Guerrier De Lumière – Volume 3

Chapitre 18Les secrets de la cave

Une fois par an, je me rends à l’abbaye bénédictine de Melk, enAutriche, pour participer aux Rencontres de Waldzell – uneinitiative de Gundula Schatz et Andreas Salcher. En ce lieu, duranttoute une fin de semaine, je prends part à une sorte de retraiteavec des prix Nobel, des scientifiques, des journalistes, unevingtaine de jeunes, et quelques invités. Nous cuisinons, nous nouspromenons dans les jardins de l’ensemble monumental (qui a inspiréà Umberto Eco Le Nom de la Rose) et nous parlons de façoninformelle du présent et de l’avenir de notre civilisation. Leshommes dorment dans le cloître du monastère, et les femmes sonthébergées dans des hôtels des environs.

La rencontre de 2005 contenait tout ce qui se pouvait espérer,surtout des discussions passionnées, avec des moments de joie et deconfrontation. Presque tous les invités sont retournés dans leurspays respectifs le dimanche soir ; mais comme le lendemain lesorganisateurs et moi allions participer à l’inauguration de lapartie autrichienne du Chemin de Saint-Jacques et devions passer lanuit dans l’abbaye, le père Martin nous a invités à dîner dans son« lieu secret ».

Nous sommes descendus, tout excités, jusqu’aux souterrains duvieil édifice. Une porte ancienne s’est ouverte, et nous noussommes trouvés dans une gigantesque salle, dans laquelle il y avaittout – ou pratiquement tout – ce qui avait été accumulé au long dessiècles, et que Martin se refusait à jeter. De vieilles machines àécrire, des skis, des casques de la Seconde Guerre mondiale, desoutils d’autrefois, des livres qui ne sont plus en circulation, et…des bouteilles de vin ! Des dizaines, des centaines, debouteilles de vins recouvertes de poussière, parmi lesquelles, àmesure que le dîner se déroulait, l’abbé Burkhard, qui nousaccompagnait, choisissait ce qu’il y avait de meilleur. Jeconsidère Burkhard comme l’un de mes mentors en matière despiritualité, bien que nous n’ayons jamais échangé plus de deuxphrases (il ne parle qu’allemand). Ses yeux expriment la bonté, sonsourire manifeste une immense compassion. Je me souviens qu’unjour, chargé de me présenter dans une conférence, il a choisi, à lasurprise générale, une citation de mon livre Onze Minutes (quitraite de sexe et de prostitution).

Tout en mangeant, j’avais pleinement conscience d’être en trainde vivre un moment unique, dans un lieu unique. Soudain, j’aiconstaté quelque chose de très important : tous ces objets dans lacave étaient rangés, avaient un sens, faisaient partie du passé,mais complétaient l’histoire du présent.

Et je me suis demandé ce qui, dans mon passé, est rangé, maisque je n’utilise plus.

Mes expériences font partie de mon quotidien, elles ne sont pasà la cave, mais continuent à agir et à m’aider. Alors, parlerd’expérience, ce serait une mauvaise idée. Quelle serait la bonneréponse ?

Mes erreurs.

Oui. Regardant la cave de l’abbaye de Melk, comprenant que l’onne doit pas se débarrasser de tout ce qui n’a plus d’usage, j’aicompris que dans la cave de mon âme se trouvaient mes erreurs. Unjour, elles m’ont aidé à trouver le chemin, mais à présent que j’enai pris conscience, elles n’ont plus aucune utilité. Cependant,elles doivent m’accompagner, pour que je n’oublie pas qu’à caused’elles j’ai glissé, je suis tombé, et que c’est à peine si j’ai eula force de me relever.

Cette nuit-là, en regagnant ma cellule dans le cloître, j’aifait une liste. Voici deux exemples :

A] L’arrogance de la jeunesse. Chaque fois que je me suisrebellé, je cherchais un nouveau chemin, et c’était positif. Maischaque fois que je me suis montré arrogant, pensant que les aînésne savaient rien, il y a beaucoup de choses que je n’ai pasapprises.

B] L’oubli des amis. J’ai eu souvent des hauts et des bas. Maislors de mon premier « haut », j’ai cru que j’avais changé de vie etj’ai décidé de m’entourer de gens nouveaux. Bien sûr, dans la chutequi a suivi, les derniers arrivants ont disparu, et je ne pouvaisplus recourir à mes anciens compagnons. Depuis lors, je m’efforcede conserver l’amitié comme quelque chose qui ne change pas avec letemps.

La liste est immense, mais l’espace de l’article est limité.Cependant, bien que mes erreurs m’aient déjà enseigné tout ce qu’ilme fallait apprendre d’elles, il est important qu’elles demeurentdans la cave de mon âme. Ainsi, quand de temps en temps jedescendrai y chercher le vin de la sagesse, je pourrai lescontempler, accepter qu’elles font partie de mon histoire, qu’ellesse trouvent dans les fondations de ma personnalité d’aujourd’hui,et que je dois les porter en moi – aussi bien rangées (ou résolues)soient-elles.

Sinon, je cours le risque de tout répéter de nouveau.

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