Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

XV – La petite maison de la rue deDunkerque

Le comte Stanislas de Gorbio avait unmagnifique appartement, connu de tout Paris, au coin de la rueLesueur et de l’avenue du Bois. Ce n’est point cependant vers cedomicile somptueux qu’il se dirigea à son arrivée à Paris. Il avaitfait route avec le docteur Ross, rencontré à la gare. Ensemble, ilsavaient déjeuné dans le wagon-restaurant. Pas une seconde le comten’avait quitté un petit sac sur lequel, chaque fois qu’il pouvaitle faire sans être vu, Yoyo jetait des regards embrasés d’envie. Cepetit sac contenait le fameux collier.

Devant l’insistance de Palas et ledanger que cette insistance représentait, c’était Nina qui avaitdéterminé le comte, sur le point de partir pour Paris, à emporterle collier avec lui et à le cacher dans un endroit secret, connud’eux seuls, où ils avaient coutume de dissimuler leurs documentsles plus précieux. Comment Yoyo était-il au courant de lachose ? De la façon la plus simple. Envoyé en éclaireur parChéri-Bibi auprès de Nina-Noha quelques heures avant la dernièreexpédition à la villa de la danseuse, il avait su espionner tousles gestes des intéressés avec cette astuce et cette ingéniositéqu’il avait rapportées de la forêt vierge et adaptées aux milieuxles plus civilisés. Il avait été témoin, derrière une vitre etentre deux rideaux, de la commission donnée à Gorbio et, très aucourant de ce que tramait Chéri-Bibi contre Nina, il avait pris surlui de ne plus quitter le comte. En chemin nous avons vu qu’ilavait pris le temps de prévenir Chéri-Bibi par le truchement dePalas qu’il avait aperçu, errant comme une âme en peine autour dela maison.

À la gare d’arrivée, Gorbio et Ross seséparèrent. Yoyo constata que personne n’attendait le comte et quecelui-ci montait dans un taxi de louage. Yoyo offrit la forte sommeà un chauffeur, qui se mit immédiatement à sa disposition. Quand,au coin du boulevard Magenta et du boulevard de Strasbourg, lecomte lâcha son taxi, Yoyo fit de même. Le comte remontait à piedvers la gare du Nord, toujours enveloppé de sa pelisse de voyagesous laquelle il portait le sac. Yoyo suivit ; bientôt Gorbioprit la rue de Dunkerque et ralentit le pas. Il avait l’air d’unflâneur, regardant les devantures. Il arriva ainsi devant unevieille petite maison haute de deux étages, qui s’élevait au coinde deux rues et dont le pan coupé était occupé, au rez-de-chaussée,par un bistrot d’assez mauvaise apparence. Le rez-de-chaussée, dansla rue de Dunkerque, était pris entièrement par un magasind’antiquités. Le comte s’arrêta devant cette boutique, comme si lesobjets hétéroclites qui garnissaient la vitrine étaientsusceptibles de l’intéresser. De fait, quelques instants plus tard,il pénétrait chez l’antiquaire et on pouvait le voir, de la rue, endiscussion avec le marchand, à propos d’une vieille petite horreurdorée qu’ils tournaient et retournaient dans leurs mains, en lafaisant valoir autant que possible dans la pauvre lumière du jour.Puis les deux hommes s’enfoncèrent dans l’ombre de la boutique eton ne les vit plus. Yoyo constata que la boutique était vide et enprofita pour s’y glisser. Sitôt là-dedans, il devint invisible,rampant entre cent objets divers. Il faisait corps avec l’ombre. Lapièce avait beau être encombrée, il avançait sans rien déplacer,sans remuer un meuble, sans faire entendre un bruit. C’étaittoujours le Peau-Rouge sur la piste de guerre.

La porte de l’arrière-boutique étaitentrouverte. Les deux hommes se trouvaient encore dans cette petitepièce obscure, éclairée seulement par un vasistas donnant sur unecour. L’antiquaire allumait une petite lampe qu’il remit, sans motdire, à Gorbio puis il souleva une trappe et Gorbio, éclairé par salampe, descendit, sans mot dire, les premiers degrés d’un étroitescalier de cave. Comme il allait disparaître, il fit signe àl’antiquaire de regagner le magasin. Celui-ci obéit aussitôt etpassa auprès de Yoyo.

Ce marchand avait une figurepatibulaire. Du premier coup d’œil, il déplut fort à Yoyo, maiscelui-ci avait autre chose à faire que des études de physionomie…Il se glissa dans l’arrière-boutique et descendit l’escalier àquatre pattes, comme un chat. Son plan, du reste, était d’unesimplicité sauvage. Si Gorbio, retournant la tête, s’apercevait dequoi que ce fût, il bondissait dessus comme un jaguar etl’étranglait avant qu’il eût le temps de soupirer… Mais Gorbio nes’aperçut de rien… Il était tout à sa besogne qui consistait àouvrir une porte de cave fermée par une serrure de sûreté des pluscompliquées… La porte ouverte, il la referma aussitôt sur lui. Toutceci s’était passé en quelques secondes et Yoyo était juste arrivépour voir Gorbio ouvrir la porte et la refermer. Yoyo allaimmédiatement coller son oreille contre cette porte. Il n’entenditque des bruits fort vagues, par exemple un bruit de chaînettesremuées… Il resta là cinq minutes, au bout desquelles il se rejetavivement dans l’encoignure de l’escalier, s’aplatissant sur le sol,la tête tournée vers l’apparition du comte et toujours prêt aubondissement s’il était nécessaire… Mais Gorbio ne le vit pas plusen partant qu’il ne l’avait aperçu avant d’entrer dans le caveau.Il refermait tranquillement sa porte. Yoyo, dans l’ombre, eut uncharmant sourire. Il venait de découvrir, au-dessus de la porte,une étroite ouverture dont il allait faire son profit… Une minuteplus tard le comte était remonté et la trappe était rebaissée. Yoyopouvait travailler en paix. Il avait, du reste, de l’ouvrage. Lesobjets que le comte cachait si inopinément dans cette cave devaientavoir, à ses yeux, une valeur peu ordinaire. Il fallait y pénétrercoûte que coûte. Négligeant la première porte et la premièreserrure, Yoyo s’élança d’un bond au-dessus de l’obstacle, par lesoupirail entrouvert, et retomba devant une seconde porte et uneseconde serrure des plus compliquées ! Yoyo n’en vint à boutqu’en sciant le bois autour d’elle avec l’un de ces petitsinstruments de poche que la fréquentation de ses amis blancs de laGuyane lui avait appris à apprécier et dont les compagnons deChéri-Bibi ne se séparaient guère, vu les nécessités del’existence… Cela demanda du temps. Enfin il pénétra dans la cave.Naturellement Yoyo avait sa petite lampe électrique comme ilconvient à un Peau-Rouge qui n’ignore plus rien des bienfaits de lacivilisation. Il fit le tour de la cave. Elle était assez profonde.Elle n’avait rien qui pût la distinguer de toute autre cave. Desobjets de rebut, quelques planches pourries, un restant depoussière de charbon et une demi-douzaine de feuillettes et debarriques. Deux de ces barriques étaient encore pleines, ce dontput juger Yoyo en les déplaçant avec un gros effort… Yoyo déplaçatout. Yoyo chercha partout. Yoyo creusa partout… Il ne sentait nila fatigue, ni la faim, ni la soif, ni le sommeil. Il sortit de làsans avoir rien trouvé.

Il ne s’agissait pas seulement pour Yoyode sortir de la cave, il fallait sortir de la boutique. Ceci luidemanda encore une demi-journée, mais il ne la regrettapas…

Ayant soulevé la trappe et s’étantglissé dans le magasin, il eut l’occasion d’entendre quelques boutsde conversation des plus intéressants entre l’antiquaire et sessinguliers clients. Il en venait là de toutes sortes et quisemblaient appartenir à toutes les classes de la société ;mais, qu’ils fussent mis comme les derniers des marchands debric-à-brac ou comme de nouveaux riches en quête de meublesanciens, ils avaient ceci de commun qu’après quelques secondes dediscussion sur le prix des objets en litige, ils baissaient le tonpour parler immédiatement d’autre chose.

Généralement, c’était le marchandd’antiquités lui-même qui les mettait à leur aise d’unmot :

« Ça va ! Tu peux yaller !… Il n’y a personne dans laboutique !… »

Et le client y allait !…Il apportait le plus souvent un pli qu’il accompagnait de certainesrecommandations. Il perçut aussi des questions auxquelles cet« excellent monsieur Punaise » (c’est ainsi que leshabitués dénommaient l’honnête boutiquier) répondait, ou nerépondait pas, à sa fantaisie…

On s’entretenait du n° 1… « Len° 1 est-il arrivé ? » « Quand reverra-t-on len° 1 ? » « Il y a des choses que je ne puisdire qu’au n° 1. » « Je vais être obligé dem’appuyer le voyage, si le n° 1 tarde à revenir. » D’oùYoyo concluait sans difficulté que le n° 1 ne pouvait être quele comte de Gorbio lui-même.

Il était aussi question de « ladame », et Yoyo sut, de toute évidence, de quelle dame ils’agissait.

Quant à M. Punaise, tantôt ilavouait que le comte était à Paris, tantôt il jurait qu’il ne s’ytrouvait pas.

Il devait avoir toute la confiance dupatron et tenir dans la maison de commerce Gorbio, Nina-Noha etCie un rôle des plus considérables.

L’affaire paraissait montée avec unerare intelligence. D’abord le fait d’avoir choisi comme lieu de« truchement », comme point de bifurcation de leurorganisation un magasin d’antiquités, prouvait que ces gens-làavaient pensé à tout… N’importe qui peut passer la porte d’uneboutique de bric-à-brac. On n’était pas plus étonné de voir entrerchez M. Punaise une casquette qu’un chapeau haut deforme.

Yoyo croyait n’avoir plus rien àapprendre chez M. Punaise, et se disposait à profiter del’inattention de l’antiquaire, et de l’occasion de la porteentrouverte, pour fuir enfin une maison où il pensait bien revenirquand il aurait apaisé la faim qui, depuis deux jours, luitenaillait les entrailles…

Déjà, dans l’ombre de la nuitcommençante, il avait glissé sur ses quatre pattes, quand ilremarqua les allées et venues d’une demi-douzaine de jeunespersonnages de mauvaise mine qui passaient devant la boutique, yjetaient un coup d’œil, puis pénétraient chez le bistrot quifaisait l’angle de l’immeuble.

Yoyo ne fut pas longtemps sans se rendrecompte de l’intérêt que l’antiquaire prenait, derrière ses vitres,aux manières de ces messieurs.

La nuit étant tout à fait tombée, lePeau-Rouge put sortir sans être aperçu de la boutique ; mais,rendu de plus en plus curieux par ces manigances, il n’eut garde des’éloigner. Aussi, sous le porche qui servait d’entrée à la cour decette maison vétuste, put-il assister au colloque rapide deM. Punaise avec l’un de ces messieurs apaches qui, après êtreentré chez le bistrot, en était ressorti presqueaussitôt.

Du peu que Yoyo put entendre, il y avaità conclure sans aucun doute que le magasin d’antiquités entretenaitles meilleures relations avec le cabaret interlope du coin de larue de Dunkerque.

Yoyo n’hésita pas. Quand ces messieursse séparèrent et que l’antiquaire eut fermé sa boutique, lePeau-Rouge suivit l’apache dans le cabaret.

Si l’on n’a pas oublié le régime qu’ilsubissait depuis plus de deux jours, on comprendra que Yoyo ne« payait pas de mine ». Ses vêtements déchirés, un lingesans couleur, ses joues creuses, ses yeux brillants, sa chevelurependante et l’immense fatigue de tout son pauvre être épuisé leclassaient, dès la première vue, parmi les plus lamentables déchetsd’humanité…

Son entrée dans ce milieu« spécial » constitué plus particulièrement par dessujets qui avaient eu « des malheurs » n’éveilla doncaucune méfiance. Nous serons plus près de la vérité en indiquantqu’elle souleva même quelque intérêt.

Yoyo eût difficilement expliqué sondélabrement physique s’il avait sorti les billets dont sa pocheétait pleine.

Il déclara donc qu’il n’avait pas lesou, qu’il mourait de faim et de soif, et que son âme était àvendre pour un morceau de pain et deux doigts de pinard.

En d’autres temps, il avait des chances,avec un tel discours, de se faire jeter à la porte ; mais ilarrivait dans un moment où ces messieurs racolaient, pour unebesogne qui restait inexpliquée, les hommes de bonnevolonté.

Le patron, un gros pépère tout reluisantde graisse, aux épaules carrées, aux biceps noueux sous les manchesde la chemise retroussée, fut aux petits soins pourYoyo.

Il le confessa, tout en répandant surlui ses bienfaits.

Il avait deviné en lui un Américain dusud, un Argentin qui avait fait un sale coup. Yoyo ne le démentitpoint. À minuit, Yoyo, restauré, faisait partie de la bande ettrinquait joyeusement avec ses nouveaux compagnons.

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