L’escalier d’or

Chapitre 24Où le retour est plus mélancolique que l’adieu.

 

« La marquise, au comte qui lui donnela main. – C’est inconcevable que le temps ait changé comme celad’un moment à l’autre !

Le comte. – Mais, madame, c’est une chosetoute simple, et qui arrive tous les jours. »

Carmontelle.

 

Du temps passa. Des semaines d’abord, puis desmois me séparèrent de ce morceau de ma vie où j’avais connu ValèreBouldouyr et ses amis. Je pensais souvent à eux et à Françoise,mais le souvenir que j’en gardais devenait chaque jour plus vague,plus indistinct. Il me semblait avoir rêvé cet épisode plutôt quel’avoir vécu. Parfois, le soir, au coin de mon feu, au retour d’uneexpédition sur les quais ou chez un lointain bouquiniste, – plus oumoins fructueuse ! – j’essayais de me représenter les traitsde mon vieil ami ou de sa nièce. Déjà, leur image me fuyait :je croyais toujours que j’allais saisir leur physionomie dans saréalité, dans son relief, mais ce n’était jamais qu’une image àdemi perdue, comme un daguerréotype, et qui fondait, pour ainsidire, devant mon regard.

Le printemps ramena la vie et la gaîté sousles charmilles du Palais-Royal que l’hiver avait rendues âpres etnues. Je vis de nouveau le paulownia, tout contracté, ouvrir dansun bois charbonneux ses étoiles d’un violet pâle ; de richescouleurs coururent sur les parterres, les cris des enfantsmontèrent jusqu’à ma fenêtre ; puis l’été combla de sonhaleine de fournaise le tranquille et noir quadrilatère auxpilastres réguliers.

Et je saluai l’anniversaire de la disparitionde Françoise, puis de mon départ pour Nantes.

Un soir d’août, je lisais un de ces livresmétaphoriques, obscurs et musicaux, qui me rappelaient la jeunessede Valère Bouldouyr, quand la sonnette de mon appartement tinta.Peu après, on introduisit un grand jeune homme blond. Je me levai,et soudain je dressai les bras en signe de surprise : c’étaitLucien Béchard.

Il avait beaucoup changé ; il me semblaplus viril et plus triste. Ses favoris étaient rasés, ses cheveuxcourts ; une moustache en brosse se hérissait au-dessus de seslèvres. Hâlé, les épaules élargies, la voix sonore, il me rappelaità peine le voyageur de commerce romantique, qui m’avait quitté,voici plus d’un an !

Tant de souvenirs douloureux entraient aveclui dans la pièce que je ne savais que lui dire et qu’il se taisaitpareillement. Enfin il vint s’asseoir dans un fauteuil bas, del’autre côté de mon bureau.

– Je suis arrivé, il y a cinq jours, fit-il,sans hausser la voix. Ma première visite est pour vous. Je suis siému de vous voire, Pierre ! Il me semble que tout n’est pasfini…

Il ajouta :

– Vous vous en souvenez, mon voyage ne devaitêtre que de six mois. Mais j’ai demandé à le prolonger. Je savaisque je n’avais plus rien à faire ici. Je reviens avec la situationbrillante que l’on m’avait offerte et que le succès de mon voyage ajustifiée. À quoi bon, maintenant ? Elle ne peut plus meservir à rien ! Étiez-vous là quand Valère est mort ?

Je lui racontai ce que vous savez déjà, monabsence de Paris, mon retour, ma surprise.

– Et elle, savez-vous pourquoi ellem’a quitté sans un mot, sans un adieu, pour épouser ceM. Agniel ?

Je lui dis ce que j’avais appris, ce que jesoupçonnais. Béchard, machinalement, mettait en équilibre de menusbibelots sur une pile de brochures. Soudain, l’une d’elles bascula,et l’édifice entier roula sur le sol.

– Personne ne saura ce que j’ai souffertlà-bas ! Moi-même, je ne me doutais pas que je l’aimais à cepoint. Un soir, à Sao-Polo, j’ai pris mon revolver et je l’ai armé…Ce qui m’a sauvé, je crois, c’est le désir de savoir la vérité. Iln’est pas possible qu’elle m’ait menti, qu’elle ait joué lacomédie. Alors ?

Il leva la tête, sa belle tête brunie etmélancolique.

– Il faut que vous me rendiez un service,dit-il. Nous irons la voir ensemble.

– Mais personne au monde ne sait où elleest !

– Allons donc ! On ne disparaît pas commecela. Ne vous occupez de rien, je ferai les recherches nécessaires.Je ne vous demande que de m’accompagner le jour où je connaîtrai lelieu où elle se cache. Comme vous êtes l’ami de son mari, vouspourrez tout de même entrer chez elle, et vous lui demanderez uneentrevue en mon nom. Je veux la revoir encore une fois, unedernière fois…

Je le lui promis. Il répétait :

– Je veux savoir, savoir… Je ne peux pascroire qu’elle m’ait trahi. Il y a quelque chose que je necomprends pas.

J’admirai cette sorte de foi en Françoise, etje me demandai si j’aurais eu la force de la garder ainsi, dans lecas où cette mésaventure me fût advenue. Et cependant, au fond demoi-même, je conservais la même conviction ; j’étais, il estvrai, plus désintéressé dans la question.

Il m’apprit, avant de me quitter, que c’étaitpar son ami Jasmin-Brutelier qu’il avait été tenu au courant detous ces événements.

– Il est heureux, lui, conclut-il. Il n’estpas seul au monde…

Pendant quinze jours, je fus sans nouvelles deLucien Béchard. Il reparut au bout de ce laps de temps.

– Êtes-vous toujours décidé àm’accompagner ? me dit-il en entrant.

– Plus que jamais !

– Eh bien ! j’ai trouvé la piste deFrançoise. Son mari a acheté une étude de notaire à Aubagne, quiest une toute petite ville, près de Marseille. Ils y vivent tousles deux. J’ai leur adresse. Quand partons-nous ?

Le surlendemain, Lucien Béchard et moi nousprenions à la gare de Lyon le train de 8 heures 15.

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