L’Affaire Blaireau

Chapitre 20

 

Dans lequel Blaireau revêt la malsaine livrée dela popularité.

Bluette n’avait pas plutôt les talons tournésque Me Guilloche faisait une nouvelle et brusque irruption.

– Bonjour baron. vous allezbien ?

– Fort bien et vous aussi, n’est-ce pas,car si j’en juge par le volume de votre serviette, les affaires dela chicane doivent être des plus prospères.

Le fait est que la serviette que portait MeGuilloche sous son bras semblait bondée à éclater.

– Dites-moi, baron, Bluette est-il absentpour longtemps ?

–Pour peu d’instants, je crois. Il s’occupe dedonner quelques ordres, m’a-t-il dit.

– Alors, pas de temps à perdre ;Blaireau, je vous apporte des habits.

– Des beaux habits ?

– Des habits magnifiques.

– Ah ! tant mieux ! Il n’y arien que j’aime tant comme les beaux habits ! Si j’avais eu dela fortune, il n’y aurait jamais eu dans le pays personne d’aussibien habillé que moi !

– Tenez, les voici, vos habits !

Guilloche extirpait de sa serviette un costumecomplet, dont la vue fit immédiatement pousser des cris d’horreur àM. de Hautpertuis et des clameurs d’indignation à Blaireau.

Un costume à décourager tout à la fois lecrayon de Callot et la palette de Goya !

Des hardes sans forme, des guenilles sanscouleur définissable, avec des trous, des accrocs, toute unehideuse et terne polychromie de raccommodages et de pièces.

D’abord suffoqué presque jusqu’à l’asphyxie,Blaireau, maintenant, croyait à une farce, à une excellente farcede son avocat.

– Vous en avez de bonnes, monsieurGuilloche !

– Allons, Blaireau ! vite !nous n’avons pas de temps à perdre !

– Que je me mette ça sur ledos ?

– Évidemment !

Alors, c’était sérieux ! Blaireau necomprenait plus :

– Vous vous moquez de moi, pasvrai ?

– Je ne me moque pas de vous, Blaireau.C’est bien le costume que vous allez mettre pour votre sortie deprison.

– Vous appelez ça un costume, vous ;eh bien, vous n’avez pas peur ! Jamais je ne me montrerai dansla rue avec des loques comme ça sur le dos ! Uninnocent ! De quoi que j’aurais l’air voyons !

– Mais si, mais si. Il y aura plus decinq cents personnes à la porte de la prison attendant votresortie… vous ferez un certain effet, je vous le garantis.

– Je n’ai pas de peine à le croire aveccette défroque-là. Non, je ne veux pas !

– Mais vous ne comprenez donc pas, grandenfant que vous êtes, que plus vous serez ignoblement vêtu, plus lapitié publique ira vers vous ! Demandez plutôt à M. deHautpertuis.

– C’est évident, appuya le baron.

– Alors, s’écria Blaireau, vous, monsieurle baron, vous consentiriez à vous habiller avec ça ?

– Dans les circonstances habituelles dela vie, mon ami, non ! Mais dans la situation actuelle, jen’hésiterais pas une seconde. Quand la foule vous apercevra, vousserez certainement acclamé !

– Et même porté en triomphe, appuyaGuilloche. D’ailleurs, la manifestation est admirablementorganisée. Ces messieurs du parti sont en train de répéter.

Cette assurance d’un triomphe prochain décidaBlaireau.

– Allons, passez-moi vosfripes !

En un tour de main, il avait quitté sespropres vêtements et endossé les haillons sordides.

Un cri d’admiration échappa à Guilloche.

– Vrai, Blaireau, vous êtessuperbe !

Le baron assura son monocle :

– Épatant, mon ami, très chic ! Aufameux bal des haillons que donna la duchesse, cet hiver je ne mesouviens pas avoir remarqué guenilles plus pittoresques.

– C’est égal, monsieur le baron,j’aimerais mieux un petit complet dans le genre du vôtre.

– Je vous donnerai l’adresse de montailleur.

– Quand j’aurai touché l’argent de lafête…

Un éclat de rire l’interrompit. C’étaitBluette qui, tout à coup, apercevait cette mascarade :

– Qu’est-ce que c’est que ça ? Monpauvre Blaireau, comme vous voilà fichu !

– C’est moi, expliqua Guilloche, qui mesuis permis d’apporter quelques effets à mon client, il n’avaitrien de convenable à se mettre. Alors…

– Je ne vous cacherai pas, mon chermaître, que les règlements intérieurs de la prison ne m’autorisentpas à laisser affubler mes détenus de la sorte, même au moment ducarnaval.

– J’ai pensé que, dans les circonstancesprésentes, je pouvais en quelque sorte…

Blaireau, maintenant, se trouve tout à faitchic, comme disait le baron, et l’idée de son prochain triomphel’exalte au point de lui faire perdre sa réserve ordinaire.

Il est désormais dans la peau dubonhomme :

– Eh bien, il ne manquerait plus que ça,par exemple ! s’écrie-t-il. Après avoir souffert ce que j’aisouffert, je n’aurais plus le droit de m’habiller comme jeveux ! Ça serait trop fort !

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