Guerrier De Lumière – Volume 3

Chapitre 19Je ne suis pas heureux

Au cours d’une interview, j’entends très fréquemment lecommentaire suivant :

« …Et maintenant que vous êtes un homme heureux… »

Ce qui provoque ma réaction immédiate :

« Ai-je dit que j’étais heureux ? »

Je ne suis pas heureux, et la quête du bonheur comme objectifprincipal ne fait pas partie de mon univers. Évidemment, depuis quej’ai une certaine notion des choses, je fais ce que j’aimeraisfaire. C’est pourquoi j’ai été interné trois fois dans un hôpitalpsychiatrique, passé quelques jours terribles dans les sous-sols dela dictature militaire au Brésil, perdu des amis et des copinespour en retrouver aussi rapidement. J’ai pris des chemins quej’éviterais peut-être si aujourd’hui je pouvais revenir en arrière,mais quelque chose me poussait toujours en avant, et il est certainque ce n’était pas la quête du bonheur. Ce qui m’intéresse dans lavie, c’est la curiosité, les défis, le bon combat avec sesvictoires et ses défaites. Je porte beaucoup de cicatrices, maisj’ai vécu aussi des moments qui ne seraient jamais arrivés si jen’avais pas osé dépasser mes limites. J’affronte mes peurs et mesmoments de solitude, et je pense qu’une personne heureuse neconnaît jamais cela.

Mais cela n’a aucune importance : je suis content. Et la joien’est pas exactement synonyme de bonheur ; celui-ci pour moiressemble davantage à un morne après-midi de dimanche, dans lequeln’existe aucun défi, mais seulement le repos qui à certaines heuresdevient ennui, les mêmes programmes de télévision à la fin de lasoirée, la perspective du lundi qui attend avec sa routine.

J’explique tout cela parce que j’ai été surpris par un granddossier dans l’un des magazines américains les plus réputés, quiconsacre généralement sa couverture à des sujets politiques. Lethème en était : « La science du bonheur : est-il dans votresystème génétique ? » Hormis les choses habituelles (tableauxdes pays où l’on est plus ou moins heureux, études sociologiquessur l’homme cherchant un sens à sa vie, huit étapes pour trouverl’harmonie), l’article présentait quelques observationsintéressantes, qui m’ont fait voir pour la première fois que mesopinions étaient partagées par d’autres :

A] Les pays où le revenu est inférieur à 10 000 dollars par ansont des pays dans lesquels la majorité des gens sont malheureux.Cependant, on découvre qu’à partir de ce niveau, la différencemonétaire n’a plus tellement d’importance. Une étude scientifiqueréalisée auprès des 400 personnes les plus riches des États-Unismontre qu’elles sont seulement légèrement plus heureuses que cellesqui gagnent 20 000 dollars. Conséquence logique : il est évidentque la pauvreté est inacceptable, mais la pertinence du vieuxdicton « l’argent ne fait pas le bonheur » est prouvée dans deslaboratoires.

B] Le bonheur n’est qu’une ruse de plus que notre systèmegénétique nous impose pour accomplir son unique rôle : la survie del’espèce. Ainsi, pour nous forcer à manger ou faire l’amour, est-ilnécessaire d’associer un élément appelé « plaisir ».

C] Les gens ont beau se dire heureux, personne n’est satisfait :il faut toujours tomber amoureux de la femme la plus belle, acheterune maison plus grande, changer de voiture, désirer ce que l’on n’apas. Cela aussi est une manifestation subtile de l’instinct desurvie : au moment où les gens se sentiront pleinement heureux,plus personne n’osera se comporter différemment, et le mondecessera d’évoluer.

D] Par conséquent, aussi bien sur le plan physique (manger,faire l’amour) que sur le plan émotionnel (désirer toujours ce quel’on n’a pas), l’évolution de l’être humain a dicté une règleimportante et fondamentale : le bonheur ne peut pas durer. Il seratoujours fait de moments, pour que nous ne puissions jamais nousmettre à l’aise dans un fauteuil et simplement contempler lemonde.

Conclusion : mieux vaut oublier cette idée de quête du bonheur àtout prix, et aller chercher des choses plus intéressantes, commeles mers inconnues, les personnes étrangères, les penséesprovocatrices, les expériences risquées. Seulement de cette manièrenous vivrons totalement notre condition humaine, contribuant à unecivilisation plus harmonieuse et plus en paix avec les autrescultures. Bien sûr, tout a un prix, mais cela vaut la peine depayer.

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