L’Illusion Comique

Scène IV

Matamore,Isabelle,Clindor

 

Matamore

Eh bien ! dès qu’il m’a vu, comme a-t-ilpris la fuite ?

M’a-t-il bien su quitter la place au mêmeinstant !

Isabelle

Ce n’est pas honte à lui, les rois en fontautant,

Du moins si ce grand bruit qui court de vosmerveilles

N’a trompé mon esprit en frappant mesoreilles.

Matamore

Vous le pouvez bien croire ; et pour letémoigner,

Choisissez en quels lieux il vous plaît derégner ;

Ce bras tout aussitôt vous conquête unempire :

J’en jure par lui-même, et cela c’est toutdire.

Isabelle

Ne prodiguez pas tant ce bras toujoursvainqueur ;

Je ne veux point régner que dessus votrecœur :

Toute l’ambition que me donne ma flamme,

C’est d’avoir pour sujets les désirs de votreâme.

Matamore

Ils vous sont tout acquis, et pour vous fairevoir

Que nous avons sur eux un absolu pouvoir,

Je n’écouterai plus cette humeur deconquête ;

Et laissant tous les rois leurs couronnes entête,

J’en prendrai seulement deux ou trois pourvalets,

Qui viendront à genoux vous rendre mespoulets.

Isabelle

L’éclat de tels suivants attireraitl’envie

Sur le rare bonheur où je coule mavie ;

Le commerce discret de nos affections

N’a besoin que de lui pour cescommissions.

Matamore

Vous avez, Dieu me sauve ! un esprit à mamode ;

Vous trouvez comme moi la grandeurincommode.

Les sceptres les plus beaux n’ont rien pourmoi d’exquis ;

Je les rends aussitôt que je les aiconquis,

Et me suis vu charmer quantité deprincesses,

Sans que jamais mon cœur les voulût pourmaîtresses.

Isabelle

Certes, en ce point seul je manque un peu defoi.

Que vous ayez quitté des princesses pourmoi !

Que vous leur refusiez un cœur dont jedispose !

Matamore

Je crois que la Montagne en saura quelquechose.

Viens çà. Lorsqu’en la Chine, en ce fameuxtournoi,

Je donnai dans la vue aux deux filles duroi,

Que te dit-on en cour de cette jalousie

Dont pour moi toutes deux eurent l’âmesaisie ?

Clindor

Par vos mépris enfin l’une et l’autremourut.

J’étais lors en Égypte, où le bruit encourut ;

Et ce fut en ce temps que la peur de vosarmes

Fit nager le grand Caire en un fleuve delarmes.

Vous veniez d’assommer dix géants en unjour ;

Vous aviez désolé les pays d’alentour,

Rasé quinze châteaux, aplani deuxmontagnes,

Fait passer par le feu villes, bourgs etcampagnes,

Et défait, vers Damas, cent millecombattants.

Matamore

Que tu remarques bien et les lieux et lestemps !

Je l’avais oublié.

Isabelle

Des faits si pleins de gloire

Vous peuvent-ils ainsi sortir de lamémoire ?

Matamore

Trop pleine de lauriers remportés sur lesrois,

Je ne la charge point de ces menusexploits.

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