L’Affaire Blaireau

Chapitre 11

 

Dans lequel l’auteur va mettre sa clientèle encontact avec une jeune et élégante irrégulière non dénuée, aureste, de bons sentiments, ce qui arrive plus souvent qu’on necroit, chez ces sortes de créatures.

Mesdames et messieurs les lecteurs, envoiture !

Usant de cet admirable privilège que possèdentles romanciers de transporter sans bourse délier et instantanémentla masse de leurs lecteurs dans les endroits les plus lointains, jevais, pour quelques heures, vous arracher à cette agréablevillégiature de Montpaillard où nous venons de passer ensemble unedizaine de… chapitres.

Donc, nous voici à Paris.

Quartier de l’Étoile.

Dans un coquet appartement habité par unejeune femme, une de ces jeunes femmes qui… une de ces jeunes femmesdont…

Cette personne qui n’est pas une jeune fille,puisque je vous dis que c’est une jeune femme, n’est pas non plusl’épouse d’un quidam.

Veuve ?

Pas davantage.

Au surplus, il serait inélégant d’insister surcette enquête parfaitement superflue d’ailleurs, et digne d’unmercenaire du recensement, car les lignes qui vont suivre nousfixeront bien assez tôt sur le regrettable état civil de cettejolie pécheresse.

Au moment où nous pénétrons chez elle, lapetite dame n’a pas l’air content. D’une main rageuse, ellechiffonne la missive qu’une accorte chambrière vient de luiremettre.

Continuant à user du privilège en question, jevais traduire en langage clair les pensées qui agitent la petiteâme de la petite dame.

Son ami, son principal ami – car qui n’apoint son gigolo ? -, son ami sérieux, M. de Hautpertuis, luiavait pourtant bien promis d’être rentré à Paris aujourd’huimême.

Après quoi, on filait sur Trouville. Et puis,tout à coup, voilà que ce gentilhomme demande de patienter encoreun peu.

Il se trouve si bien, lui, à la campagne, chezson vieux camarade de Chaville, il est si gâté, si choyé !

Et puis, les jeunes filles de la provincec’est très gentil ! Ça vous change un peu du Jardin de Paris,n’est-ce pas, et du Bois de Boulogne, et du Palais de Glace.

Toute la lettre du baron est conçue dans cesens.

– Ah ! tu aimes le changement, vieuxserin ! rage la petite dame. Eh bien ! moi aussi !Ah ! tu te trouves bien à Montpaillard, eh bien, moi aussi, jevais y aller ! Justement, j’y connais quelqu’un…Augustine !

– Madame ?

– Préparez-moi une malle, une petite,pour quelques jours seulement… Rien que des choses simples.

– Bien, madame.

Et elle ajouta en elle-même :

– Une tenue sobre est de rigueur pouraller où je vais… En prison ! Oh ! que ça va être drôle,mon Dieu, que ça va donc être drôle !

Elle a pris deux feuilles de papier et deuxenveloppes.

Sur la première feuille elle trace, d’unebelle écriture anglaise haute, droite et ferme, ces mots :

« Mon cher ami,

Vous retardez, me dites-vous, de quelquesjours votre rentrée à Paris. Cela ne saurait tomber mieux à pic,car je reçois à l’instant de fâcheuses nouvelles de la santé de matante de Melun, assez fâcheuses pour que je me décide à allerpasser plusieurs jours au chevet de ma bonne vieille parente.

Embrassez-moi sur le front, en évitant de medécoiffer »

Delphine de Serquigny.

Elle inséra cette missive dans une enveloppequi porta cette suscription :

Monsieur le baron de Hautpertuis, chez M. deChaville, à Montpaillard (Nord-et-Cher).

Sur la seconde feuille elle traça, d’uneécriture bien française celle-là, et même un peu folichonne, cesmots :

« Mon vieux loup chéri, Qu’est-ce que tudirais si ta petite Alice rappliquait demain dans tonadministration ? Tu serais bien content, dis ? Et puis,je te dois bien ça, entre nous. À demain donc, vieux loup. Untélégramme bien senti te dira l’heure de mon arrivée.

« Ta petite pintade au gratin.

« Alice. »

Elle inséra cette missive dans une enveloppequi porta cette suscription :

M. Bluette, directeur de la prison deMontpaillard (Nord-et-Cher).

– Augustine !

– Madame ?

– Vous ferez jeter ces deux lettres à laposte.

– Bien, madame.

Le mécontentement de Mlle Delphine deSerquigny, ou, pour dire plus juste, de Mlle Alice Cloquet, s’étaitévanoui, ainsi qu’un léger nuage.

Au contraire même, la jeune personne ne sesentait plus de joie à l’idée de passer quelques jours en prisonavec son ancien ami, un de ses premiers, celui dont elle conservaitle meilleur et plus gai souvenir. Elle l’avait ruiné, c’est vrai(la vie est si chère à Paris !), mais si gentiment ruiné, eton s’était si fort amusés tous les deux, pendant le temps qu’onétait resté ensemble !

Puis la séparation fatale, mais en bonscamarades : lui parti comme directeur de prison àMontpaillard, elle devenue très chic, très lancée, très Delphine deSerquigny, mais restée bonne fille, et la preuve c’est qu’elle sesouvient de son petit Bluette et qu’elle se sent toute joyeuse àl’idée du plaisir qu’elle va lui causer en débarquant chez lui.

– Et puis, je lui dois bien cela !répète-t-elle avec un gentil petit remords, tout petit, petit…

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