L’Illusion Comique

Scène VI

Clindor,Isabelle

 

Clindor

Jugez plutôt par là l’humeur dupersonnage :

Ce page n’est chez lui que pour cebadinage,

Et venir d’heure en heure avertir SaGrandeur

D’un courrier, d’un agent, ou d’unambassadeur.

Isabelle

Ce message me plaît bien plus qu’il ne luisemble ;

Il me défait d’un fou pour nous laisserensemble.

Clindor

Ce discours favorable enhardira mes feux

À bien user du temps si propice à mesvœux.

Isabelle

Que m’allez-vous conter ?

Clindor

Que j’adore Isabelle,

Que je n’ai plus de cœur ni d’âme que pourelle ;

Que ma vie…

Isabelle

Épargnez ces propos superflus ;

Je les sais, je les crois : quevoulez-vous de plus ?

Je néglige à vos yeux l’offre d’undiadème ;

Je dédaigne un rival : en un mot, je vousaime.

C’est aux commencements des faiblespassions

À s’amuser encore aux protestations :

Il suffit de nous voir au point où sont lesnôtres ;

Un coup d’œil vaut pour vous tous les discoursdes autres.

Clindor

Dieux ! qui l’eût jamais cru que mon sortrigoureux

Se rendît si facile à mon cœuramoureux !

Banni de mon pays par la rigueur d’unpère,

Sans support, sans amis, accablé demisère,

Et réduit à flatter le caprice arrogant

Et les vaines humeurs d’un maîtreextravagant,

Ce pitoyable état de ma triste fortune

N’a rien qui vous déplaise ou qui vousimportune ;

Et d’un rival puissant les biens et lagrandeur

Obtiennent moins sur vous que sur sincèreardeur.

Isabelle

C’est comme il faut choisir. Un amourvéritable

S’attache seulement à ce qu’il voitaimable.

Qui regarde les biens ou la condition

N’a qu’un amour avare, ou pleind’ambition,

Et souille lâchement par ce mélange infâme

Les plus nobles désirs qu’enfante une belleâme.

Je sais bien que mon père a d’autressentiments,

Et mettra de l’obstacle à noscontentements :

Mais l’amour sur mon cœur a pris trop depuissance

Pour écouter encor les lois de lanaissance.

Mon père peut beaucoup, mais bien moins que mafoi.

Il a choisi pour lui, je veux choisir pourmoi.

Clindor

Confus de voir donner à mon peu de mérite…

Isabelle

Voici mon importun, souffrez que jel’évite.

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