L’Affaire Blaireau

Chapitre 30

 

Dans lequel, ou plutôt, à la fin duquel la puremémoire d’Agrippa d’Aubigné sera légèrement ternie, mais fort peu,en somme.

– Tiens, mais je vous reconnais,vous ! fit Blaireau au monsieur mince qui s’avançait d’un airfortement navré.

Jules Fléchard, car c’était lui, fouilla danstous les tiroirs de ses souvenirs, mais en vain : il nereconnaissait pas, lui, son interpellateur.

– Est-ce pas vous, continua ce dernierqui vouliez, à toute force, entrer dans la prison, juste au momentoù moi je voulais en sortir ?

– Monsieur Blaireau, sansdoute ?

– Lui-même, en personne.

– Enchanté de faire votreconnaissance.

– Moi aussi je suis enchanté, mais, soitdit sans reproche, vous auriez pu la faire beaucoup plus tôt, maconnaissance. La chose ne vous aurait pas été bien difficile. voussaviez où me trouver Il prit un air suprêmement ironique.

– Je n’ai pour ainsi dire pas bougédepuis trois mois.

– Je préférais attendre.

– Attendre quoi ?

– Le beau temps.

– Drôle d’idée ! … Enfin,chacun son goût. Un verre de champagne avec moi, sans cérémonie,mon vieux… comment, déjà ?

– Fléchard… Jules Fléchard…

–… Mon vieux Fléchard, pour vous montrer queje ne vous en veux pas ; je ne sais ce que j’ai aujourd’hui,je n’en veux à personne, pas même à ce vieux serin de gardechampêtre. Hé, Parju !

Parju ne broncha pas.

Fléchard allait poliment accepter la gracieuseinvitation de Blaireau quand, tout pâle, il aperçut Arabella deChaville qui venait à lui.

– Mademoiselle !

– Monsieur Fléchard ! (Bas)Jules !

– (Bas) Arabella ! … Quelledétresse est la mienne ! Hier encore, j’ai fait une démarchesuprême au Parquet ; ces misérables se refusent àm’incarcérer… Soyez sûre, ma chère amie, que, depuis une semaine,j’ai fait infiniment plus d’efforts pour entrer en prison qu’il nem’en eût fallu pour m’évader.

Le visage de l’un peu mûre mais romanesquefille se couvrit d’une charmante rougeur.

– Écoutez, Jules, j’ai beaucoup réfléchidepuis quelques jours, je me suis interrogée longuement et(baissant la voix et rougissant plus fort) j’aime mieux maintenantque nous ne soyons plus séparés, mon ami.

Fléchard eut un tressaillement dejoie :

– Arabella, vous êtes un ange ! etil lui baisa la main.

– Et vous, Jules, vous êtes monhéros !

– Oui, Arabella, nous serons heureux…mais quand ?

– Bientôt, Jules.

– Pas avant que je n’aie payé madette.

– Quelle dette ?

– Ma dette à la société. Jusqu’à présent,je n’avais rien dû à la société, aujourd’hui nous sommes encompte.

– Qu’importe, j’ai comme un pressentimentque cette affaire s’arrangera.

M. Lerechigneux passait.

– N’est-ce pas, monsieur le président,que cette affaire s’arrangera ?

– En principe, mademoiselle, toutes lesaffaires s’arrangent, mais dites-moi de quelle sorte d’affaire ils’agit en ce moment ?

– Du cas de M. Fléchard, le coupable dansl’affaire Blaireau.

Blaireau avait entendu.

– L’affaire Blaireau ! répéta-t-ilcomme un écho, et de plus en plus échauffé par le champagne.Ah ! en voilà une qui peut se vanter d’en être une affaire,ça, l’affaire Blaireau ! Mais l’affaire Fléchard, ça, ça n’estrien du tout. M. le président vous le dira comme moi :l’affaire Fléchard, ça n’est rien du tout !

« Ah ! parlez-moi de l’affaireBlaireau.

– Blaireau a raison, confirma leprésident. M. Fléchard a droit à l’indulgence du tribunal. On adéjà fait trois mois de prison pour ce délit-là. (À Fléchard). Letribunal vous en tiendra compte et je crois pouvoir vous affirmerqu’avec une légère amende…

– Une amende !

– Dans les seize francs…

– Oh ! merci, monsieur le président,s’écria Arabella, vos paroles me mettent du baume dans lecœur !

Blaireau, qui décidément se sentait une vivesympathie pour Fléchard, proposa :

– Il y aurait quelque chose de bien plussimple, ce serait de l’acquitter Si on l’acquittait tout de suite,monsieur le président, en vidant un verre ? Entendu, hein,nous acquittons Fléchard !

– Ici, mon cher ami, cela ne compteraitpas, mais, je le répète, le tribunal sera indulgent, j’enréponds.

– D’autant plus, atténua Fléchard d’unair détaché, que la chose est insignifiante. Au Moyen Age on n’yaurait même pas fait attention. C’était le passe-temps favori desgrands seigneurs de rosser les gardes champêtres ; Colbert,Sully, Agrippa d’Aubigné ne s’amusaient pas autrement !

– Oh ! protesta le président,Agrippa d’Aubigné ! … je ne sais pas jusqu’à quel pointAgrippa d’Aubigné…

– Mais oui, affirma Blaireau, Agrippad’Aubigné comme les autres ! … Mademoiselle, servez-nousquatre verres de champagne ! Il y a longtemps qu’on n’a pastrinqué !

Et il ajouta tout joyeux :

– Agrippa d’Aubigné, je l’ai connu dansle temps. C’était un rude lapin !

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