Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XXXI – Où Chéri-Bibi produit son petiteffet

Ce jour-là, il y avait grand émoi auPalais de Justice. L’audience qui se préparait promettait d’êtrel’une des plus sensationnelles du procès d’Haumont. Les mieuxrenseignés prétendaient même qu’elle serait décisive, car le bruitcourait que des éléments nouveaux allaient apporter une lumièrecomplète sur toute l’affaire.

C’est dire que, bien avant l’heure del’ouverture des portes, la salle d’audience était assiégée par unpublic de plus en plus impatient. Un événement imprévu vint porterà son comble l’énervement général. On vit passer soudain dans uncoin du Palais, poussé hâtivement vers le couloir qui conduisaitaux salles réservées aux témoins, un couple fortement encadré depoliciers. Et, dans ce couple, on reconnut le comte de Gorbio etNina-Noha !…

Nina-Noha était donc arrêtée, elleaussi. La nouvelle n’en était pas encore parvenue en province. Ellese propagea au Palais et en ville avec une rapiditéfoudroyante.

Du coup, comme il était certain que lecomte et son ancienne maîtresse (qui avait été aussi l’amie dujeune Raoul de Saint-Dalmas) allaient déposer à cette audience, cefut une ruée vers la cour d’assises. Le service d’ordre fut débordéet le public se précipita dans la salle en criant et ens’écrasant.

Quand le président connut ce qui sepassait, il demanda à « la place » du renfort et n’ouvritles débats qu’après avoir admonesté le public et l’avoir menacéd’une expulsion immédiate à la moindre manifestation. Onconnaissait l’antienne. Elle n’épouvantait plus personne. Du reste,on était si curieux de voir et d’entendre, que c’est dans lesilence le plus parfait qu’on l’entendit commander àl’huissier : « Faites entrerMme d’Haumont ! »…

C’était le tour des témoins à décharge.Il était temps qu’ils arrivassent. Les deux dernières audiencesavaient été désastreuses pour l’accusé. En particulier, ladéposition de l’amie de Mme d’Erland avait produit un effetdéplorable. Cette excellente personne avait raconté avec candeurtout ce qu’elle avait vu et tout ce qu’elle savait desrelations de M. d’Haumont avec le petit mannequin dessœurs Violette. Et elle en savait long (par exemple sur lesstations de M. d’Haumont dans la rue… des heures, messieurs,il attendait cette petite sur le trottoir !… et rien nel’empêchait de voir Gisèle à son magasin ou même chezMme Anthenay ! concluez !) et elle en avait vu assezpour savoir à quoi s’en tenir sur la nature de cesrelations-là !

Chez la bonne Mme d’Haumont même,qui en souffrait atrocement, mais qui ne disait rien pour éviter lescandale, la pauvre martyre !… dans les jardins de la villaThalassa, le témoin avait vu, de ses yeux vu, les deuxamoureux se promenant la main dans la main, échangeant desbaisers et s’écartant l’un de l’autre dès qu’un domestiquepassait !…

Cette fâcheuse déposition avait étésuivie de celle de Mlle Violette aînée qui avait été encoreplus néfaste à l’accusé si possible. Et pourtant, elle ne doutaitpoint, elle, de l’innocence des rapports de M. d’Haumont et deson employée. Mais tout ce qu’elle en rapportait ne faisaitqu’accroître la certitude de ceux qui soutenaient la thèseopposée.

Mlle Violette avait été bien naïvede s’en faire « accroire » ainsi ! Enfin rien,jusqu’alors, ne venait démontrer que Mme Anthenay n’étaitpoint la vraie mère de Gisèle, quoi qu’en prétendîtd’Haumont ! Pour cela, il aurait fallu que l’accusé produisîtles papiers trouvés par Gisèle la nuit de la mort deMme Anthenay. Or, Gisèle les avait brûlés sur les conseils ded’Haumont ! Quelles histoires ! personne n’y croyaitplus !…

Voilà donc où en étaient les affaires dePalas quand Françoise parut à la barre. Un murmure de pitié l’yaccompagna. Elle comprit de quelle sorte d’« intérêt »elle était entourée et tout de suite, dès qu’on lui eut donné laparole, elle s’éleva avec indignation contre ce sentiment généralqui l’offensait.

« On me fait l’injure de meplaindre comme une victime qui a été odieusement trompée par leplus lâche des hommes… Je proclame très haut que, quels que soientles événements passagers qui vous aveuglent, je ne mérite laplainte de personne puisque j’ai l’orgueil d’être la femme d’unhéros et d’un martyr ! »

Cette jeune femme qui était apparue sifragile se dressait maintenant au-dessus de la salle et l’avaittout entière dans sa petite main… cette main qu’elle tendait avectant d’amour vers Palas.

Déjà tous les cœurs étaient frémissants,brûlés par la flamme d’une parole sincère. On ne doutait plusd’elle, au moins !… Non, Françoise ne jouait pas une comédiesublime. Elle croyait !…

Et elle continuait en montrant son mariqui, dans l’instant, bénissait le Ciel de tous ses malheurs, quilui étaient payés par cette minute divine… ellecontinuait :

« Oui ! un martyr !…d’abord injustement condamné pour l’assassinat du banquierRaynaud !… »

À cette affirmation audacieuse qui sedressait outrageusement contre tout l’appareil judiciaire, l’avocatgénéral Martens se leva et parut devoir briser d’un coup l’éland’un témoignage qui avait toute la couleur d’une admirable défensepurement sentimentale, par ces mots ironiques destinés à ramenerles esprits au terre à terre des responsabilitésétablies :

« Mme d’Haumont, fit-il,Mme d’Haumont pourrait peut-être nous dire qui a assassiné lebanquier Raynaud ?… »

La pauvre femme resta tout interloquée.Elle allait cependant répondre quelque chose, mais elle n’en eutpas le temps.

Quelqu’un, au fond de la salle, réponditpour elle.

« Je le sais, moi, qui a assassinéle banquier Raynaud ! »

Toutes les têtes se tournèrent verscelui qui avait prononcé cette parole énorme… Le président ordonnaqu’on l’amenât à la barre.

En quelques enjambées qui avaient toutbousculé autour de lui, il y était déjà…

Et l’on se demandait qui pouvait être cecolosse à la figure à la fois farouche et débonnaire, quand il pritsur lui de renseigner immédiatement tout le monde :

« C’est moiChéri-Bibi ! »

Ce fut une rumeur, comme un bruitd’épouvante qui répéta à tous les échos de la salle :« Chéri-Bibi ! Chéri-Bibi ! C’estChéri-Bibi !… »

Les magistrats eux-mêmes ne disaientplus rien. Ils le regardaient. Ils voyaientChéri-Bibi !…

« Eh bien, oui ! quoi, c’estmoi, Chéri-Bibi ! pour la quatrième fois en rupture deban ! Appelez donc les gendarmes, n… deD… ! »

De fait, les gendarmes, il les eut. Ilsvoulurent même lui mettre les menottes.

« Non, fit-il, maintenant, mesenfants, vous allez trop vite. Attendez que j’aie déposé, aumoins ! »

Et, tourné vers leprésident :

« Mon président, j’ai des choses dela dernière importance à vous communiquer, mais je désireraisparler devant deux témoins que j’ai croisés tout à l’heure dans lecorridor… Vous saurez toute la vérité quand le comte de Gorbio etsa Nina-Noha seront ici !… »

Tout cela était tellement imprévu quec’était Chéri-Bibi qui semblait maintenant diriger lesdébats.

Le président fit un signe. On introduitGorbio et Nina.

Tout le monde était debout dansl’attente d’une scène prodigieuse… On entendait les cris de ceuxqui, derrière, à moitié étouffés, ne voyaient rien :« Assis ! Assis ! »… Et la voix duprésident : « Vais faire évacuer lasalle ! »

Gorbio et Nina se trouvaient maintenantdans le prétoire et regardaient Chéri-Bibi sans comprendre. Enfinla chose éclata :

« L’assassin du banquierRaynaud, le voilà ! » s’écriait Chéri-Bibi endésignant Gorbio… « Et voici sacomplice !… » ajouta-t-il en montrantNina.

Le comte et sa maîtresse s’étaientsoulevés au milieu d’une agitation formidable. Ils protestaient,ils criaient. Ils accablaient le témoin d’outrages.

Le président renonçait à se faireentendre. Il allait se lever quand Chéri-Bibi le retint, d’unsigne.

Chéri-Bibi sortait de ses poches lecollier et les papiers. Il les glissa rapidement sous le nez deGorbio et de Nina, et les mit dans la main de l’huissier qui lesdéposa devant le président !

« J’apporte mes preuves !fit-il, signées des coupables !… »

Cette fois, on ne pouvait plus douter,il n’y avait du reste qu’à considérer un instant l’effondrement deGorbio et de la danseuse pour savoir à quoi s’en tenir.

Il y eut dans la salle un tel mouvementspontané de fureur contre les deux misérables que l’on put croireque la vague qui déferlait contre eux allait toutengloutir !

Heureusement, Chéri-Bibi était là… Iln’eut qu’à se retourner et à lever ses poings formidables pour que« le flot reculât, épouvanté !… »

« Vous n’allez peut-être pas lestuer avant qu’on les juge !… Et maintenant, monsieur leprésident, que vous avez la vérité sur l’affaire Raynaud, vouspouvez le croire quand il vous dit que Gisèle est sa fille !En ce qui me concerne, je n’ai plus rien à faire ici !Gendarmes ! faites votre devoir ! les menottes ! etqu’on me ramène au bagne ! Et au trot, s. v. p. !Voilà trop longtemps que je suis privé de la chiourme… Loindu « pré », moi, jem’ennuie ! »

Mais avant que les menottes ne vinssentenserrer les poignets du bandit, une petite main s’était glisséeentre les siennes : c’était celle deFrançoise !

Palas, à son banc,sanglotait.

« Adieu, Palas ! jetaChéri-Bibi avec un rauque sanglot qui lui déchirait la gorge.Adieu, mon poteau ! Tu sais, si t’as besoin de moi, fais-moisigne ! Je t’entendrai delà-bas ! »

Palas s’était soulevé et lui tendait lesmains. Aucune force ne put arrêter le bandit. Les deux hommess’étreignirent dans le silence solennel et angoissé de tous !…Seule la voix de M. Martens s’éleva :

« Ah ! on s’entend bien aubagne ! »

Mais Françoise lui répliqua, au milieud’applaudissements qui firent crouler la salle :

« Au bagne, où vous avez envoyé monmari dix ans pour un crime qu’il n’a pas commis ! Il n’y aqu’un homme qui a cru à son innocence ! Et cet homme, c’estChéri-Bibi ! Permettez à mon mari de lui dire au moinsmerci !

– Ça, elle est chouette, la petitedame », fit une voix au fond de la salle.

Et c’était Zoé qui, fort émue desembrassements de Chéri-Bibi et de Palas, s’était jetée sur l’épaulede Yoyo !

La Ficelle voulut la prendre pour lamettre sur la sienne. Yoyo le fixa avec son regard« peau-rouge » ! La Ficelle n’insistapas.

« Tu comprends, lui dit Yoyo, jel’emmène ! Nous suivons Chéri-Bibi là-bas !… Rien net’empêche de nous accompagner avec ta Virginie !…

– Je suis trop vieux ! soupirala Ficelle…

– Envoie-moi despruneaux ! » fit entendre la voix de Chéri-Bibi quipassait entre ses gardiens.

« Fatalitas !v’làencore monsieur le marquis bouclé ! »

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