Fromont jeune et Risler aîné

Chapitre 5SIGISMOND PLANUS TREMBLE POUR SA CAISSE

– Une voiture, mon ami Chorche ?… Une voiture àmoi ? Et pourquoi faire ?

– Je vous assure, mon cher Risler, que cela vous estindispensable. Chaque jour, nos relations, nos affaires s’étendent,le coupé ne nous suffit plus. D’ailleurs, il n’est pas convenablede voir toujours un des associés en voiture et l’autre à pied.Croyez-moi, c’est une dépense nécessaire, et qui rentrera, bienentendu, dans les frais généraux de la maison. Allons,résignez-vous.

Ce fut une vraie résignation. Il semblait à Risler qu’il volaitquelque chose en se payant ce luxe inouï d’une voiture, pourtant,devant l’insistance de Georges, il finit par céder, songeant à partlui :

« C’est Sidonie qui va être heureuse ! »

Le pauvre homme ne se doutait pas que depuis un mois Sidonieavait choisi elle-même chez Binder, le coupé que Georges Fromontvoulait lui offrir, et qu’on passait soi-disant aux frais générauxpour ne pas effaroucher le mari.

Il était si bien l’être destiné à se faire tromper toute la vie,ce bon Risler. Son honnêteté native, cette confiance aux hommes etaux choses qui faisaient le fond de sa nature limpide se doublaientencore depuis quelque temps des inquiétudes que lui donnait lapoursuite de cette imprimeuse Risler destinée àrévolutionner l’industrie des papiers peints, et qui, à ses yeux,représentait son apport dans l’association. Sorti de ses épures, deson petit atelier du premier, il avait constamment la physionomieabsorbée des gens qui ont leur vie d’un côté et leurspréoccupations d’un autre. Aussi quel bonheur pour lui de trouveren rentrant son intérieur bien calme, sa femme de bonne humeur,toujours parée et souriante. Sans s’expliquer le pourquoi de cechangement, il constatait que depuis quelque temps la« petite » n’était plus la même à son égard. Maintenantelle lui permettait de reprendre ses anciennes habitudes : lapipe au dessert, le petit somme après diner, les rendez-vous à labrasserie avec M. Chèbe et Delobelle. Leur intérieur aussis’était transformé, embelli. De jour en jour le confort y faisaitplace au luxe. De ces inventions faciles de jardinières fleuries,de salon ponceau, Sidonie arrivait aux raffinements de la mode, auxmanies de meubles antiques et de faïences rares. Sa chambre étaittendue de soie bleu tendre, capitonnée comme un coffre à bijoux. Unpiano à queue d’un facteur célèbre s’étalait dans le salon à laplace de l’ancien, et ce n’était plus deux fois par semaine, maistous les jours qu’on voyait apparaître sa maîtresse de chant,madame Dobson, une romance roulée à la main.

Type assez singulier que cette jeune femme d’origine américaine,dont les cheveux d’un blond acide comme une pulpe de citrons’écartaient sur un front révolté et des yeux de métal bleui. Sonmari l’empêchant d’entrer au théâtre, elle donnait des leçons etchantait dans quelques salons bourgeois. À force de vivre dans cemonde factice des mélodies pour chant et piano, elle avaitcontracté une espèce d’exaspération sentimentale.

C’était la romance elle-même. Dans sa bouche, les mots« amour, passion » semblaient avoir quatre-vingtssyllabes, tellement elle les disait avec expression. Oh !l’expression. Voilà ce que mistress Dobson mettait avant toutechose, et ce qu’elle essayait vainement de communiquer à sonélève.

On était alors au beau temps de cette « Ay Chiquita »dont Paris s’est gargarisé des saisons entières. Sidonie l’écoutaitconsciencieusement, et toute la matinée on l’entendaitchanter :

On dit que tu te maries,

Tu sais que j’en puis mourir…

« Mouriiiiir ! » interrompait l’expressive madameDobson, on s’alanguissant sur l’ébène du piano ; et ellemourait en effet, levait au plafond ses yeux clairs, renversaitéperdument sa tête. Sidonie n’y arrivait jamais. Ses yeux demalice, sa lèvre gonflée de vie n’étaient pas faits pour cessentimentalités de harpe éolienne. Les refrains d’Offenbach oud’Hervé, piqués de notes imprévues, où l’on s’aide du geste, d’uncoup de tête ou d’un coup de reins, lui auraient bien mieuxconvenu ; mais elle n’osait pas l’avouer à son langoureuxprofesseur. Du reste, quoiqu’on l’eût beaucoup fait chanter chezmademoiselle Le Mire, sa voix était encore jeune et assezjolie.

Privée de relations, elle en vint peu à peu à se faire une amiede sa maîtresse de chant. Elle la gardait à déjeuner, l’emmenait encourse avec elle dans le coupé neuf, la faisait assister auxemplettes, aux achats de toilettes et de bijoux. Le ton sentimentalet compatissant de madame Dobson disposait aux confidences. Sesplaintes continuelles semblaient vouloir en attirer d’autres.Sidonie lui parla de Georges, de leur amour, atténuant sa faute parla cruauté de ses parents qui l’avaient mariée de force à un hommeriche et beaucoup plus âgé qu’elle. Madame Dobson se montra tout desuite disposée à les aider ; non qu’elle fût vénale, maiscette petite femme avait la passion de la passion, le goût desintrigues romanesques. Malheureuse dans son ménage, mariée à undentiste qui la battait, tous les maris pour elle étaient desmonstres, et le pauvre Risler surtout lui faisait l’effet d’untyran épouvantable que sa femme était en droit de haïr ettromper.

Ce fut une confidente active et d’une grande utilité. Deux outrois fois par semaine elle apportait une loge pour l’Opéra, lesItaliens, ou quelqu’un de ces petits théâtres à succès qui, pendantune saison, font traverser Paris à tout Paris. Aux yeux de Risler,les places venaient de madame Dobson ; elle en avait tantqu’elle voulait dans les théâtres de chant. Le malheureux ne sedoutait pas que la moindre de ces loges à une« première » à la mode avait souvent coûté dix ou quinzelouis à son associé. C’était vraiment trop facile de tromper unmari comme celui-là. Son inépuisable crédulité acceptaittranquillement tous les mensonges, et puis, il ne connaissait riende ce monde factice où sa femme commençait déjà à être connueJamais il ne l’accompagnait. Les quelques fois où, dans tout lecommencement du mariage, il l’avait conduite au théâtre, il s’étaitendormi honteusement, trop simple pour se préoccuper du public, etd’esprit trop lent pour s’intéresser au spectacle. Aussi, savait-ilun gré infini à madame Dobson de le remplacer auprès de Sidonie.Elle le faisait avec si bonne grâce.

Le soir, quand sa femme partait, toujours splendidement mise, illa regardait avec admiration, sans se douter du prix que coûtaientses toilettes, ni surtout de celui qui les payait, et, libre detout soupçon, il l’attendait au coin du feu en dessinant, heureuxde se dire : « Comme elle doit s’amuser ! »

À l’étage au-dessous, chez les Fromont, la même comédie sejouait, mais avec un renversement de rôles. Ici, c’était la jeunefemme qui gardait le coin du feu. Tous les soirs, une demi-heureaprès le départ de Sidonie, le grand portail se rouvrait pour lecoupé des Fromont, emportant monsieur à son cercle. Quevoulez-vous ? Il y a les exigences du commerce. C’est aucercle, autour d’une table de bouillotte, que se brassent lesgrosses affaires, et il faut y aller sous peine d’amoindrir samaison. Claire croyait cela naïvement. Son mari parti, elle avaitd’abord un moment de tristesse. Elle aurait tant aimé le garderprès d’elle ou sortir à son bras, prendre un plaisir en commun.Mais la vue de l’enfant, qui gazouillait devant le feu et faisaitaller ses petits pieds roses pendant qu’on la déshabillait, avaitbien vite calmé la mère. Puis le grand mot « lesaffaires », cette raison d’État des commerçants, étaittoujours là pour l’aider à se résigner.

Georges et Sidonie se rencontraient au théâtre. Ce qu’ilséprouvaient d’abord à se trouver ensemble, c’était une satisfactionde vanité On les regardait beaucoup. Elle était vraiment joliemaintenant, et sa physionomie chiffonnée, qui avait besoin detoutes les excentricités de la mode pour faire son véritable effet,se les appropriait si bien qu’on les eût dites inventées exprèspour elle. Au bout d’un moment, ils s’en allaient, et madame Dobsonrestait seule dans la loge. Ils avaient loué un petit appartementavenue Gabriel, au rond-point des Champs-Élysées, le rêve de cesdemoiselles à l’atelier Le Mire, deux pièces luxueuses et calmes oùle silence des quartiers riches, traversé seulement des voituresqui roulaient, enveloppait délicieusement leur amour. Peu à peu,quand elle eut pris l’habitude de sa faute, il lui vint desaudaces, des fantaisies. De ses anciens jours de travail, elleavait gardé au fond de sa mémoire des noms de bals, de restaurantsfameux où elle était curieuse d’aller à présent, de même qu’elleprenait plaisir à se faire ouvrir à deux battants les portes desgrandes faiseuses dont toute sa vie elle n’avait connu quel’enseigne. Car c’était cela surtout qu’elle cherchait dans cetamour, une revanche aux tristesses, aux humiliations de sajeunesse. Rien ne l’amusait, par exemple, en revenant du théâtre oud’une promenade de nuit au Bois, comme un souper au café Anglais,avec le bruit du vice luxueux autour d’elle. De ces excursionscontinuelles elle rapportait des façons de parler, de se tenir, desrefrains risqués, des coupes de vêtements qui faisaient passer dansl’atmosphère bourgeoise de l’antique maison de commerce lasilhouette exacte et extravagante du Paris-Cocotte de cetemps-là.

À la fabrique, on commençait à se douter de quelque chose Lesfemmes du peuple, même les plus pauvres, ont si vite fait de vouséplucher une toilette !… Quand madame Risler sortait, verstrois heures, cinquante paires d’yeux envieux et clairs, embusquésaux vitres des ateliers de polissage, la regardaient passer, voyantjusqu’au fond de sa conscience de coupable à travers son dolman develours noir et sa cuirasse de jais scintillant.

Sans qu’elle y prit garde, tous les secrets de cette petite têtefolle volaient autour d’elle comme les rubans qui flottaient sur sanuque découverte ; et ses pieds finement chaussés dans leursbottines dorées à dix boutons, racontaient en marchant toutessortes de courses clandestines, les escaliers tendus de tapisqu’ils franchissaient la nuit pour aller souper, et les fourrureschaudes dont ils s’enveloppaient quand le coupé faisait le tour dulac dans l’ombre tachée des réverbères.

Les ouvrières ricanaient, chuchotaient :« Mais regardez-la donc cette Tata Bébelle !… En voilàune façon de s’habiller pour sortir… Bien sûr que ce n’est pas pouraller à la messe qu’elle s’attife comme ça… Et dire qu’il n’y a pastrois ans, elle partait à l’atelier tous les matins avec sonwaterproof et deux sous de marrons dans ses poches pour se tenirchaud aux doigts… Maintenant ça roule carrosse… » Et dans lapoussière du talc, au ronflement des poêles toujours rouges hiveret été, plus d’une pauvre fille pensait à ces caprices de la chancetransformant tout à coup l’existence d’une femme, et se prenait àrêver d’un avenir vaguement magnifique qui l’attendait peut-êtreaussi sans qu’elle s’en doutât.

Pour tout le monde, Risler était un mari trompé. Àl’impression, deux tireurs, fidèles habitués desFolies-Dramatiques, déclaraient avoir vu plusieurs fois madameRisler à leur théâtre accompagnée d’un citoyen quelconque qui secachait dans le fond de la loge. Le père Achille, lui aussi,racontait des choses étonnantes… Que Sidonie eût un amant, qu’elleeût même plusieurs amants, personne n’en doutait plus. Seulement onn’avait pas encore songé à Fromont jeune.

Pourtant elle n’apportait aucune prudence dans ses relationsavec lui. Au contraire, elle semblait y mettre une sorted’ostentation ; c’est justement cela peut-être qui lessauvait. Que de fois sur le perron elle l’avait abordé effrontémentpour convenir du rendez-vous du soir. Que de fois elle s’était pluà le faire tressaillir en lui parlant dans les yeux devant tous. Lapremière stupeur passée, Georges lui savait gré de ces audacesqu’il attribuait à l’excès de la passion. Il se trompait.

Ce qu’elle aurait voulu, sans bien se l’avouer, c’est que Claireles aperçût, qu’elle entr’ouvrit les rideaux de sa croisée, qu’elleeût un soupçon de ce qui se passait. Il lui manquait cela pour êtrecomplètement heureuse : l’inquiétude de sa rivale. Mais elleavait beau faire, Claire Fromont ne s’apercevait de rien, et vivaitcomme Risler dans une sérénité imperturbable.

Il n’y avait que le vieux caissier Sigismond devéritablement inquiet. Et encore ce n’était pas à Sidonie qu’ilpensait, lorsque la plume à l’oreille il s’arrêtait une minute dansses comptes, les yeux fixés à travers son grillage sur la terredétrempée du petit jardin. Il ne pensait qu’à son patron, àM. Chorche, qui prenait maintenant beaucoup d’argent à lacaisse pour ses dépenses courantes, et lui embrouillait tous seslivres. Chaque fois c’était un nouveau prétexte. Il venait auguichet d’un petit air léger :

« Avez-vous un peu d’argent, mon bon Planus ? J’aiencore été rincé hier soir à la bouillotte, et je ne voudrais pasenvoyer à la Banque pour si peu… »

Sigismond Planus ouvrait sa caisse comme à regret pour prendrela somme demandée, et il se rappelait avec effroi certain jour oùM. Georges, qui n’avait alors que vingt ans, était venu avouerà son oncle quelques mille francs de dettes de jeu. Du coup lebonhomme prit le Cercle en grippe et tous ses membres en mépris. Unriche commerçant qui en faisait partie étant venu un jour à lafabrique, il lui dit avec une naïveté brutale :

– Le diable l’emporte votre Cercle du Château-d’Eau… Endeux mois monsieur Georges a laissé plus de trente mille francschez vous.

L’autre se mit à, rire :

– Mais vous vous trompez, père Planus… voilà au moins troismois que nous n’avons pas vu votre patron.

Le caissier n’insista pas ; mais dans son esprit uneterrible pensée s’installa, qu’il retourna toute la journée.

Puisque Georges n’allait pas au Cercle, où passait-il sessoirées ? où dépensait-il tant d’argent ?

Évidemment il y avait quelque histoire de femme là-dessous.

Des que cette idée lui fut venue, Sigismond Planus commença àtrembler sérieusement pour sa caisse. Ce vieil ours du canton deBerne, resté garçon toute sa vie avait des femmes en général et desParisiennes en particulier une terreur épouvantable, Avant tout,pour mettre sa conscience en repos, il crut devoir prévenir Risler.Il le lit d’abord d’une façon un peu vague :

– Monsieur Chorche dépense beaucoup d’argent, lui dit-il unjour.

Risler ne s’en émut pas :

– Que veux-tu que j’y fasse, mon vieux Sigismond ?…C’est son droit.

Et le brave garçon pensait comme il le disait. À ses yeux,Fromont jeune était le maître absolu de la maison. C’eût été beau,vraiment, qu’il se permît de faire des observations, lui, Risler,un ancien dessinateur. Le caissier n’osa plus en parler jusqu’aujour où on vint d’une grande maison de châles lui présenter unefacture de six mille francs pour un cachemire.

Il alla trouver Georges dans son bureau :

– Faut-il payer, monsieur ?

Georges Fromont fut un peu ému. Sidonie avait oublié de leprévenir de cette nouvelle emplette ; elle en prenait à sonaise vis-à-vis de lui maintenant.

« Payez, payez, père Planus… » fit-il avec une nuanced’embarras, et il ajouta : « Vous passerez cela au comptede Fromont jeune… C’est une commission dont on m’avaitchargé… »

Ce soir-là, le caissier Sigismond, tout en allumant sa petitelampe, vit Risler qui traversait le jardin et tapa aux carreauxpour l’appeler.

– C’est une femme, lui dit-il tout bas… À présent j’en aila preuve…

En prononçant ce mot terrible « une femme », sa voixgrelottait de peur, perdue dans la grande rumeur de la fabrique. Lebruit du travail environnant paraissait sinistre en ce moment aumalheureux caissier. Il lui semblait que toutes les machines enmouvement, l’immense cheminée lançant sa vapeur à flocons, letumulte des ouvriers à leurs travaux divers, tout cela grondait,s’agitait, se fatiguait pour un petit être mystérieux vêtu develours, paré de bijoux.

Risler se moqua de lui et ne voulut pas le croire. Ilconnaissait de longue date cette manie de son compatriote de voiren toute chose l’influence pernicieuse de la femme. Pourtant lesparoles de Planus lui revenaient quelquefois à l’esprit, surtout lesoir, dans ses moments de solitude, quand Sidonie, partant authéâtre avec madame Dobson, s’en allait après tout le train de satoilette, laissant l’appartement bien vide sitôt que sa longuetraîne avait passé le seuil. Des bougies brûlaient devant lesglaces ; des menus objets de toilette dispersés, abandonnés,disaient les caprices extravagants et les dépenses exagérées.Risler ne voyait rien de tout cela, seulement, quand il entendaitla voiture de Georges rouler dans la cour, il éprouvait comme uneimpression de malaise et de froid en pensant qu’à l’étageau-dessous madame Fromont passait ses soirées toute seule. Pauvrefemme. Si c’était vrai pourtant ce que disait Planus… Si Georgesavait un ménage en ville… Oh ! ce serait affreux.

Alors, au lieu de se mettre au travail, il descendait doucementdemander si madame était visible, et croyait de son devoir de luitenir compagnie.

La fillette était déjà couchée ; mais le petit bonnet, lessouliers bleus traînaient encore devant le feu avec quelquesjouets. Claire lisait ou travaillait, ayant à côté d’elle sa mèresilencieuse, toujours en train de frotter, d’épousseterfiévreusement, s’épuisant à souffler sur le boîtier de sa montre,et dix fois de suite, avec cet entêtement des manies quicommencent, remettant le même objet à la même place, d’un petitgeste nerveux. Le brave Risler, lui non plus, n’était pas unecompagnie bien égayante ; mais cela n’empêchait pas la jeunefemme de l’accueillir avec bonté. Elle savait tout ce qu’on disaitde Sidonie dans la fabrique ; et bien qu’elle n’en crût que lamoitié, la vue de ce pauvre homme, que sa femme abandonnait sisouvent, lui serrait le cœur. Une pitié réciproque faisait le fondde ces relations tranquilles, et rien n’était plus touchant que cesdeux délaissés se plaignant mutuellement et essayant de sedistraire.

Assis à cette petite table bien éclairée au milieu du salon,Risler se sentait peu à peu pénétré par la chaleur du foyer,l’harmonie des choses environnantes. Il retrouvait là des meublesqu’il connaissait depuis vingt ans, le portrait de son ancienpatron, et sa chère madame « Chorche », penchée près delui sur quelques mignons ouvrages de couture, lui paraissait plusjeune et plus aimable encore parmi tous ces vieux souvenirs. Detemps en temps elle se levait pour aller voir l’enfant endormi dansla pièce à côté et dont le souffle léger s’entendait auxintervalles de silence. Sans s’en rendre bien compte, Risler setrouvait mieux, plus chaudement que chez lui, car certains joursson joli appartement, qui s’ouvrait à toute heure pour des départsou des retours précipités, lui faisait l’effet d’une halle sansportes ni fenêtres, livrée aux quatre vents. Chez lui, oncampait ; ici on demeurait. Une main soigneuse disposaitpartout l’ordre et l’élégance. Les chaises en cercle avaient l’airde causer entre elles à voix basse, le feu brûlait avec un bruitcharmant, et le petit bonnet de mademoiselle Fromont avait gardédans tous ses nœuds de rubans bleus des sourires doux et desregards d’enfant.

Alors, pendant que Claire pensait qu’un si excellent hommeaurait mérité une autre compagne dans la vie, Risler, en voyant cecalme et beau visage tourné vers lui, ces yeux indulgents etspirituels, se demandait pour quelle coquine Georges Fromontdélaissait une aussi adorable femme.

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