L’Affaire Blaireau

Chapitre 31

 

Dans lequel M. le directeur de la prison deMontpaillard se montre toujours fidèle à son système d’employer lesdétenus à la profession qu’ils remplissaient avant leurarrestation.

Cependant Blaireau continuait à être lemeilleur client du bar.

Il avait dit à la jeune fille qui servait decaissière :

– Marquez bien toutes mes consommations,mademoiselle, je vous réglerai ma petite note ce soir quand j’auraitouché mon profit.

Jusqu’à présent, le profit ne semblait pasprendre des allures de vertige, et, en dépit des : « Çava bien, ça va bien », de notre optimiste baron, l’assistancepersistait à être des plus clairsemées.

Blaireau mettait une extrême coquetterie à nepas faire Suisse, comme on dit au régiment, c’est-à-dire à ne pasboire seul.

Chaque nouvel arrivant, il l’invitait.

– C’est bien le moins que ce soit matournée, aujourd’hui !

Mademoiselle et toi, mon vieux Fléchard,encore un petit verre de champagne.

– Je ne voudrais pas vous désobliger,monsieur Blaireau, dit Arabella, mais…

– C’est ça qui ne serait pas gentil de medésobliger après tout ce que j’ai souffert.

– Vous exagérez, monsieur Blaireau, vousn’avez pas tant souffert que vous le dites. Et puis, bien souvent,vous receviez des petites douceurs, du vin, des cigares, desconfitures.

– C’est vrai… Comment diable savez-vousça ?

Embarrassée, elle balbutia :

– Je sais cela, parce que…

Fléchard vint au secours de sonamie :

– Mademoiselle est la présidente d’uneœuvre qui a pour but d’envoyer des secours à tous les innocents quisont dans les prisons.

– Tiens, tiens, tiens ! Je n’avaisjamais entendu parler de cette organisation-là.

– C’est la Ligue pour réparer dans lamesure du possible les inconvénients des erreursjudiciaires.

– Elle doit avoir de l’occupation votreligue ! Mais, au fait, mademoiselle, comment saviez-vous quej’étais innocent ?

– Ah, voilà ! Notre ligue a sapolice.

– Alors, toi, mon pauvre Fléchard, on net’enverra pas de cigares pendant ta rude captivité ?

– Hélas, non ! Moi, je suis un vraimalfaiteur !

– Ne te fais pas trop de bile, je vais terecommander à mon ancien patron. Il te soignera bien. Hé !monsieur Bluette, un petit mot, s’il vous plaît ? … On nereconnaît donc plus son ancien pensionnaire ?

– Ma foi, je l’avoue, je ne vousreconnaissais pas. Peste ! mon cher, comme vous voilàmis !

– C’est gentil, ça, d’être venu à mafête.

– J’ai tenu à vous serrer la main :vous ayant connu à la peine, je suis enchanté de vous contempler àl’honneur. Je vous dirai même, mon cher Blaireau, que je me suispermis d’entrer sans payer.

– Vous avez joliment bien fait, monsieurBluette ! … Eh bien ! il n’aurait plus manqué que cela…Est-ce que vous m’avez fait payer un sou, pendant tout le temps queje suis resté dans votre établissement ?

– Jamais, en effet ! De plus, deuxde mes pensionnaires m’ont demandé une faveur que je n’ai pas crudevoir leur refuser. Ils sont ici qui m’attendent à l’entrée.

Le baron de Hautpertuis ne put se défendred’une vague inquiétude.

– Vous avez amené deux de vos détenusici, dans cette fête !

– Deux charmants garçons, baron, queBlaireau a connus chez moi, Feston et Durenfort.

– Oui, confirma Blaireau, deux bons garset pas fiers.

– Vous voudrez bien, baron, leur prêterune de vos baraques pour leur permettre d’accomplir leurs curieuxexercices.

– En quoi consistent cesexercices ?

– L’un d’eux joue du trombone à coulisse,pendant que l’autre mange des lapins vivants.

– Des lapins vivants ? Pauvresbêtes ! gémit une des jeunes filles du bar.

– Affaire d’habitude, mademoiselle,simple affaire d’habitude !

– Pour vos saltimbanques, oui, mais paspour les lapins.

– Et, s’informa le baron, à la suite dequel délit furent condamnés ces artistes ?

– Le trombone pour avoir emprunténuitamment le lapin d’autrui, et l’autre pour l’avoir mangé.

– Parfaitement ! dit M.Lerechigneux, je me souviens, c’est moi qui les ai condamnés.J’assimilai, fort habilement, au recel, le cas du dernier

– Fort ingénieux, en effet. Par ici, mes amis,par ici.

– Un verre de champagne en passant,n’oublia pas Blaireau.

– Ce n’est pas de refus.

– Ce vieux Feston ! Ce vieuxDurenfort !

– Ce vieux Blaireau !

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