L’Affaire Blaireau

Chapitre 15

 

Dans lequel Blaireau voit poindre l’aurore– juste retour des choses d’ici-bas – d’une situationglorieuse pour lui.

Maître Guilloche, une grosse serviette sous lebras, entrait en coup de vent, tout heureux de la tournure queprenaient les choses.

– Mon cher Bluette, vous savez ce quim’amène ; je viens vous plier de me mettre en rapport, sitoutefois les règlements intérieurs de la prison vous y autorisent,avec la malheureuse victime de cette sombre affaire.

Bluette éclata de lire.

– La malheureuse victime de cette sombreaffaire, la voilà.

En entendant les paroles de l’avocat, Blaireaufut rassuré. Il n’était pas venu évidemment pour lui créer desennuis, cet avocat, puisqu’il le plaignait, puisqu’il le traitaitde malheureuse victime. Hé ! hé ! mais c’était peut-êtreune aubaine, au contraire, qui lui venait là… Il y avait peut-êtreun parti à tirer de la situation. En tout cas, il ne risquait riend’exagérer les choses.

Aussi prit-il l’air le plus minable qu’il putpour répondre à maître Guilloche :

– Oui, monsieur l’avocat, c’est moi lapauvre malheureuse victime.

Et il ajouta en poussant un grossoupir :

– Ah ! j’ai bien souffert,allez !

– Je m’en doute, mon pauvre ami, mais vostourments vont prendre fin.

– Ça n’est pas trop tôt.

– Je viens de passer au Parquet, j’aiobtenu communication de votre dossier j’ai remué ciel et terre…

– Oh ! merci, monsieurl’avocat ! merci !

– Vous serez mis en liberté aujourd’huimême… Ah ! ils n’avaient pas l’air content auParquet !

– Ils faisaient une tête, hein !

– Une vraie tête ! … L’aventureva faire un bruit énorme.

« Avez-vous lu mon article du Réveil deNord-et-Cher ?

– Non, monsieur l’avocat, à la prisonnous ne lisons que le Petit Journal.

– Je vous en ai apporté un numéro,prenez-en connaissance.

Blaireau se saisit de la gazette et lutd’abord ces mots, imprimés en lettres immenses :

UN SCANDALE À MONTPAILLARD

L’AFFAIRE BLAIREAU

GRAVE ERREUR JUDICIAIRE

– Je n’y pensais pas tout d’abord,murmura-t-il, mais c’est vrai, c’est une erreur judiciaire. Je suisvictime d’une erreur judiciaire.

Et il se répétait à lui-même, avec l’orgueilque donne toute notoriété naissante :

– L’affaire Blaireau ! L’affaireBlaireau ! voilà que j’ai donné mon nom à une affaire,maintenant !

– Lisez, mon ami.

Blaireau lut :

« Le malheureux, qu’une des plus graveserreurs judiciaires commises par la magistrature dans ce dernierquart de siècle a laissé pendant des années dans la prison deMontpaillard…  »

– Oh ! des années ! protestadoucement Bluette, c’est un peu exagéré.

– Nous rectifierons dans un de nosprochains numéros.

– Le temps ne fait rien à la chose,affirma Blaireau. Je continue :

« … Pendant des années dans la prison deMontpaillard, l’infortuné Blaireau sera vengé par l’opinionpublique. Quant à nous, nous ne l’abandonnerons pas !

Signé : LA RÉDACTION. »

Blaireau se rengorgeait de plus enplus :

– Monsieur l’avocat, je vous prie deremercier la Rédaction pour moi et de lui dire qu’elle n’aura pasaffaire à un ingrat. Si jamais elle a besoin d’un beau lièvre oud’une jolie truite…

– Merci pour elle, Blaireau.

– Oui, pour un article de journal, voilàce que j’appelle un article de journal ! Je voudrais bienpouvoir en écrire comme ça !

– Vous faites mieux que de les écrire,mon cher camarade, vous les inspirez !

Et il lui serra la main d’une chaleureuseétreinte.

– Mais ce n’est pas tout, Blaireau.

– Qu’est-ce qu’il y a encore ?

– Réfléchissez bien. Pénétrez-vous decette idée que vous n’êtes plus le simple et banal Blaireaud’autrefois.

– Je m’en pénètre bien, monsieurl’avocat ; mais, en quoi que je ne suis plus le simple etbanal Blaireau d’autrefois ?

– En ceci que tout le monde aujourd’hui ales regards fixés sur vous.

– Diable !

– Votre nom n’est plus seulement votrenom à vous, il est devenu celui d’un scandale public.

– C’est parfaitement vrai.

– Et vous voilà tout naturellementdésigné pour être le porte-drapeau des persécutés.

– Je le serai !

– N’oubliez pas que cette situation vouscrée des devoirs auxquels vous ne sauriez vous soustraire.

– Rassurez-vous, monsieur l’avocat. Sivous me connaissiez mieux, vous sauriez que je ne suis pas un hommeà me soustraire à aucun devoir. Le porte-drapeau des persécutés,oui, je le serai ! oui, répéta-t-il avec force.

– Bravo, Blaireau ! Dans votrepoitrine bat le cœur des citoyens antiques !

– Hein ! qui est-ce qui aurait ditça, l’année dernière, que je deviendrais porte-drapeau !

– Pour commencer mon vieux camarade, vousdînez, ce soir avec toute la rédaction du Réveil.

– J’accepte.

Ici, le directeur crut devoir placer unetimide observation :

– Mon cher maître, je ne sais pas jusqu’àquel point les règlements intérieurs de la prison m’autorisent àlaisser inviter mes détenus à dîner en ville. Mais étant donné lescirconstances particulières.

– Oh ! oui, s’écria amèrementBlaireau, particulières, on peut le dire qu’elles sontparticulières, les circonstances !

– Tout à l’heure, donc, mon cherBlaireau, je vais revenir vous chercher et bientôt, quand s’ouvrirala période électorale, c’est vous qui serez le président d’honneurde toutes nos réunions.

– Président d’honneur ! je veuxbien, mais est-ce que je saurai ?

– Rien n’est plus facile. Je vousapprendrai.

– Je présiderai avec mondrapeau ?

– Quel drapeau ?

– Le drapeau des persécutés,donc !

– Ah ! ah ! ah ! ah !ah ! Le drapeau des persécutés, cher ami, n’existe pas àproprement dire. C’est une figure… une façon de parler

– Ça ne fait rien, je me tiendrai commesi j’en avais un.

– C’est cela ! … À propos, vousallez probablement recevoir la visite de M. Dubenoît, le maire. Ilva chercher à vous entortiller… méfiez-vous. Justement, levoici !

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