Scène première
Isabelle
Enfin le terme approche ; un jugementinique
Doit abuser demain d’un pouvoirtyrannique,
À son propre assassin immoler mon amant,
Et faire une vengeance au lieu d’unchâtiment.
Par un décret injuste autant comme sévère,
Demain doit triompher la haine de monpère,
La faveur du pays, la qualité du mort,
Le malheur d’Isabelle, et la rigueur dusort.
Hélas ! que d’ennemis, et de quellepuissance,
Contre le faible appui que donnel’innocence,
Contre un pauvre inconnu, de qui tout leforfait
Est de m’avoir aimée, et d’être tropparfait !
Oui, Clindor, tes vertus et ton feulégitime,
T’ayant acquis mon cœur, ont fait aussi toncrime.
Mais en vain après toi l’on me laisse lejour ;
Je veux perdre la vie en perdant monamour :
Prononçant ton arrêt, c’est de moi qu’ondispose ;
Je veux suivre ta mort, puisque j’en suis lacause,
Et le même moment verra par deux trépas
Nos esprits amoureux se rejoindre là-bas.
Ainsi, père inhumain, ta cruauté déçue
De nos saintes ardeurs verra l’heureuseissue :
Et si ma perte alors fait naître tesdouleurs,
Auprès de mon amant je rirai de tespleurs.
Ce qu’un remords cuisant te coûtera delarmes
D’un si doux entretien augmentera lescharmes ;
Ou s’il n’a pas assez de quoi tetourmenter,
Mon ombre chaque jour viendrat’épouvanter,
S’attacher à tes pas dans l’horreur desténèbres,
Présenter à tes yeux mille imagesfunèbres,
Jeter dans ton esprit un éternel effroi,
Te reprocher ma mort, t’appeler après moi,
Accabler de malheurs ta languissante vie,
Et te réduire au point de me porter envie.
Enfin…