Guerrier De Lumière – Volume 3

Chapitre 7Quand il est interdit d’interdire

Peu après la conférence à Haia, en Hollande, un groupe delecteurs s’est approché de moi. Ils voulaient que je visite leurville, car, selon eux, on y faisait une expérience unique enEurope.

Je suis vacciné contre les « expériences uniques au monde »,mais, en même temps, j’adore causer avec des inconnus. Nous avonspris rendez-vous pour le lendemain, puisque mon vol pour Paris nepartait qu’en fin d’après-midi.

Les lecteurs – deux filles et quatre garçons –, qui s’étaientengagés à me conduire à l’aéroport dès que j’aurais vu cette chose« unique en Europe », m’ont emmené dans un quartier de la ville deDrachten. Nous sommes descendus de la voiture, ils ont bu de labière, j’ai pris un café. Ils me regardaient surpris, mais je necomprenais pas ce qui se passait. Au bout d’un certain temps, l’und’eux a demandé :

« N’avez-vous rien vu de différent ? »

Une petite ville, jolie, des gens marchant dans la rue, dans unautomne qui ressemblait encore à l’été. À part cela, semblable àtoutes les autres villes que je connais au monde. Ils ont réglél’addition, nous avons traversé la rue pour aller dans un autrebar, ils m’ont prié de regarder de nouveau – et j’ai continué àtrouver Drachten très sympathique, et très semblable au reste del’Europe.

« Vous me décevez, a dit l’une des filles. Je pensais que vouscroyiez aux signaux.

– Bien sûr, j’y crois.

– Et vous avez vu un signal ici ?

– Non.

– Eh bien, c’est justement ça ! Drachten est une ville sanssignalisation ! »

Son petit ami a ajouté :

– Pour la circulation ! »

Soudain, je me suis rendu compte qu’ils avaient absolumentraison : il n’y avait pas la fameuse plaque « Stop », les passagescloutés, les panneaux indiquant le croisement et « cédez le passage» . Il n’y avait pas un seul de ces appareils que nous appelonssignaux, ou sémaphores, avec leurs feux rouge, jaune et vert !Et, à ma surprise, il n’existait même pas de division entre letrottoir et la rue. Le mouvement était assez intense : camions,voitures, bicyclettes (omniprésentes en Hollande), piétons, toussemblaient parfaitement organisés dans cet endroit où rien nevenait mettre de l’ordre dans la circulation. À aucun moment jen’ai entendu une injure, des coups de frein brusques ou des klaxonsassourdissants.

Sur le chemin de l’aéroport, ils m’en ont dit un peu plus del’expérience, qui – il faut en convenir – est vraiment singulière.L’idée est venue d’un ingénieur, Hans Mondermann. Il travaillaitpour le gouvernement hollandais dans les années 70, quand il acommencé à penser que le seul moyen de réduire le nombred’accidents en augmentation constante était de donner au conducteurla responsabilité totale de ce qu’il faisait.

Sa première mesure consista à diminuer la largeur des routes quitraversaient des villages, utiliser des briques rouges au lieu del’asphalte, supprimer la ligne centrale qui sépare les deux voies,détruire les accotements et remplir les avenues avec des fontaineset des paysages apaisants – de sorte que les gens, pris dans lesembouteillages, puissent se distraire pendant l’attente. Puis vintla décision radicale : retirer les panneaux de signalisation et enfinir avec la limitation de vitesse.

En entrant dans la ville, les 6 000 conducteurs qui passaient làchaque jour furent effrayés : Où puis-je doubler ? Qui a lapriorité ? Et ainsi, ils firent deux fois plus attention à cequi se passait autour d’eux. Au bout de deux semaines, la vitessemoyenne était inférieure aux 30 km/h autorisés dans des lieux commeDrachten. Monderman pariait tout haut :

« Si un piéton s’apprête à traverser la rue, la voiture devraévidemment s’arrêter : nos aïeux nous ont enseigné les règles de lacourtoisie. »

Jusqu’à présent, cela a marché. Je suis arrivé à l’aéroport enpensant que Monderman n’avait pas fait seulement une expérience decirculation, mais quelque chose de beaucoup plus profond.Finalement, la phrase est de lui :

« Si vous traitez quelqu’un en idiot, il se comporteconformément au règlement, et c’est tout. Mais si vous lui donnezdes responsabilités, il saura s’en servir. »

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