitôt elle courut aux armes.

C’est-à-dire qu’elle se fit rapidement,mais sûrement, les lèvres et les yeux en grande coquette ets’enveloppa, aussi peu que possible, dans les plis lâches d’unkimono brodé de fleurs d’où sortaient ses bras nus etparfumés.

Après un dernier coup d’œil à la glace,elle passa dans son boudoir et dit à la soubrette :

« Faitesentrer !… »

Et elle attendit, étonnée de sentir soncœur battre à coups précipités. Elle aurait aimé cet homme quiallait venir, qu’elle n’eût pas été plus émue…

Depuis qu’il avait été si facilementreconnu par Mme Martens, Palas était agité par les plussombres pressentiments ; trop d’ennemis et trop de souvenirsl’assiégeaient. Il sentait bien que, quoi qu’il fît, la véritéallait éclater un de ces jours ! D’abord il s’attendait à voirréapparaître les sombres silhouettes du Parisien et de sesacolytes… Une seule chose pouvait le sauver, lui rendre l’honneur,lui permettre de redresser le front devant Françoise : lapreuve de son innocence dans l’affaire du collier !

Si sa liberté d’action lui était gardéequelques semaines encore, quelques jours, quelques heures, c’est àcela qu’il devait travailler : trouver lapreuve !

Et dans tous ses malheurs, la Providencesemblait lui avoir réservé une chance inouïe… Il ne pouvait endouter… du moins il espérait ne plus devoir longtemps endouter : le collier, il l’avait revu !… revu sur lesépaules de Nina !… Nina !…

Et depuis qu’il l’avait revu, il nepensait qu’à lui !… C’étaient, à s’y méprendre, les mêmesperles, car il les connaissait… et les avait admirées autrefoisavec Raynaud, avant la vente, et le soir fatal, il les avait euesdans la main !… Qu’importe qu’il y manquât l’une d’elles,celle dont Raynaud lui avait montré les défauts !… L’absencede celle-ci était une preuve de plus !… On avait fait perdreainsi au collier sa dangereuse originalité.

D’où Nina tenait-elle le collier ?…L’avait-elle depuis longtemps ?…

Il fallait savoir !…savoir !…

Et ses pas le conduisaient, malgré lui,dans cette avenue où Nina-Noha venait de louer une villa pour lasaison !… Comment savait-il cela ?… parce que, depuisqu’il avait vu le collier sur les épaules de Nina, rien de cequ’elle faisait ne lui était indifférent.

Et il se trouvait maintenant sous lesfenêtres de la villa… Il y avait là quelques arbres, un petitjardin ouvert à tous, derrière quelques balustres demarbre…

Il s’en approcha encore. Il était devantla porte…

« Ah ! savoir !savoir !… Oui, mais si elle te reconnaît ? Ehbien, si elle me reconnaît, qui me dit qu’elle ne m’aidera pas àprouver mon innocence !… »

Et il sonna.

Il eut affaire tout de suite à unesoubrette mise comme une femme de chambre de théâtre, qui ledévisageait avec une curiosité effrontée et qu’il ne regarda mêmepas.

Il ne savait pas beaucoup ce qu’ildisait. Il insistait pour voir l’artiste, disant que c’était trèsimportant et très pressé.

Et il donnait sa carte.

On le fit monter au premier étage… et onle laissa seul.

La petite soubretterevint :

« Madame vousattend !… »

Et quand il fut entré, la petitesoubrette resta derrière la porte à écouter…

Palas s’avança, très troublé,reconnaissant le parfum d’autrefois, avant même qu’il eûtaperçu Nina sur sa chaise longue…

Un geste de celle-ci lui disait des’approcher…

Il vint à elle, machinalement. Elle luieût montré, tout de suite, la porte pour qu’il s’en allât, il sefût enfui.

Elle lui montrait un fauteuil, ils’assit.

L’horrible passé ressuscité le rendaitplus faible qu’un enfant.

Il avait peur maintenant, peur de cettefemme qui l’avait tant fait souffrir !…

Comment était-il venu jusque-là ?Par quel coup de folie se trouvait-il là ?… « Ah oui, lecollier !… »

Il regarda les épaules de cette femme…Le collier n’y était plus.

Et ce fut elle qui rompit, la première,le silence.

« Vous avez désiré me parler,monsieur d’Haumont ? »

Ah ! quelle douceur inattendue danscette voix !… Elle lui parlait si rudement jadis, quand ellele chassait… et même quand elle acceptait qu’il restâtlà !…

Il la regarda.

Elle était souriante,accueillante.

Certainement elle ne l’avait pasreconnu !… Et elle paraissait pleine de bonne volonté… Il serappela soudain des phrases qu’il avait préparées, quelques heuresauparavant, pour le cas où il se déciderait « à yaller ».

« Madame, commença-t-il, il s’agitencore d’une fête de charité !

– Encore !… On ne peutdonc se passer de moi !… »

Ces dernières paroles avaient étéprononcées avec une intention si évidente et pouvaient vouloir diretant de choses, que Palas en fut un instant touttroublé.

Y avait-il seulement la redoutablecoquetterie de la courtisane dans cette phrase audacieuse, oufallait-il y découvrir un sens plus terrible ?

L’avait-elle, oui ou non, reconnu ?Il eût juré que non, tout à l’heure… Maintenant, il ne savaitplus !…

En tout cas, Nina ne lui paraissait pashostile, bien au contraire. Il eut l’occasion de s’apercevoirqu’elle se mettait en frais pour lui plaire. Elle avait redresséson buste, elle se penchait vers lui dans une attitude pleined’abandon… Elle lui souriait. Elle lui demandait :

« Et que puis-je faire encore, pourêtre charitable ?

– Mais tout simplement vousmontrer, madame !… comme vous l’avez fait à Valrose, et danserpour notre joie et pour nos pauvres poilus ! Ne changez rien àvotre programme, venez avec les mêmes costumes, les mêmesbijoux !… »

Sa voix avait tremblé sur les derniersmots. Quant à Nina, elle était trop avertie pour ne pas attacher àces syllabes une importance considérable.

Elle leva les yeux sur ce visage tout àl’heure encore si mystérieux et dont l’émoi actuel ne parvenait pasà se dissimuler. Elle répéta avec une apparenteindifférence :

« Les mêmes bijoux ? Voustenez aussi à mes bijoux ?

– Nullement, répliqua Palas, maisvous en avez de si beaux qu’ils vous font plus rayonnante encore,si possible. J’étais, l’autre jour, à Valrose avec un ami qui seconnaît en belles perles et qui les aimait… et qui en a la folie…Il m’affirmait qu’il avait rarement vu quelque chose d’aussiparfait que votre collier. »

Elle s’étendit à nouveau sur la chaiselongue et son visage fut dans l’ombre.

Palas, heureusement, ou malheureusementpour lui, n’en put voir la férocité.

Dans ce moment, Nina haïssait assez sonancien ami pour le tuer sur-le-champ si elle en avait eu lapossibilité sans crainte du danger ou du scandale.

Ainsi il était venu du bagne jusqu’àelle non point, comme elle l’avait trop vite supposé, poussé par lesouvenir ardent de leurs anciennes amours, mais pour lui poserdes questions sur le collier.

Évidemment, il avait dû le reconnaîtreou tout au moins avait-il de forts soupçons. Dans tous les cas, ilvenait d’agir avec une maladresse qu’elle se jurait de lui fairepayer cher…

« À propos de mon collier,fit-elle, avec une tranquillité glaciale, il faut que je vous disequ’ayant eu besoin d’argent, je l’ai vendu !…

– Peut-on savoir à qui ?questionna Palas… Je suis sûr que mon ami l’eût payé trèscher.

– Votre ami ou vous ?… »interrogea sur un ton net et brutal la terrible femme…

Et comme Palas ne savait que répondre,tout désemparé par cette attaque directe…

« Avouez donc ? ajouta-t-elle,en se levant, avouez donc, cher monsieur d’Haumont, que vouseussiez désiré faire un beau cadeau à votre jeunefemme !… »

Il s’était levé… Il comprenait qu’on nedésirait point qu’il prolongeât sa visite.

Du reste, il ne savait plus beaucoup oùil en était. Et puis il lui était insupportable d’entendre cettecomédienne lui parler de sa femme… Nina perçut encore cela, ce quil’incita naturellement à continuer :

« Savez-vous bien queMme d’Haumont est très jolie ?… Tous mescompliments !… »

Il prit congé hâtivement, sentant qu’ilétait prêt à commettre quelque sottise irréparable. Cependant, ileut encore la force de dire qu’il reviendrait pour traiterdéfinitivement de la fête de charité.

Il se retrouva dehors sans savoircomment, après s’être heurté au docteur Ross qui entrait, et avoirbousculé la soubrette qui leur ouvrait la porte à tousdeux.

Il allait, se répétant :« Elle m’a reconnu !… Elle m’a reconnu !… »Mais, au fond, il n’en était pas si sûr que cela, car enfin !…si elle l’avait reconnu, il n’y avait aucune raison pour qu’elle nel’eût point confondu irrémédiablement ! Elle lui eût jeté sonvrai nom à la figure tout de suite ! C’était une femme quin’avait peur de rien !

Et puis, qu’avait-elle à redouter ?surtout de lui ? Dix minutes plus tard, il était sûr,absolument sûr qu’elle ne l’avait point reconnu.

Le docteur Ross avait trouvé Nina-Nohadans un état d’énervement et de fièvre qui fut pour lui l’occasiond’une de ces ordonnances dont il avait le privilège et lesecret.

Ces ordonnances-là, jamais on ne lesprésentait aux pharmaciens, pour lesquels il professait, ainsi quepour toute leur pharmacopée, le plus absolu mépris.

Du reste, il avait toujours les droguesnécessaires sur lui, de certaines poudres auxquelles le malade nerésistait pas, soit qu’il fût guéri, soit qu’il en mourût surl’heure. Les décès, néanmoins, avaient été assez rares dans saclientèle depuis qu’il exerçait sur la Côte d’Azur, et nous savonsque Nina-Noha avait plus que de la confiance en lui.

« Ah ! docteur ! je nesais ce que j’ai aujourd’hui ! Je suis nerveuse ! je suisnerveuse ! Tenez, je viens de recevoir la visite d’un hommecharmant, M. Didier d’Haumont ! Eh bien, j’ai été on nepeut plus désagréable avec lui, sans aucune raison ! Je dissans raison, parce qu’il venait demander mon concours pour une fêtede charité !…

– Qui,M. d’Haumont ? » demanda avec son flegme habituel ledocteur Ross.

Nina dut lui dire tout ce qu’elle savaitdu mariage du capitaine avec Mlle de la Boulays et de sonduel avec le comte de Gorbio.

« Qui, Mlle de laBoulays ? Qui, Gorbio ? »

Prétextant qu’il ignorait tout deschoses de l’Europe et des gens de France, ce singulier docteur necessait de poser des questions avec une insistance et quelquefoisune naïveté qui étonnaient, amusaient ou agaçaient ses bellesclientes.

« Il s’instruit », disaitNina, qui était la première à lui pardonner sonindiscrétion.

À part cela, c’était, sous des dehorsfroids, le meilleur garçon du monde, toujours prêt à rendreservice. N’était-ce pas lui qui avait déniché pour Nina cettecharmante petite soubrette, maligne comme un singe, qu’était Zoé,et dont le zèle primesautier et infatigable enchantait ladanseuse ?

Sans doute Mlle Zoé tenait-elle, deson côté, à remercier le docteur Ross qui lui avait procuré une sibonne place, car en reconduisant le médecin américain, elle leretint sur le seuil par un bavardage que l’autre écouta avec unepatience parfaite et un intérêt complaisant. Zoé aimait déjà samaîtresse. Elle venait s’enquérir de sa santé ! Elle dit touthaut :

« Madame se fatigue trop !Elle travaille tous les matins, elle répète tous les après-midi.Ainsi, aujourd’hui, bien qu’elle soit souffrante, elle ne manquerapour rien au monde sa répétition de quatre heures àl’Eldo !… »

Le docteur Ross hocha la tête,assujettit ses lunettes et s’en alla de cette allure compassée etguindée qu’il prenait sans doute pour de la distinctioneuropéenne…

……………………

C’était un être tout à fait original quece docteur Ross. D’abord, il ne soignait que ceux qui luiplaisaient, et encore « quand il était en train »,prétendait Nina, laquelle entretenait volontiers ses amis despetites manies de son « Peau-Rouge », comme ellel’appelait (elle ne croyait pas si bien dire). Elle citait des casoù il avait refusé de se déranger, bien qu’on lui promît des sommesconsidérables. En revanche, on le savait pitoyable aux pauvres, etce n’était un secret pour personne qu’il allait assez souvent fairesa tournée dans les plus humbles cabanes de la côte.

Les pêcheurs de Villefranche, enparticulier, s’honoraient de sa visite, et il n’était point jusqu’àun certain Sylvio, dont la jambe, à la suite de quelque accident,se trouvait dans un fâcheux état, qui n’eût à le remercier de sesbontés.

Ce matin même, c’est encore la porte dela cabane du pauvre pêcheur, accroupie entre deux rochers, quepoussa la main bienfaisante du chirurgien de Chicago.

Il y a, entre ces murs humides, danscette pièce sombre et basse, une grande désolation. D’abord ce sontles soupirs de la Ficelle qui pleure sa propre mort, laquellel’attache à ces lieux obscurs et sans joie, loin du sourire de Zoé.Il a pu lire dans les feuilles que le chauffeur deM. de Saynthine s’est noyé avec son maître dans cettemalheureuse promenade qui devait se terminer par une si terriblecatastrophe…

« Monsieur Hilaire ! grognaChéri-Bibi, vos plaisanteries ne cesseront donc jamais ! J’aiconnu un temps où le seul fait de vous trouver à mes côtés eûtsuffi à votre bonheur !

– Certes, monsieur lemarquis !… Pardon ! mon cher monsieurSylvio !…

– Vous ne manquez de rien ici,reprit Chéri-Bibi, et vous ne risquez point d’y rencontrer uneépouse acariâtre.

– Évidemment !Évidemment !

– Eh bien, fais-moi donc leplaisir, la Ficelle, mon ami, de me laisser guérir tranquillementde cet accident stupide qui m’enchaîne à ce grabat comme Prométhéeà son rocher ! » (Nous avons appris, dans un ouvrageprécédent, que M. le marquis du T…, aliasChéri-Bibi,avait, pendant une des plus intéressantes périodes de sa vie,fréquenté les belles-lettres.)

Et Chéri-Bibi se remettait à geindrepour son compte.

Au fait, jamais le Titan, accablé sousles liens ingénieux que la main des dieux avait forgés pour lui, negrogna plus épouvantablement que le protecteur redoutable de Palas,réduit à garder un grabat à cause d’une méchante foulure quin’avait fait que s’enflammer depuis que, malgré l’avis de sonmédecin, il avait voulu aussitôt se remettre au travail…pour une besogne de justice et d’enfer dont M. Hilaire avaitencore le frisson…

La porte s’ouvrit donc devant ce bondocteur Ross, qui se mit immédiatement à son travail salutaire avecses onguents spéciaux et ses cataplasmes.

Chéri-Bibi, soulagé, daigna luiexprimer, entre deux grognements, quelque reconnaissance, aprèsquoi, il lui demanda s’il y avait du nouveau du côté de laNina-Noha.

Cette Nina-Noha n’avait cessé, depuis leretour de Chéri-Bibi en Europe, de préoccuper celui-ci. Tout cequ’il savait d’elle et tout ce que Palas, pendant ses années debagne, lui en avait appris l’avait toujours incité à penser qu’ellen’était point étrangère aux malheurs judiciaires de Raoul deSaint-Dalmas et qu’elle devait en savoir long sur la mort dubanquier Raynaud.

Chéri-Bibi avait, lui aussi, remarquéplusieurs fois le collier que portait la danseuse, et quand sonenquête autour de Nina-Noha lui eut appris les rapports del’ancienne amie de Palas avec Gorbio, chose qu’ignorait encorePalas, il n’avait pas hésité à diriger sur elle le docteur Rossd’abord, puis à placer auprès de Nina cette petite Zoé, chargée delui rapporter tout ce qui se passait et se disait dans lamaison.

Pourquoi Zoé ? Parce que Zoéparlait l’italien, et que le comte et Nina, entre eux,s’entretenaient souvent dans cette langue.

Ce que Zoé, ce matin-là, avait entendu,vu et compris était d’importance ! Aussi le docteur Rosseut-il un certain succès quand il eut répété ce que lui avait ditla soubrette d’occasion.

Chéri-Bibi ne s’était donc pastrompé ! C’était bien là le collier volé au banquier, etl’assassin de Raynaud, d’après la conversation surprise, ne pouvaitêtre que Gorbio !…

Or, la preuve de tout cela étaitenfermée dans un meuble chez Nina !…

Chéri-Bibi eut un rugissement detriomphe et sauta de son grabat.

Hélas !… Il y retomba aussitôt avecun gémissement de rage et de douleur…

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