Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XXXII – Madame Martens

L’événement était formidable, mais ilfaudrait peu connaître l’état d’esprit d’un magistrat commel’avocat général Martens, c’est-à-dire d’un homme qui n’obéit qu’àsa conscience et qui a toujours ignoré les mouvements du cœur, pourimaginer que la preuve que l’on venait d’apporter de la culpabilitéde Gorbio dans une affaire, du reste, que l’on n’avait pas à juger,pût, une seconde, ébranler sa conviction en ce qui concernait leprocès actuel !

Et il ne fut pas long à ramener lesdébats sur leur véritable terrain : le double assassinat del’Auberge des Pins.

Enfin, pour combattre dans l’esprit desjurés l’impression produite par les incidents précédents, iln’hésita pas à leur faire part d’une hypothèse qu’il considéraitdéjà, quant à lui, comme une certitude. Depuis longtemps, Gorbio etl’accusé avaient partie liée. Gorbio, Saint-Dalmas, Nina-Noha, toutcela formait un bloc que l’on trouvait à l’origine de l’affaireRaynaud.

Si Gorbio avait été le principalcoupable, comme les documents nouveaux semblaient l’attester,Saint-Dalmas avait pu être son complice !…

Or, comme M. Martens venait deprononcer ces paroles funestes, Gorbio n’eut garde de laisserpasser à côté de lui une aussi belle planche de salut sans s’yjeter. Le misérable se leva et commença à déclarer qu’en effet iln’avait dans cette première affaire qu’été l’instrument deSaint-Dalmas, qui lui avait indiqué lecoup !

Le malheur pour Gorbio, et nous pouvonsbien dire aussi pour M. Martens, fut que ces explications neconvainquirent personne. Bien au contraire. Une rumeur de mauvaisaugure accueillit le mensonge évident qui sortait des lèvres pâlesde Gorbio. Quant à Palas, il était encore si enivré d’un événementqui le libérait aux yeux de tous de son infamie passée qu’il necomprit point tout d’abord ce qui « se manigançait »contre lui.

Soudain, il entend ! Gorbioose !… Alors il se lève ! Cette fois, il tremble d’unefureur sainte. Si jusque-là il est resté maître de lui, maintenantil ne retient plus sa colère. Et il écrase Gorbio d’uneprotestation si éclatante et si éloquente. que la salle en estsoulevée : public, jurés, magistrats ! De tels bravoséclatent au fond de la salle que le président n’essaie point de lesarrêter !… Du reste, à la façon nouvelle dont le présidentinterroge l’accusé, on sent qu’il y a quelque chose de nouveaudans le cœur de tous (excepté chez M. Martens) :l’espoir que Palas est innocent de tout !

« Vous continuez de prétendre, ditle président à l’accusé, que Gisèle est votrefille !

– Oui, Monsieur leprésident !

– Et Gisèle sait que vous êtes sonpère ? »

Alors, nouveau coup de théâtre. Leprésident annonce que, usant de son pouvoir discrétionnaire, il vadonner l’ordre d’introduire Gisèle, dont la santé est meilleure, etqui sera entendue à titre de simple renseignement…

M. Martens, étonné, se retournevers le président et lui demande, pendant que toute la salle, dansune nouvelle rumeur, attend impatiemment l’entrée deGisèle :

« Comment avez-vous su qu’elleallait mieux ? Et qui vous l’aamenée ? »

À quoi le président répond d’un geste enmontrant, derrière lui, au premier rang des privilégiés quiassistaient aux débats sur l’estrade de la cour, une femme… Etcette femme c’est Mme Martens !

L’avocat général n’eut même pas le tempsde s’appesantir sur cette incroyable, sur cette inexplicableattitude de sa femme… Gisèle entrait !… Elle était accompagnéepar deux femmes de la maison de santé. L’une d’elles la soutenait.La pauvre enfant paraissait inquiète, craintive, en dépit desparoles d’encouragement qui lui étaient prodiguées… Soudain elleaperçut Françoise et rien ne la retint plus. Elle alla se jeterdans ses bras en pleurant…

Ce fut Françoise qui la soutint à labarre et lui dit de bien écouter ce que lui disait le président.Jusqu’alors elle n’avait pas encore aperçu Palas, qui, retombé surla barre, n’avait plus la force de pleurer… mais voilà que leprésident lui dit, en montrant l’accusé :

« Pourriez-vous me dire, monenfant, qui est cet homme ? »

Gisèle se retourna et vit « cethomme » entre les gendarmes. Elle tressaillit de la tête auxpieds. Ses yeux s’agrandirent. Visiblement, elle faisait un effortpour comprendre. Et peut-être comprenait-elle ?… Ellerépondit :

« C’estM. d’Haumont ! »

Le président continua :

« Est-ce votrepère ? »

Et toute la salle était comme suspendueaux lèvres de la jeune fille… Palas, comprenant que son sortdépendait des mots qui allaient être prononcés, s’était levé… Ilétait penché sur la réponse de Gisèle.

Et Gisèle dit :

« Je n’ai jamais connu monpère ! »

La malheureuse, dans sa demi-folie, outout au moins dans son esprit troublé, s’était dit : « Onsait sans doute que mon père était forçat. Si je dis queM. d’Haumont est mon père, c’est moi qui le dénoncerai à lajustice… » ou quelque chose d’approchant. Enfin elle avaitvoulu sauver son père… elle le perdait !

Il y eut un immense soupir dedésappointement. Derrière le président on entendit une sourdeexclamation et comme un sanglot.

C’est en vain que Palas, montrantGisèle, s’écriait :

« Mais vous voyez bien que sapauvre mémoire !…

– Assez ! on a assez torturécette enfant ! interrompit l’avocat général, triomphant…la cause est jugée !

– Pardon !monsieur l’avocat général, répliqua aussitôt et fort calmement leprésident… Elle sera jugée lorsque je ledirai ! »

Et se tournant versPalas :

« Si Gisèle est votre fille, vouspouvez nous dire au moins où elle est née ? »

Palas avait retrouvé tout son calme.Droit, les bras croisés, il semblait fixer le président… Enréalité, il regardait une autre personne derrière leprésident… une autre personne qui souffrait peut-être plus quelui…

« Non, monsieur le président, je nepeux pas vous le dire ! car ce serait vous dire qui est samère !

– Et vous ne voulez pas nous direqui est sa mère ?

– Non, monsieur leprésident ! »

Sur quoi l’avocat général, railleur, fità Palas :

« Sans doute une questiond’honneur ?

– Oui, monsieur l’avocat général,une question d’honneur ! »

Alors M. Martens :

« Ça, c’est l’alibi de tous lesbandits qui ne peuvent donner l’emploi de leur temps aprèsl’assassinat ! »

Palas, qui le brûle de sonregard :

« Finissons-en donc ! etcondamnez-moi ! »

Le président se lève en déclarantl’audience suspendue… On a emmené Gisèle quasi évanouie dans unepetite salle adjacente.

Et maintenant l’avocat général, seuldans son cabinet, semble savourer sa victoire prochaine. Il va laremporter contre tout le monde, contre le président lui-même qui,un instant, a penché pour Palas, enfin contre safemme !

Sa femme, justement, la voici !Elle referme la porte du cabinet d’une main défaillante. Et ellen’a plus la force de faire un pas. Elle s’appuie contre cette portepour ne pas tomber. Elle a une figure de morte !

M. Martens met toute cette terreursur la crainte qu’il inspire. Cette femme a commis la faute des’occuper des affaires de justice, elle a poussé l’audace jusqu’àprendre une initiative qu’il lui reproche comme uncrime !…

« De quel droit êtes-vous alléechercher Gisèle ? Me le direz-vous ? »

Et, tout à coup, elle le luidit :

« La mère de Gisèle, c’estmoi !… »

Que se passa-t-il ensuite entre ces deuxêtres ? Peut-être une scène formidable… peut-être lesilence !…

Toujours est-il que ceux qui virent serouvrir la porte du cabinet de l’avocat général virent sortir deuxspectres…

À la reprise de l’audience, l’un de cesspectres se levait. Il était habillé d’une robe aux parementsrouges…

« L’accusé avaitraison ! » déclara M. Martens d’une voix qu’on nelui connaissait pas… « Il est le père de Gisèle !…C’est la mère de Gisèle qui va venir elle-même à cette barrepour confesser sa faute… Que dis-je ? sa faute ? soncrime ! »

Que de mouvements ! qued’exclamations ! Qui donc est cette femme ?… Quel est cetémoin nouveau qui s’avance ?… Des cris ! Un nom répétépar toutes les bouches !… Le second spectre est apparu :c’est Mme Martens !…

C’est la femme de l’avocatgénéral !…

Elle va tomber ; l’huissier seprécipite, la soutient jusqu’à la barre…

« Jurez de dire toute lavérité ! » lui dit le président dont la voix trembled’émotion.

Elle lève la main… une main si pâlequ’elle semble appartenir déjà au tombeau.

« Je le jure !…M. d’Haumont… est bien… le père… de… »

Et puis elle s’effondre.

Cette femme est peut-être morte… maisPalas est sauvé.

L’avocat général s’écrie d’une voixrauque :

« J’abandonne l’accusation !Au nom de la justice, je demande à MM. les jurés d’acquittercet homme, et je requiers la cour de prononcer sa libérationprovisoire en attendant la révision de son premier procès !…Quant à moi, je n’ai plus le droit d’occuper cetteplace ! »

Et il s’en va en chancelant !…C’est la fin d’une honnête carrière !…

Comment essayer de rendre l’émotion,l’enthousiasme avec lesquels furent accueillis l’acquittement et lalibération de Palas ? On fit à M. d’Haumont et àFrançoise, qui avaient placé la petite Gisèle au milieu d’eux, uncortège triomphal jusque sur les marches du Palais de Justice…Devant eux se levait le matin… un matin radieux !… Les débatss’étaient prolongés jusqu’à l’aurore… la véritable aurorenouvelle ?…

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