Fatalitas ! – Nouvelles Aventures de Chéri-Bibi – Tome II

VII – Éclaircie

Nous avons laissé M. d’Haumont auplus fort de ses réflexions.

« Je ne me reconnaissais pasmoi-même après six mois de bagne. Alors ? »

Alors, il n’y avait qu’un souvenirfidèle et douloureux comme celui de Mme Martens, que leremords d’une honnête femme pour retrouver sous le masque présentle visage du passé !

Il en était là de ses raisonnementsquand, débouchant sur le quai du Midi, il se trouva justement enface de Mme Martens…

De qui celle-ci lui aurait-elle parlé,sinon de Gisèle ? Depuis qu’elle avait entrevu la radieuseenfant dans le salon de la villa Thalassa, Mme Martens nepensait plus qu’à sa fille et cherchait toutes les occasions de larencontrer et de lui parler. Les sœurs Violette avaient trouvé dansla femme de l’avocat général une cliente qui ne quittait plus leuratelier.

À cette heure du déjeuner, Gisèle étaitde retour chez elle, dans ce nouvel appartement en plein midi, quelui avait procuré l’attentive bonté de M. d’Haumont.Mme Martens n’eut aucune peine à décider celui-ci à l’emmeneravec lui dans la visite qu’il se proposait de faire à sa« petite protégée ».

Le temps était radieux, la baie desAnges recourbait sa faucille d’éblouissant azur devant cette grèvequi fait suite à la promenade des Anglais et remonte jusqu’auRocher du Château. En cet endroit, plus de palaces, plus d’hôtelsmagnifiques, de villas somptueuses, mais une quantité de petitsappartements ensoleillés, aux balcons fleuris, abritant de modestesménages dont la plus grande richesse est certainement cettesplendide lumière du jour dont ils jouissent, de l’aurore aucrépuscule.

Sur le galet, les barques des pêcheursont été tirées. Les filets sèchent sur les dalles du port. Deuxpetits restaurants ont sorti devant leurs fenêtres des tables auxnappes éclatantes, bientôt surchargées des plats de« coquillages » réclamés par les amateurs. Quelquesdouzaines d’huîtres fraîches arrosées d’une bouteille de Bellettentent les moins gourmands, dans ce décor enchanteur.

Mais Didier d’Haumont etMme Martens n’eurent d’attention que pour la plus douce desapparitions surgie entre les branches embaumées d’un de ces petitsjardins suspendus aux proches balcons. C’est Gisèle qui sourit à lalumière bienfaitrice, en poussant avec sa grâce coutumière lefauteuil où celle qui lui a servi de mère renaît à l’espoir de lavie.

À cette vue, Palas ne sent plus, pendantquelques instants, la formidable angoisse qui, nuit et jour,torture son âme, et Mme Martens oublie tous ses remords devantle fruit adorable d’une faute qu’elle a tant pleurée… Ni l’un nil’autre ne saisissent autre chose que ces cheveux d’auroreencadrant le sourire du printemps.

Comment s’apercevraient-ils qu’ils nesont pas les seuls à voir cela et l’apprécier ?… En quoi, dureste, pourrait les intéresser cette silhouette inconnue, à demidissimulée dans l’ombre de la tente du restaurant en pleinair ? Encore quelque amateur de « coquillages » quia bien le droit, en vérité, d’oublier ses huîtres un instant pourgoûter le charme d’un joli visage penché sur un balcon.

Déjà Palas et Mme Martens ontpénétré dans la maison.

Gisèle ne les a pas aperçus. Un petitgarçon passait en courant, vendant des journaux locaux et annonçantun « terrible accidengue au cap Ferrat ».

Gisèle, inquiète tout de suite, avaitjeté une pièce et descendu, comme il est d’usage là-bas, un petitpanier au bout d’une ficelle.

Le camelot y avait déposé samarchandise. Et tout à coup :

« Maman !… c’estM. de Saynthine, cet affreux homme qui me poursuivait,qui est mort avec deux de ses amis et domestiques !… Unaccident en rade de Villefranche !… Les pauvresgens !… »

Mais Mlle Athénaïs n’était pointdisposée à pleurer la mort du persécuteur de son enfant et elledéclara avec une conviction touchante « que c’était le Cielqui l’avait puni ! »

La naïve cruauté de cette dernièrephrase ne dut point passer inaperçue du mangeur d’huîtres, car sonombre parut en recevoir quelque agrément…

Gisèle avait encore le journal à la mainquand Palas et Mme Martens firent leur entrée dansl’appartement.

La première chose que fit la jeune fillefut de tendre le journal à son bienfaiteur…

D’abord Palas ne dit rien. Le coup étaittrop fort, sa joie intime trop immense…

La Providence, après l’avoir accablé silongtemps, se mettait soudain si formidablement de son côté qu’ilen était comme assommé. Car il n’y avait pas de doutepossible : à la description des personnages qui accompagnaientSaynthine dans l’auto, Palas reconnaissait qu’il était à jamaisdébarrassé de ses farouches ennemis.

Le simple fait divers, un banalaccident, le faisait ressortir de l’abîme où il avait été à nouveauplongé… Pour lui, l’aurore nouvelle se montrait, plus radieuse quejamais, à son obscur horizon ! Il en étaitébloui !

Il eût voulu relire ces ligneslibératrices… Il n’y parvenait pas… trop de lumière dansait dansses prunelles.

Et c’était cet ange, sa fille, qui luiapportait une nouvelle pareille ! Ah ! cette fois, Dieuétait enfin avec lui !…

Quand il put parler, il balbutiaquelques hâtives excuses et s’enfuit.

Il s’enfuit pour ne point étreindrecette enfant sur son cœur, pour ne point lui crier sa joie et sadélivrance !…

Quand il arriva sur le quai, il répétaitencore, il ne pouvait s’empêcher de répéter à mi-voix, comme unelitanie : « Arigonde est mort ! »

Et il passa presque en courant devant lemangeur d’huîtres…

Celui-ci, qui avait fini de déjeuner,solda son addition, alluma un cigare, et s’en fut d’un pastranquille vers le port en murmurant : « Arigonde estmort, mais pas encore enterré. »

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