Guerrier De Lumière – Volume 3

Chapitre 12Un jour quelconque de 2006

Aujourd’hui il pleut beaucoup, et la température est proche de 3°C. J’ai décidé de marcher – je pense que si je ne marche pas tousles jours, je ne travaille pas bien – mais le vent est fort aussi,et je suis retourné à la voiture au bout de dix minutes. J’ai prisle journal dans la boîte aux lettres, rien d’important – exceptéles choses dont les journalistes ont décidé que nous devions lesconnaître, les suivre, prendre position à leur sujet.

Je vais lire sur l’ordinateur les messages électroniques.

Rien de nouveau, quelques décisions sans importance, que jeprends en peu de temps.

J’essaie un peu l’arc et la flèche, mais le vent continue desouffler, c’est impossible. J’ai déjà écrit mon livre bisannuel, LeZahir, et il a été publié. J’ai écrit les colonnes que je publiesur Internet. J’ai fait le bulletin de ma page sur le Web. Je mesuis fait faire un check-up de l’estomac, heureusement on n’adétecté aucune anomalie (on m’avait inquiété avec cette histoire detube qui entre par la bouche, mais ce n’est rien de terrible). Jesuis allé chez le dentiste. Les billets pour le prochain voyage enavion, qui tardaient, sont arrivés par courrier exprès. Il y a deschoses que je dois faire demain, et des choses que j’ai fini defaire hier, mais aujourd’hui…

Aujourd’hui je n’ai absolument rien sur quoi concentrer monattention.

Je suis effrayé : ne devrais-je pas faire quelque chose ?Bon, si je veux m’inventer du travail, ce n’est pas difficile – ona toujours des projets à développer, des lampes à remplacer, desfeuilles mortes à balayer, le rangement des livres, l’organisationdes archives de l’ordinateur, etc. Mais pourquoi ne pas envisagerle vide total ?

Je mets un bonnet, un vêtement chaud, un manteau imperméable –ainsi, je parviendrai à résister au froid les quatre ou cinq heuresà venir – et je sors dans le jardin. Je m’assieds sur l’herbemouillée, et je commence à faire mentalement la liste de ce qui mepasse par la tête :

A] Je suis inutile. Tout le monde en ce moment est occupé,travaillant dur.

Réponse : moi aussi je travaille dur, parfois douze heures parjour. Aujourd’hui, il se trouve que je n’ai rien à faire.

B] Je n’ai pas d’amis. Moi qui suis l’un des écrivains les pluscélèbres du monde, je suis seul ici, et le téléphone ne sonnepas.

Réponse : bien sûr, j’ai des amis. Mais ils savent respecter monbesoin d’isolement quand je suis dans mon vieux moulin àSaint-Martin, en France.

C] Je dois sortir pour acheter de la colle.

Oui, je viens de me rappeler qu’hier il manquait de la colle,pourquoi ne pas prendre la voiture et aller jusqu’à la ville laplus proche ? Et sur cette pensée, je m’arrête. Pourquoiest-il si difficile de rester comme je suis maintenant, à ne rienfaire ?

Une série de pensées me traverse l’esprit. Des amis quis’inquiètent pour des choses qui ne sont pas encore arrivées, desconnaissances qui savent remplir chaque minute de leur vie avec destâches qui me paraissent absurdes, des conversations qui n’ont pasde sens, de longs coups de téléphone pour ne rien dire d’important.Des chefs qui inventent du travail pour justifier leur fonction,des fonctionnaires qui ont peur parce qu’on ne leur a rien donnéd’important à faire ce jour-là et que cela peut signifier qu’ils nesont déjà plus utiles, des mères qui se torturent parce que lesenfants sont sortis, des étudiants qui se torturent pour leursétudes, leurs épreuves, leurs examens.

Je mène un long et difficile combat contre moi-même pour ne pasme lever et aller jusqu’à la papeterie acheter la colle qui manque.L’angoisse est immense, mais je suis décidé à rester ici, sans rienfaire, au moins quelques heures. Peu à peu, l’anxiété cède la placeà la contemplation, et je commence à écouter mon âme. Elle avaitune envie folle de causer avec moi, mais je suis tout le tempsoccupé.

Le vent continue de souffler très fort, je sais qu’il faitfroid, qu’il pleut, et que demain je devrai peut-être acheter de lacolle. Je ne fais rien, et je fais la chose la plus importante dansla vie d’un homme : j’écoute ce que j’avais besoin d’entendre demoi-même.

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