Scène V
Clindor,Lyse
Clindor,seul.
Le souverain poltron, à qui pour fairepeur
Il ne faut qu’une feuille, une ombre, unevapeur !
Un vieillard le maltraite, il fuit pour unefille,
Et tremble à tous moments de crainte qu’onl’étrille.
Lyse, que ton abord doit êtredangereux !
Il donne l’épouvante à ce cœur généreux,
Cet unique vaillant, la fleur descapitaines,
Qui dompte autant de rois qu’il captive dereines !
Lyse
Mon visage est ainsi malheureux enattraits ;
D’autres charment de loin, le mien fait peurde près.
Clindor
S’il fait peur à des fous, il charme les plussages.
Il n’est pas quantité de semblablesvisages.
Si l’on brûle pour toi, ce n’est pas sanssujet ;
Je ne connus jamais un si gentilobjet :
L’esprit beau, prompt, accort, l’humeur un peurailleuse,
L’embonpoint ravissant, la tailleavantageuse,
Les yeux doux, le teint vif, et les traitsdélicats :
Qui serait le brutal qui ne t’aimeraitpas ?
Lyse
De grâce, et depuis quand me trouvez-vous sibelle ?
Voyez bien, je suis Lyse, et non pasIsabelle.
Clindor
Vous partagez vous deux mesinclinations :
J’adore sa fortune et tes perfections.
Lyse
Vous en embrassez trop, c’est assez pour vousd’une,
Et mes perfections cèdent à sa fortune.
Clindor
Quelque effort que je fasse à lui donner mafoi,
Penses-tu qu’en effet je l’aime plus quetoi ?
L’amour et l’hyménée ont diverseméthode ;
L’un court au plus aimable, et l’autre au pluscommode.
Je suis dans la misère, et tu n’as point debien ;
Un rien s’ajuste mal avec un autrerien ;
Et malgré les douceurs que l’amour ydéploie,
Deux malheureux ensemble ont toujours courtejoie.
Ainsi j’aspire ailleurs pour vaincre monmalheur ;
Mais je ne puis te voir sans un peu dedouleur,
Sans qu’un soupir échappe à ce cœur quimurmure
De ce qu’à mes désirs ma raison faitd’injure :
À tes moindres coups d’œil je me laissecharmer.
Ah ! que je t’aimerais, s’il ne fallaitqu’aimer !
Et que tu me plairais, s’il ne fallait queplaire !
Lyse
Que vous auriez d’esprit si vous saviez voustaire,
Ou remettre du moins en quelque autresaison
À montrer tant d’amour avec tant deraison !
Le grand trésor pour moi qu’un amoureux sisage,
Qui, par compassion, n’ose me rendrehommage,
Et porte ses désirs à des partismeilleurs,
De peur de m’accabler sous nos communsmalheurs !
Je n’oublierai jamais de si rares mérites.
Allez continuer cependant vos visites.
Clindor
Que j’aurais avec toi l’esprit bien pluscontent !
Lyse
Ma maîtresse là-haut est seule, et vousattend.
Clindor
Tu me chasses ainsi !
Lyse
Non, mais je vous envoie
Aux lieux où vous aurez une plus longuejoie.
Clindor
Que même tes dédains me semblentgracieux !
Lyse
Ah ! que vous prodiguez un temps siprécieux !
Allez.
Clindor
Souviens-toi donc que si j’en aime uneautre…
Lyse
C’est de peur d’ajouter ma misère à lavôtre.
Je vous l’ai déjà dit, je ne l’oublieraipas.
Clindor
Adieu. Ta raillerie a pour moi tantd’appas,
Que mon cœur à tes yeux de plus en pluss’engage,
Et je t’aimerais trop à tarder davantage.