Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

IX – Chéri-Bibi et Palas

Le lendemain matin, quand, par la porteentrouverte de sa cabane, Chéri-Bibi vit venir à lui la silhouettede son Palas, il se sentit tout frissonnant d’un orgueil biencompréhensible !… Ne l’avait-il pas débarrassé de ses piresennemis ?

Bientôt, dès qu’il pourrait remuer ses« jambes de laine », une dernière expédition luilivrerait le collier qui prouverait au monde l’innocence de celuiqui avait été Raoul de Saint-Dalmas !…

Ah ! la route était déblayée !Maintenant on respirait un air pur qui ne risquait point d’êtreempesté tout à coup par certaines odeurs de bagne que traînaienttoujours avec eux ces ennemis du genre humain qu’étaient l’affreuxArigonde, le repoussant Fric-Frac, le blême le Bêcheur et le hideuxCaïd, tous défunts, sinon pour la plus grande gloire (carChéri-Bibi ne faisait point afficher sur les murs ses bellesactions), du moins pour la plus grande jubilation intime duprotecteur de Palas !…

Donc Palas s’en venait tout doucementvers l’humble demeure du pêcheur Sylvio…

Il marchait la tête basse, et Chéri-Bibine put voir sa physionomie que lorsqu’il fut à quelques pas delui…

Tout de suite il fut frappé par un airde désolation qui le surprit plus qu’on ne saurait dire. Lui quiavait préparé son plus engageant sourire (le sourire deChéri-Bibi !) en resta tout pensif !

Le plus inquiétant était que Palas nedisait rien encore !…

Il serra la main de Chéri-Bibi et selaissa tomber sur un escabeau, sans même demander des nouvelles dela santé de son ami…

Chéri-Bibi, de plus en plus angoissé,ferma sa porte et demanda sur le ton le plus tendre à Palas« ce qu’il avait ».

« Il y a que je suis à bout delutte ! » laissa tomber Palas avec un grand soupir quiporta l’émotion de Chéri-Bibi à son comble…

« À bout de la lutte ?… Contrequi ?… Contre quoi ?…

– Il y a que par moments, continuaPalas, et je ne te cache pas, Chéri-Bibi, que je suis dans un deces moments-là, je regrette lebagne !… »

En entendant ces mots, le bandit se levasi brusquement qu’il renversa tout l’échafaudage sur lequelreposait l’équilibre de son poêle et son organisation tuyautière,ce fut un beau tapage et un grand encombrement dans la petitepièce. Mais Palas était tellement entrepris par ses sombres penséesqu’il sembla ne s’être aperçu de rien et ne tressaillit mêmepoint !…

Chéri-Bibi avait croisé les bras, aucentre de tout ce tohu-bohu, et demandait, d’un air qu’en dépit decet incident ridicule il tendait de rendretriomphant :

« Est-ce que le Parisien, leBêcheur, Fric-Frac et le Caïd ne te laissent pas, maintenant, bientranquille ? »

Palas secoua la tête :

« Possible ! fit-il d’une voixsourde… mais écoute bien, Chéri-Bibi, Gorbio aussi connaît monsecret et il est venu me menacer jusque chez moi, pas plus tardqu’hier !

– Ah ! oui ! vraiment,rugit Chéri-Bibi. Celui-ci aussi connaît ton secret !… Ehbien, tranquillise-toi, il ne sera pas plus difficile de tedébarrasser de Gorbio que du Parisien et de sabande. »

Palas, en entendant ces mots, étaitdevenu pâle comme un linge.

« Que veux-tudire ? »

Et il se leva en regardant Chéri-Bibijusqu’au fond des yeux…

Chéri-Bibi ne saisit pas tout d’abord lesens du mouvement de Palas. La question que celui-ci lui posaits’accompagnait d’une émotion qui le trompa même tout à fait. Ce« que veux-tu dire ? » lui parut tout tremblantd’espoir sur les lèvres de Palas.

« Que veux-tu dire ? »c’était sous-entendu : « Est-il bien possible que tum’aies réellement débarrassé à tout jamais du Parisien et de sabande et que tu sois prêt à en faire autant pour ce Gorbio qui megêne ? »

C’est donc avec un sourire des plussatisfaisants que le bon et redoutable Chéri-Bibi répondit, tout ensoulignant d’un clignement d’œil sa pensée : « Jeveux dire que Gorbio non plus n’est pas à l’abri desaccidents !… »

Mais il n’avait pas achevé cette phraseque Palas, qui, cette fois, avait tout compris, car il connaissait« son homme », s’écartait de Chéri-Bibi en chancelantd’horreur…

« Tu as fait cela !… Tu asfait cela !…

– Eh bien, oui… Mais ?…qu’est-ce qu’il t’arrive ?… qu’est-ce que tu as ?… Tu nevas pas te trouver mal !… »

Mais Palas reculait toujours, la main enavant comme pour se parer du contact de cet homme terrible qui,inconsciemment, l’avait fait son complice… complice de ce crimenouveau, formidable !…

À cause de lui, cet homme avaittué !… Palas avait cru à un accident… providentiel… à unhasard. Un hasard !… Il s’appelait Chéri-Bibi, lehasard !… et il avait massacré Arigonde, Fric-Frac, leBêcheur, le Caïd !… et il ne demandait qu’à continuer, lehasard !…

Chéri-Bibi, complètement effaré parl’incompréhensible attitude de Palas, se pencha sur lui comme surune énigme indéchiffrable et il répéta même, dans unbredouillement :

« Qu’est-ce qu’il y a ?qu’est-ce qu’il y a ?

– Ne m’approche pas !… Nem’approche pas !… Ne me touche pas ! »

Pauvre Chéri-Bibi qui s’attendait à desfélicitations !… Tout à coup il fut foudroyé par cette penséeque Palas n’était pas content !… Alors il eut unevraie colère d’enfant : « Ça, par exemple, ce serait tropbête !… Tu ne vas pas les regretter ?… »

Et comme l’autre se taisait, écrasé parl’idée trop lourde de ce quadruple assassinat :« C’étaient des bandits ! » jeta Chéri-Bibi dans ungeste magnifique…

« Et nous ? et nous ?qu’est-ce que nous sommes ?… »

À ces mots, Chéri-Bibi, qui avait une sihaute opinion de lui-même et qui croyait l’avoir fait partager àPalas, crut que ce dernier était devenu subitement fou et iltraduisit sa pensée intime en frappant à deux reprises son largefront de son index noueux…

« Mais tu ne vois donc pas,reprenait Palas haletant, tu ne vois donc pas que tu me faishorreur !… Chéri-Bibi ! Chéri-Bibi ! tes mainsseront donc toujours rouges de sang !… Tu m’as fait toncomplice !… ton affreux destin pèse sur moi !… Je ne veuxplus voir ton visage ! tu me soulèves lecœur !… »

Cette dernière phrase, plusparticulièrement, fut sensible à un homme qui avait tant fait pourPalas… Être traité ainsi par son ami le plus cher, auquel on adonné tout le sang des autres !…

Chéri-Bibi se redressa dans une attitudede grave dignité et répliqua avec une ironiesuprême :

« Monsieur d’Haumont, je constateavec regret que, quoi que je fasse, je ne puis réussir qu’à vousoffenser !… Oui ! oui ! je sais que je renferme tousles vices !… Le pire des hommes, à côté de moi, est blanccomme neige ! Défunt Arigonde lui-même n’était qu’un agneau,si l’on jette un regard sur mes méfaits sans bornes… Moi, jetrouble tout !… Je serais capable, comme dit l’autre,d’apporter la concorde dans l’enfer ! et voilà quej’apporte l’enfer dans le cœur d’un honnête homme !…Pardon !… Palas !… »

À l’amertume avait succédé une réelledouleur…

C’est presque en pleurant qu’ilsoupira : « Pardon, Palas. » Mais Palas était déjàloin, fuyant cette tanière maudite…

Alors, resté seul avec son désespoir,Chéri-Bibi s’arracha les cheveux dans un vraidélire :

« Fatalitas !hurlait-il, trois fois fatalitas ! » et, du mêmecoup, tout l’humble argot du bagne lui remonta à la gorge :« J’défargue le plancher des vaches de quatre godins, etj’suis engueulé comme si j’avais chouriné quatre enfants dechœur ! » (Je débarrasse la terre de quatre banditset je suis traité comme si j’avais assassiné quatre honnêtesgens.)

Il montra le poing au ciel, ce qui nelui arrivait que dans les très grandes occasions.

« Vous l’avez entendu :« Ta vue me soulève le cœur !… Je ne peux plus voir tonvisage ! » Sang et tripes ! Mon saladier dégoûtemonsieur !… Nous verrons si tu feras encore « tonpatagueule » (ton dégoûté) quand je t’amènerai l’collierd’la danseuse pour blanchir l’grimoir’ des mouches (ton casierjudiciaire) !… »

Et Chéri-Bibi, éperdu et une fois deplus sublime, cherchait le bâton qui devait soutenir son pas encorechancelant dans l’expédition dont il espérait voir sortirtriomphante l’innocence de l’ingrat !… »

Aussi le docteur Ross qui, sur cesentrefaites, entrait dans sa bauge, fut-il bien reçu quand il émitl’idée de procéder à un pansement nécessaire.

« La médecine aux chiens ! luiglapit Chéri-Bibi sous le nez… Garde tes purges et tes emplâtrespour la civilisation, comme dit l’autre ! Guéris-la si tu peuxavec tes onguents !… À chacun sa manière ! moi, j’soignela société, j’soigne la société comme je peux !… avec ma pincemonseigneur, et aussi (quand il le faut, il le faut !Bouche-toi les cliquettes, Palas !) avec mon couteau, dans unegaine de chair, jusqu’au manche !… »

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer