Chapitre 29
Dans lequel les choses commencent à se gâterentre Blaireau et son ex-accusateur, le garde champêtre Parju(rade).
M. Dubenoît avait prévenu son gardechampêtre :
– Votre mission est des plus délicates,mon vieux Parju.
– Oui, monsieur le maire !
– Il est possible, il est même probable,qu’au cours de cette fête, Blaireau vous lance quelquesbrocards.
– Des… quoi, s’il vous plaît, monsieur lemaire ?
– Des brocards, c’est-à-dire desplaisanteries de mauvais goût, des railleries, des offenses.
– Bien, monsieur le maire.
– Vous ne lui répondrez rien, rien,rien ! C’est bien entendu ?
– C’est bien entendu, monsieur lemaire.
– Pas un mot.
– Oui, monsieur le maire.
– Pas même un geste.
– Oui, monsieur le maire.
– Seulement, à la moindre incartade de cecitoyen, vous viendrez me prévenir.
– Oui, monsieur le maire.
Parju se résuma à lui-même la consigne, souscette forme que lui eût enviée Tacite : « Ni mot, nigeste », et attendit les événements.
Les événements ne se firent pas longtempsattendre.
Très fier d’avoir trinqué avec M. leprésident, Blaireau ne résista pas au plaisir d’en triompher auxyeux de Parju qui, de loin, avait vu la scène.
Sans quitter le bar, il interpella l’humblefonctionnaire.
– Eh bien, mon vieux camarade, qu’est-ceque tu dis de ça ?
Parju ne broncha pas.
– Tu vois avec qui j’ai trinqué. Avec M.le président du tribunal de Montpaillard. C’est-il toi quitrinquerais avec le président d’un tribunal ? Hein, grosmalin !
Parju ne broncha pas.
– Toi, tu ne serais même pas fichu detrinquer avec le greffier de la justice de paix.
Parju ne broncha pas.
Blaireau hésita un instant entre deuxpartis : se mettre en colère contre l’entêté ou prendre pitiéde l’imbécile.
Le parti de la générosité l’emporta.
– Allons, vieux frère, je ne t’en veuxpas… viens trinquer avec moi, sans cérémonie.
Parju ne broncha pas.
– Mademoiselle, deux verres de champagne,s’il vous plaît… À la tienne, Parju !
Parju ne broncha pas.
– Tu ne veux pas trinquer ? …Eh bien, à la tienne, tout de même.
Et Blaireau vida les deux verres enmurmurant :
– Andouille, va !
Puis il ajouta :
– C’est à se demander si le gouvernementn’est pas fou d’avoir des gardes champêtres de cecalibre-là !