Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XIII – Deux voix dans la tempête

Nous avons vu comment, pour échapper auxcoups que lui préparait Gorbio, Palas était retourné chez Nina dansle fol espoir de trouver auprès de la danseuse une arme desalut.

Et c’est Gorbio lui-même qu’il avaitrencontré !

Cette union, insoupçonnée de luijusqu’ici, finissait de l’accabler et en faisait un pauvre homme,errant dans les avenues désertes autour de la villa, ne sachantplus ce qu’il devait faire ni où il devait aller, ne se ledemandant même point, étant aussi incapable, dans le moment, dediriger ses pas que la marche de sa pensée…

Il avait cru que Nina, pour qui il avaittant souffert, aurait pitié de lui, et qu’après l’avoir reconnuelle lui tendrait un bras secourable pour l’aider à sortir del’abîme.

C’est elle qui l’y précipitait ànouveau, car il ne pouvait plus douter que ce ne fût elle quil’avait dénoncé à Gorbio !…

Et maintenant qu’est-ce que cet hommevoulait de lui ?…

Dans le remous fatal qui entraînaitPalas, le faisant tourner vertigineusement dans un cercle de plusen plus rétréci, au centre duquel se trouvait ce rocher funeste dubagne d’où il avait tenté, par un effort surhumain, de s’éloignerpour toujours et sur lequel, au bout de quatre ans, toutes lesforces de la société, plus redoutables quelquefois que celles de lanature, le ramenaient inéluctablement, dans ce maëlstrom où il sedébattait, déjà à moitié englouti, il ne pouvait pluss’accrocher qu’à Gorbio !… son plus cruelennemi !…

Pauvre ! lamentable !pitoyable Palas !…

Il était venu chercher le brassecourable de Nina et celle-ci lui montrait la main deGorbio !…

S’il laissait passer cette main, c’étaitfini de lui, fini du bonheur, fini de Françoise !… Mais, s’ilacceptait le secours de cette main-là, qu’adviendrait-il de luiquand il en subirait l’étreinte ?…

Gorbio ! Gorbio ! quelle hontepour une âme régénérée au feu de vingt batailles : dépendred’un Gorbio !…

Ah ! s’il n’y avait pas euFrançoise !… C’était son plus effroyable châtiment,Françoise ! comme elle avait été son plus grand bonheurdéfendu !… Dans le ciel pur qu’il avait entrevu, elle avaitété sa faute nouvelle ! Il avait été brave dans les combats,il avait été lâche dans l’amour ! Et aussitôt il avait étéentouré de nuées tragiques… Maintenant, il n’y voyait plusclair…

Maintenant, il dépendait deGorbio !…

Or, comme il en était là, le corps etl’âme grelottant au fond de la nuit et de sa misère, Gorbio vint àpasser…

Il marchait vite, enveloppé d’une longuecape qui lui cachait les bras. Il n’avait prêté aucune attention àce promeneur solitaire. Il fallut que Palas s’arrêtât, pour qu’ilreconnût Didier d’Haumont.

Il eut un brusque retrait de tout lecorps.

« Ah ! c’est vous !… Queme voulez-vous ?…

– C’est à moi à vous le demander,monsieur de Gorbio !

– Ici ?…

– Ici ou ailleurs,répondez-moi !… où vous voudrez, mais répondez-moi !…répondez-moi le plus vite possible ! Vous comprendrez que jene puis plus vivre ainsi !…

– Je vois que vous vous faitesbeaucoup de bile, monsieur d’Haumont. Vous avez bien tort !…Je vous affirme que vous avez tout à fait tort !…

– Encore une fois, je vous prie, jevous supplie de vous expliquer !…

– Je n’en ai pas le temps, moncher, je prends le train ce soir même pour Paris… À monretour !…

– Un mot, un mot tout desuite !… Ma vie est entre vos mains. Je ne suis pas un lâcheet je ne veux aucune grâce pour moi, mais que je sache au moins sije dois vivre ou disparaître !… et si je dois vivre, à quellesconditions ?

– Allons ! allons ! moncher d’Haumont, voilà une bien grande exaltation !… Reprenezvotre sang-froid, que diable ! À mon retour, nous bavarderonsde tout cela ! et vous verrez que nous serons lesmeilleurs amis du monde !… »

Le comte, ayant jeté ces derniers mots,s’enfonça dans la nuit, laissant Palas plus effrayé de sespromesses amicales qu’il ne l’avait été de ses menaces…

Palas, comme un enfant qui souffre,soupira : « Mon Dieu ! » Tout d’un coup, dansson désarroi, il vit surgir une ombre à son côté, une ombreconnue :

« Voulez-vous remettre un mot aupêcheur Sylvio, de la part du docteur Ross ? »

En même temps, l’ombre, qui n’étaitautre que celle de Yoyo, lui glissait une enveloppe dans la main etdisparaissait dans la direction suivie par le comte deGorbio…

Une commission pour Chéri-Bibi !Dans sa détresse, ce message mystérieux lui parut de bon augure… Entout cas, il donna un but nouveau à sa pensée…

Depuis qu’il avait fui la cabane dupêcheur Sylvio, après avoir prononcé des paroles terribles pour uneamitié qui ne les méritait pas, car les sentiments et les actionsde Chéri-Bibi ne pouvaient être appréciés suivant la commune mesurehumaine, Palas traînait au fond de lui un sourd remords…

Il avait été bien rapide à condamner desgestes qui n’avaient eu d’autre but que de le sauver… gestessanglants qui le remplissaient d’horreur, mais dont il n’avait pasle droit d’être le juge impitoyable, lui, le bénéficiaire et l’amide ce fléau du Destin qu’était Chéri-Bibi !

Et voilà qu’il avait l’occasion deretourner à la cabane du pauvre pêcheur… de celui qui n’était venusur cette terre que pour le protéger. Comme il allait lui ouvrirses bras et lui demander pardon !…

Malheureusement, ce soir-là, quand Palaspoussa la porte de la cabane qui dressait ses misérables planchesau bord des flots, Chéri-Bibi n’était pas là… (Il travaillaitencore pour toi, Palas ! ingrat Palas !) Et Palas, aprèsavoir laissé la lettre, reprit le chemin de la villa Thalassa, leseul port de refuge dans son éternelle tempête…

Françoise était rentrée chez elle dansun état moral effrayant. Elle s’était enfermée dans sa chambre,après avoir donné l’ordre, que, sous aucun prétexte, on ne l’ydérangeât…

Elle ne pouvait crier dans la rue, ellene pouvait crier devant son chauffeur, elle n’avait pas à montrersa plaie saignante à des domestiques… Ah ! maintenant, ellepeut gémir à son aise ! pleurer ! étouffer ! semeurtrir le sein ! Il n’y a pas de souffrances physiquescomparables à une telle douleur d’amour… d’abord la douleurd’amour, arrivée à ce paroxysme, est la pire des douleursphysiques, et la preuve, c’est que la vie du corps devientinsupportable.

Françoise demande la mort, ellel’appelle comme une délivrance… et, peut-être, se la serait-elleaccordée elle-même, si elle ne s’était évanouie…

Quand elle revint à elle, elle perçutdes voix dans le jardin, sur les terrasses…

C’était Didier qui venait de rentrer etqui interrogeait les domestiques… Elle reconnut la voix de son mariet elle se reprit à souffrir horriblement. Elle ne pouvait plusentendre cette voix !

De même, il lui semblait qu’il luiserait impossible de revoir cet homme !… car elle l’aimaitencore !… et il en aimait une autre !…

Son amour à elle, qu’elle avait élevéau-dessus du sublime, lui parut tout à coup une chose honteuse etsale…

Elle s’enfuit, le fuyant, lui, et sefuyant elle-même, c’est-à-dire s’arrachant à la Françoise amoureusequi attendait tous les soirs son Didier et qui ne demandaitpeut-être qu’à l’attendre encore, pour le plus lâche et le plusabject des pardons, après une explicationmensongère !…

Les vêtements en désordre, le sein nu,comme une bacchante égarée qui pleure son dieu, elle courut dansles jardins lugubres, descendit comme une ombre folle les degrésdes terrasses, parvint aux rochers et mêla sa plainte farouche auululement de la mer… Une tempête accourait du fond de l’orientmarin… Françoise s’enfuit dans la nuit et dans la tempête encriant : « Didier ! Didier !… »

Cependant Didier avait pénétré dans lachambre de sa femme, déjà très inquiet des rapports desdomestiques… Le spectacle de désordre qui l’y attendait le fitfrémir.

Françoise a disparu !… Elle s’estenfuie !… Des portes entrouvertes montrent le chemin de sacourse insensée…

Il la cherche dans les jardins… Iltrouve son écharpe accrochée aux balustres des terrasses quidescendent vers la grève.

Et lui aussi s’enfonce dans la tempêteavec de grands cris.

Il est sûr maintenant que Gorbio aparlé ! Françoise sait tout !… Et elle a voulumourir…

Ah ! comme il la cherche, comme ill’appelle ! comme il la demande, sa Françoise ; auxrochers et aux flots de la mer ! « Françoise !Françoise ! »

Mais la tempête engloutit la voix deFrançoise : « Didier !Didier !… »

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