L’Affaire Blaireau

Chapitre 8

 

Dans lequel, grâce au mauvais vouloir d’unpartisan de l’ordre, plusieurs personnes dévouées ne sont pasfichues de trouver la moindre pauvre victime à soulager.

Soyons discrets.

Laissons, si vous voulez bien, ces deux cœurstendres s’épancher à l’ombre du trapèze et revenons dans le parc,nous mêler aux groupes des invités.

M. le baron de Hautpertuis est entouré dejeunes hommes et de jeunes filles.

Les jeunes hommes admirent la tenue à la foissi sobre et si élégante du distingué Parisien.

Oh ! cette cravate ! Oh ! lacoupe de cette jaquette ! Oh ! le cordon de cemonocle !

Et ils rêvent, les bons jeunes hommes !Ah ! Paris ! Décidément, il n’y a qu’à Paris où l’on saits’habiller.

Les jeunes filles prodiguent au baron les plusdélicieux sourires de leurs vingt printemps.

Elles ont quelque chose à lui demander maisaucune n’ose se risquer la première.

– Toi, Lucie, parle !

Lucie se décide et, non sans une charmantegaucherie :

– Si vous étiez bien gentil, baron,dit-elle, vous ne savez pas ce que vous feriez ?

– Ma chère enfant, si je ne faisais pastout pour vous être agréable, je serais un monstre fort hideux.

– Eh bien ! vous devriez nousorganiser quelque chose.

– Vous organiser quelque chose ?C’est un programme bien vague, cela, mademoiselle Lucie.

– Une fête, une belle fête, comme àParis.

– Une fête de charité, parexemple ?

– Oui, c’est cela, une fête de charité,ici, dans le parc.

– Excellente idée ! Mais au bénéficede qui ?

– Nous ne savons pas encore, mais ontrouverait facilement.

– Détrompez-vous, mademoiselle, il estquelquefois fort malaisé de trouver des victimes, j’entends desvictimes pour fêtes de ce genre.

– Oh ! en province, nous ne sommespas si difficiles qu’à Paris.

– Mesdemoiselles, je suis heureux de memettre à votre disposition. Nous allons organiser tout ce qu’il y ade mieux dans ce genre, une fête qui va révolutionner tout lepays !

– Révolutionner tout le pays !

M. Dubenoît venait d’entendre cette phraseterrifiante : Révolutionner le pays !

– Halte-là, monsieur le baron !Révolutionner Montpaillard, vous n’y songez pas !

– Oh ! avec une fête de charité.

– Avec une fête de charité ou avec touteautre cérémonie, il ne faut pas troubler les cités tranquilles. Or,Montpaillard est la commune la plus tranquille de France, et tantque j’aurai l’honneur d’être maire…

– Oui, interrompit Guilloche, nousconnaissons le reste. Ce n’est pas de la ville de Montpaillardqu’on aurait dû vous nommer maire, monsieur Dubenoît, mais d’unbanc de mollusques !

– J’aimerais mieux cela que d’être à latête d’une cité de désordre. Et puis votre fête de charité, aubénéfice de qui ?

– Mais au profit des pauvres du pays,proposa le baron.

– Il n’y a pas de pauvres dans le pays.Tout le monde y jouit d’une modeste aisance.

– N’avez-vous pas eu, il y a quelquetemps, une catastrophe ?…

– Une catastrophe ? Il n’y a jamaiseu de catastrophe à Montpaillard, et tant que je serai maire…

– Il n’y aura pas de catastrophe, c’estentendu. Et une épidémie, vois n’auriez pas eu une petiteépidémie ?

– Jamais !

– Diable, c’est ennuyeux ! Et lesvictimes de l’hiver, vous avez bien par-ci par-là quelques victimesde l’hiver ?

– L’hiver ne fait jamais de victimes àMontpaillard… Au contraire.

– Pas de chance… Si on bâtissait unhospice pour les vieillards ?

– Nous en avons un qui date de Vauban etqui est encore tout neuf.

– Cela est fort regrettable !Cherchons encore.

– Cherchez, s’obstinait M.Dubenoît ; cherchez, vous ne trouverez rien. Il n’y a dansMontpaillard aucune sorte de victimes.

– Alors, nous ferons notre fête au profitdes victimes étrangères, j’en ai bien organisé, moi qui vous parle,au bénéfice des incendiés du Niagara.

– Les incendiés ? … Lesinondés, vous voulez dire ?

– Non, non, des incendiés, vous ne voussouvenez pas de cette catastrophe ?

– Ma foi, non.

– Elle fit pourtant beaucoup de bruit àl’époque.

– Je n’ai pas de peine à le croire.

– Voyons… cherchons encore.

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