Scène III
Adraste,Isabelle
Adraste
Hélas ! s’il est ainsi, quel malheur estle mien !
Je soupire, j’endure, et je n’avancerien ;
Et malgré les transports de mon amourextrême,
Vous ne voulez pas croire encor que je vousaime.
Isabelle
Je ne sais pas, monsieur, de quoi vous meblâmez.
Je me connais aimable, et crois que vousm’aimez ;
Dans vos soupirs ardents j’en vois tropd’apparence ;
Et quand bien de leur part j’aurais moinsd’assurance,
Pour peu qu’un honnête homme ait vers moi decrédit,
Je lui fais la faveur de croire ce qu’ildit.
Rendez-moi la pareille ; et puisqu’àvotre flamme
Je ne déguise rien de ce que j’ai dansl’âme,
Faites-moi la faveur de croire sur cepoint
Que, bien que vous m’aimiez, je ne vous aimepoint.
Adraste
Cruelle, est-ce là donc ce que vosinjustices
Ont réservé de prix à de si longsservices ?
Et mon fidèle amour est-il si criminel
Qu’il doive être puni d’un mépriséternel ?
Isabelle
Nous donnons bien souvent de divers noms auxchoses :
Des épines pour moi, vous les nommez desroses ;
Ce que vous appelez service, affection,
Je l’appelle supplice et persécution.
Chacun dans sa croyance égalements’obstine.
Vous pensez m’obliger d’un feu quim’assassine ;
Et ce que vous jugez digne du plus hautprix
Ne mérite, à mon gré, que haine et quemépris.
Adraste
N’avoir que du mépris pour des flammes sisaintes
Dont j’ai reçu du ciel les premièresatteintes !
Oui, le ciel, au moment qu’il me fitrespirer,
Ne me donna de cœur que pour vous adorer.
Mon âme vint au jour pleine de votreidée ;
Avant que de vous voir vous l’avezpossédée ;
Et quand je me rendis à des regards sidoux,
Je ne vous donnai rien qui ne fût tout àvous,
Rien que l’ordre du ciel n’eût déjà fait toutvôtre.
Isabelle
Le ciel m’eût fait plaisir d’en enrichir uneautre.
Il vous fit pour m’aimer, et moi pour voushaïr ;
Gardons-nous bien tous deux de luidésobéir.
Vous avez, après tout, bonne part à sahaine,
Ou d’un crime secret il vous livre à lapeine ;
Car je ne pense pas qu’il soit tourmentégal
Au supplice d’aimer qui vous traite simal.
Adraste
La grandeur de mes maux vous étant siconnue,
Me refuserez-vous la pitié qui m’estdue ?
Isabelle
Certes j’en ai beaucoup, et vous plainsd’autant plus
Que je vois ces tourments tout à faitsuperflus,
Et n’avoir pour tout fruit d’une longuesouffrance
Que l’incommode honneur d’une tristeconstance.
Adraste
Un père l’autorise, et mon feu maltraité
Enfin aura recours à son autorité.
Isabelle
Ce n’est pas le moyen de trouver votreconte,
Et d’un si beau dessein vous n’aurez que lahonte.
Adraste
J’espère voir pourtant, avant la fin dujour,
Ce que peut son vouloir au défaut del’amour.
Isabelle
Et moi, j’espère voir, avant que le jourpasse,
Un amant accablé de nouvelle disgrâce.
Adraste
Eh quoi ! cette rigueur ne cesserajamais ?
Isabelle
Allez trouver mon père, et me laissez enpaix.
Adraste
Votre âme, au repentir de sa froideurpassée,
Ne la veut point quitter sans être un peuforcée ;
J’y vais tout de ce pas, mais avec desserments
Que c’est pour obéir à vos commandements.
Isabelle
Allez continuer une vaine poursuite.