L’Illusion Comique

Scène première

Géronte,Isabelle

 

Géronte

Apaisez vos soupirs et tarissez voslarmes ;

Contre ma volonté ce sont de faiblesarmes :

Mon cœur, quoique sensible à toutes vosdouleurs,

Écoute la raison, et néglige vos pleurs.

Je sais ce qu’il vous faut beaucoup mieux quevous-même.

Vous dédaignez Adraste à cause que jel’aime

Et parce qu’il me plaît d’en faire votreépoux,

Votre orgueil n’y voit rien qui soit digne devous.

Quoi ! manque-t-il de bien, de cœur ou denoblesse ?

En est-ce le visage ou l’esprit qui vousblesse ?

Il vous fait trop d’honneur.

Isabelle

Je sais qu’il est parfait,

Et que je réponds mal à l’honneur qu’il mefait ;

Mais si votre bonté me permet en ma cause,

Pour me justifier, de dire quelque chose,

Par un secret instinct que je ne puisnommer,

J’en fais beaucoup d’état, et ne le puisaimer.

Souvent je ne sais quoi que le ciel nousinspire

Soulève tout le cœur contre ce qu’ondésire,

Et ne nous laisse pas en état d’obéir

Quand on choisit pour nous ce qu’il nous faithaïr.

Il attache ici-bas avec des sympathies

Les âmes que son ordre a là-hautassorties :

On n’en saurait unir sans ses avissecrets ;

Et cette chaîne manque où manquent sesdécrets.

Aller contre les lois de cette providence,

C’est le prendre à partie, et blâmer saprudence,

L’attaquer en rebelle, et s’exposer auxcoups

Des plus âpres malheurs qui suivent soncourroux.

Géronte

Insolente, est-ce ainsi que l’on sejustifie ?

Quel maître vous apprend cettephilosophie ?

Vous en savez beaucoup ; mais tout votresavoir

Ne m’empêchera pas d’user de mon pouvoir.

Si le ciel pour mon choix vous donne tant dehaine,

Vous a-t-il mise en feu pour ce grandcapitaine ?

Ce guerrier valeureux vous tient-il dans sesfers ?

Et vous a-t-il domptée avec toutl’univers ?

Ce fanfaron doit-il relever mafamille ?

Isabelle

Eh ! de grâce, monsieur, traitez mieuxvotre fille !

Géronte

Quel sujet donc vous porte à medésobéir ?

Isabelle

Mon heur et mon repos, que je ne puistrahir.

Ce que vous appelez un heureux hyménée

N’est pour moi qu’un enfer si j’y suiscondamnée.

Géronte

Ah ! qu’il en est encor de mieux faitesque vous

Qui se voudraient bien voir dans un enfer sidoux !

Après tout, je le veux ; cédez à mapuissance.

Isabelle

Faites un autre essai de mon obéissance.

Géronte

Ne me répliquez plus quand j’aidit : « Je le veux. »

Rentrez ; c’est désormais trop contesténous deux.

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