L’Affaire Blaireau

Chapitre 9

 

Dans lequel Jules Fléchard trouve un cheveu surl’azur de son firmament.

Comme c’est drôle la vie, tout demême !

Des années – quelquefois – sesuivent, se succèdent bêtement sans apporter quoi que ce soit denouveau à votre destinée, si ce n’est que de rogner chaque jour unpeu, les plumes de ce stupide et charmant volatile qu’on appellel’Espérance et puis, d’un coup, voilà qu’en un instant tout estchangé !

Le marécage de votre plate existence setransforme brusquement en tumultueux océan.

Des lueurs fulgurent le gris terne de votrefirmament et des ailes, croirait-on, vous poussent auxomoplates.

Telles furent les réflexions qui agitèrentl’esprit d’Arabella de Chaville, après le coup de théâtre racontéde si poignante façon dans un précédent chapitre.

Ainsi donc elle était aimée !

Aimée comme elle avait toujours désiré d’êtreaimée, dans des circonstances romanesques, par un homme quin’hésitait pas, de nuit, à sauter les murs d’un parc pourapercevoir ne fût-ce qu’une seconde, la silhouette effacée de sabelle, derrière un rideau !

Aimée par un homme qui rossait le guet, commeau beau temps des moyenâgesques aventures !

Et, à la dérobée, entre deux rétablissements,Arabella contemplait son professeur.

Certes, au premier aspect, vous ne prendriezpas Jules Fléchard pour un homme à prouesses, mais à le mieuxconsidérer, votre étonnement cesserait.

Ses yeux bruns sont ceux d’un amant et son airde fatigue révèle le héros provisoirement las de s’être longtempscolleté avec le Destin. On sent qu’il a les bras rompus, commedisait Baudelaire, pour avoir étreint des nuées.

Telle est du moins la vision qu’en éprouvaitArabella.

À plusieurs reprises, les regards de nos deuxhéros se rencontrèrent, et du bonheur pouvait s’y lire et del’espoir.

La demie sonna au beffroi proche : lemoment où la leçon de gymnastique prenait fin.

Toute droite, de ce roidissement qu’affectentles personnes à brusque détermination, Arabella tendait la main àson professeur :

– Mon cher Fléchard, au revoir et soyezbien persuadé que je ne vous oublierai pas pendant tout le tempsque nous allons être séparés !

– Séparés ?

– Hélas ! oui. Pendant que vousserez en prison, mon ami.

– En prison ?

Le pauvre Fléchard sembla subitement inquiet.Arabella n’allait-elle pas exiger qu’il se dénonçât,maintenant ! C’était pousser le romanesque un peu loin.

– En prison ?

– Mais quelle que soit la sévérité de vosjuges, mon cher ami, le tribunal de mon cœur vous a déjàacquitté.

– Croyez-vous que ce soit bien utile,mademoiselle, que j’aille me dénoncer ?

– Il le faut ! … Quoi de plusbeau que d’affronter les tribunaux et la prison pour celle qu’onaime !

– Oui, en effet, c’est beau, c’est trèsbeau ! Mais vous savez bien maintenant que je suis capable deles affronter, n’est-ce pas ? C’est l’important ! Gardonscela entre nous, causons-en, si vous voulez, de temps en temps,mais pourquoi le crier à tout le monde ?

– Il faut accomplir le sacrifice jusqu’aubout, Fléchard ! … Et puis, ce pauvre Blaireau estinnocent. Rendez-lui son honneur.

Le professeur se permit de ricaner :

– Oh ! l’honneur de Blaireau, voussavez ! je lui donnerai quelques pièces de cent sous, à cethomme, il aimera mieux cela.

– Pas de faiblesse, Fléchard !Dénoncez-vous avec cet héroïsme qui vous va si bien et qui me plaîtsi fort en vous !

– N’aurai-je pas l’air de poser ? devouloir – passez-moi l’expression – épater lagalerie ?

– Non, Fléchard, vous aurez l’air defaire votre devoir et vous sortirez grandi de cette épreuve,surtout à mes yeux.

Décidément, il n’y avait plus à caner !Tout de même, c’était une drôle d’idée de vouloir le faire aller enprison… Mais, bah, on en sort, de prison ! Et puis après, ahdélices !

– Mademoiselle Arabella, vous venez de meconvaincre !

– À la bonne heure, Fléchard ! Jevais prier ces messieurs de venir et vous leur répéterez ce quevous venez de me dire.

– Que je vous aime ?

– Non, cela ne les regarde pas, mais quec’est vous le vrai coupable et que Blaireau est innocent.

Fléchard eut une dernièrehésitation :

– Si on remettait cette petite cérémonieà plus tard ?

– Oh ! mon ami ! …

– C’est bien, mademoiselle, veuillezprévenir ces messieurs.

« Je suis prêt au sacrifice.

– Bravo ! Fléchard ! … Etprenez une belle attitude !

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer