L’Affaire Blaireau

Chapitre 17

 

Dans lequel on verra que l’amour trop exclusifde l’ordre peut pousser un fonctionnaire public jusqu’à l’iniquitéformelle.

– À nous deux, Blaireau.

– Je vous écoute, monsieur le maire.

– Alors, grand nigaud, vous allez vouslaisser accaparer par des intrigants qui vont se servir de vouspour embêter l’autorité, la magistrature, pour troubler l’ordre etqui, après ce beau gâchis, vous lâcheront et se moqueront devous !

– Pourquoi se moqueraient-ils demoi ?

– Parce qu’ils n’auront plus besoin devous, parbleu ! C’est clair ! … Écoutez, Blaireau,il s’agit d’examiner froidement votre situation.

– Elle n’est pas gaie, ma situation, monpauvre monsieur.

– Pas gaie ? Je ne suppose pas quevous allez vous plaindre du régime de notre prison, hein ? Laprison de Montpaillard est bien connue pour être la meilleure dudépartement, et vous ne tomberez pas toujours sur des directeurscomme M. Bluette.

– Je compte même ne plus jamais tombersur aucun directeur.

– On ne sait jamais.

– Et puis, M. Bluette est biengentil ; mais, enfin, une prison est toujours une prison.

– Quand vous irez dans une autre, vousapprécierez la différence.

– Décidément, vous y tenez, à ce que jeretourne en prison ?

– Ne causons plus de cela. Jetons unvoile sur le passé. Comment allez-vous gagner votre vie,maintenant ?

– Je ne serai pas embarrassé.

– Vraiment ? Et que comptez-vousfaire ?

– Je travaillerai.

– À quoi ?

– Comme avant… Je… bricolerai.

– Vous bricolerez ? Je sais ce quecela veut dire, mais on aura l’œil sur vous, mon garçon, et plusque jamais. Du travail régulier, pensez-vous en trouverfacilement ?

– Pourquoi pas ?

– Voilà où vous vous trompez, mon pauvreami. Les gens sauront que vous avez fait trois mois de prison. Ilsn’aiment pas beaucoup cela, les gens !

– Mais, nom d’un chien, ils sauront bienque je suis innocent, les gens !

– Je le sais, Blaireau, et je ne parlepas de moi qui suis au-dessus des préjugés. Je recevraisparfaitement, moi qui vous parle, un innocent à ma table, mais vousne rencontrerez pas les mêmes indulgences chez tout le monde,n’est-il pas vrai, Bluette ?

– Hélas, oui !

– Il faut tenir compte de l’opinionpublique.

– L’opinion publique ? s’écriaBlaireau, elle est pour moi, l’opinion publique. Tenez, voyez cejournal.

– Ah ! vous lisez cesinepties !

– Un scandale à Montpaillard !

– Il n’y a pas de scandale àMontpaillard, et il n’y en aura pas, je leur montreraibien !

– Et l’Affaire Blaireau, monsieur lemaire, qu’est-ce que vous en faites ?

– Il n’y a pas d’affaire Blaireau !Ah ça ! supposez-vous, mon pauvre garçon, parce que le Réveilde Nord-et-Cher a imprimé votre nom en grosses lettres, que vousêtes devenu un personnage plus considérable qu’il y a trois mois,avant votre condamnation ?

– J’en suis même sûr !

– Vous vous trompez, mon cher Blaireau.Avant votre condamnation, vous n’étiez pas coupable… Aujourd’hui,vous êtes innocent. C’est exactement la même chose, et votresituation n’a pas changé d’une ligne.

– Je ne trouve pas, moi, et puis, j’aifait trois mois de prison dans l’intervalle. Il ne faut pas oublierce léger détail…

– Voyons, nous sommes entre nous,n’est-ce pas ? N’essayez pas de faire votre malin avec moi.vous avez fait trois mois de prison, c’est vrai ; mais si onles additionnait, tous les mois de prison que vous avez méritésrien que pour vos délits de braconnage, ce n’est pas trois mois deprison auxquels vous auriez droit, mon cher, mais au moins à dixans. Estimez-vous donc encore bien heureux et n’en parlonsplus !

– Je suis innocent, je ne sors pas delà !

– Ma parole d’honneur, on dirait qu’iln’y a que vous d’innocent dans la commune ! voulez-vous que jevous dise, Blaireau ? vous êtes un mauvais esprit, un homme dedésordre, voilà ce que vous êtes !

– Ça n’empêche pas que je soisinnocent.

– Écoutez, Blaireau, je vais vous donnerun dernier conseil, un conseil d’ami. Quittez le pays.Allez-vous-en à une certaine distance à la campagne, dans une placeque je me charge de vous procurer. Là, à force de travail et debonne conduite, vous arriverez peut-être un jour à vousréhabiliter.

– Comment, me réhabiliter ? Moi, uninnocent ?

– Est-ce convenu ?

– Jamais de la vie ! Un innocent n’apas à se réhabiliter !

– Si vous ne suivez pas mon conseil,Blaireau, je ne réponds pas de ce qui arrivera.

– Qu’est-ce qui arrivera ?

– Vous le verrez bien, et peut-être alorsil sera trop tard, entêté !

– Diable, diable, me voilà bienembarrassé.

Blaireau se mit à gratter son pauvre crâneperplexe. Un gardien annonça la présence d’un monsieur quisouhaitait obtenir de M. le directeur l’autorisation de visiter M.Blaireau.

Ce monsieur n’était autre que notre vieilleconnaissance, le baron de Hautpertuis, qui venait voir lamalheureuse victime et s’entendre avec elle sur les détails de lafête en son honneur et à son profit.

– Un baron, fit Blaireau,mazette !

– Faites entrer ce monsieur, commanda ledirecteur.

– Est-ce qu’il n’aurait pas renoncé àcette idée saugrenue ? grommelait Dubenoît. Car ce n’est pasassez des révolutionnaires, il faut que les nobles s’en mêlentmaintenant, de troubler l’ordre. Quelle époque, mon Dieu, quelleépoque !

En tenue élégante, mais sobre, sans fleur à laboutonnière (on ne doit pas porter de fleurs dans les visites auxdétenus),

M. le baron de Hautpertuis se présenta etsalua d’un style aisé mais sévère, ainsi que le comportaient lescirconstances.

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