L’Affaire Blaireau

Chapitre 18

 

Dans lequel, de glorieuse qu’elle était déjà, lasituation de Blaireau s’annonce, ce qui ne gâte rien, comme desplus rémunératrices.

En quelques mots, Blaireau fut au courant deschoses.

De concert avec la plus brillante jeunesse deMontpaillard,

M. le baron de Hautpertuis préparait unesplendide fête au bénéfice de l’infortuné Blaireau, une fête quiserait l’événement de la saison.

– Une fête pour moi !

– Oui, une fête pour vous, mon chermonsieur… comment déjà ?

– Blaireau… je m’appelle Blaireau. voussavez bien : l’Affaire Blaireau !

– Parfaitement, je me souviens. Oui,monsieur Blaireau, nous sommes en train de vous organiser quelquechose de soigné, une splendide fête dont vous serez lehéros !

– Le héros ! je serai lehéros !

Blaireau se redressait : il y a un quartd’heure, il était promu porte-drapeau des persécutés et voici qu’ildevenait héros, maintenant ! Héros d’une fête organisée par unbaron !

Allons, les choses prenaient une bonnetournure !

Après la gloire, l’argent !

M. Dubenoît, lui, s’attristait de plus enplus, en voyant l’ordre à Montpaillard décidément compromis.

Il fit une dernière tentative :

– Ne croyez-vous pas, monsieur le baron,qu’une bonne place de jardinier ne serait pas préférable pour cegarçon-là ?

Blaireau eut une grimace :

– Euh ! Une bonne place de jardinierElles sont bien rares, vous savez, les bonnes places dejardinier

– Et puis, ajouta le baron, il seratoujours temps de lui chercher une place après la fête, quand cemalheureux aura touché le produit de cette belle manifestation dela charité publique.

Blaireau ouvrait des yeux énormes et desoreilles non moindres :

– Alors c’est moi qui toucherai, monsieurle baron ? Je toucherai… tout ?

– Oui, mon ami, vous toucherez tout,moins les frais insignifiants et quelques menues dépenses de lafête.

– Bien entendu… Et à combien croyez-vousque ça puisse se monter, la recette, à peu près ?

– Oui, ricana M. le maire, à combiencroyez-vous que ça puisse se monter ?

– Dame. . , je ne sais pas trop, moi.

– Eh bien ! mon cher baron,permettez-moi de vous dire qu’une fête dans le genre de celle-là nerapporterait pas vingt francs, à Montpaillard.

– Vingt francs ? vousbadinez !

– C’est que Montpaillard n’est pas uneville riche, monsieur le baron.

– Vous disiez hier qu’il n’y avait pas depauvres dans votre commune ?

– Il n’y a pas de pauvres, c’est vrai,mais il n’y a pas de riches non plus. Montpaillard, monsieur lebaron, est composé de gens aisés (s’animant), tranquilles !(se promenant avec agitation), paisibles ! (faisant desgestes). Des gens qui repousseront avec la dernière violence lesinnovations parisiennes dont la capitale cherche à empoisonner laprovince, soit dit sans vous offenser, monsieur le baron !

– Je ne m’offense pas, monsieur le maire,je m’étonne simplement.

– Tenez, je vous parie cinq cents francsque votre fête n’en rapportera pas deux cents.

– Je les tiens. voilà vingt-cinq louis deplus dans la caisse de Blaireau. Blaireau, vous pouvez remercier M.Dubenoît.

– C’est la première fois, dit Blaireau,que M, le maire est tant soit peu gentil pour moi. Merci bien,monsieur le maire !

– Il n’y a pas de quoi, mon garçon, vousle verrez bientôt, car cette fameuse fête sera une immenseveste.

M, de Hautpertuis fut piqué au vif.

– Mon cher monsieur Dubenoît, j’aiorganisé dans ma vie soixante et onze fêtes de charité à la suitede catastrophes diverses. J’ai sauvé de la misère des Péruviens,des Turcs, des Portugais, des Chinois, des Moldo-Valaques, desÉgyptiens… Il serait plaisant que je ne réussisse pas, la premièrefois que j’organise une fête au bénéfice d’un compatriote.

– Si vous connaissiez Montpaillard, vousne parleriez pas ainsi.

– Je réponds de tout !

– Nous en recauserons… Messieurs, je vousquitte, on m’attend à la mairie.

Il était temps que M. Dubenoît sortît, ilallait éclater.

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