L’Illusion Comique

Scène VII

 

Clindor, enprison.

Aimables souvenirs de mes chères délices,

Qu’on va bientôt changer en d’infâmessupplices,

Que, malgré les horreurs de ce morteleffroi,

Vos charmants entretiens ont de douceurs pourmoi !

Ne m’abandonnez point, soyez-moi plusfidèles

Que les rigueurs du sort ne se montrentcruelles ;

Et lorsque du trépas les plus noirescouleurs

Viendront à mon esprit figurer mesmalheurs,

Figurez aussitôt à mon âme interdite

Combien je fus heureux par-delà monmérite.

Lorsque je me plaindrai de leur sévérité,

Redites-moi l’excès de ma témérité ;

Que d’un si haut dessein ma fortuneincapable

Rendait ma flamme injuste, et mon espoircoupable ;

Que je fus criminel quand je devins amant,

Et que ma mort en est le juste châtiment.

Quel bonheur m’accompagne à la fin de mavie !

Isabelle, je meurs pour vous avoirservie ;

Et de quelque tranchant que je souffre lescoups,

Je meurs trop glorieux, puisque je meurs pourvous.

Hélas ! que je me flatte, et que j’aid’artifice

À me dissimuler la honte d’unsupplice !

En est-il de plus grand que de quitter cesyeux

Dont le fatal amour me rend siglorieux ?

L’ombre d’un meurtrier creuse ici maruine ;

Il succomba vivant, et mort ilm’assassine ;

Son nom fait contre moi ce que n’a pu sonbras,

Mille assassins nouveaux naissent de sontrépas ;

Et je vois de son sang, fécond enperfidies,

S’élever contre moi des âmes plus hardies,

De qui les passions, s’armant d’autorité,

Font un meurtre public avec impunité.

Demain de mon courage on doit faire un grandcrime,

Donner au déloyal ma tête pourvictime ;

Et tous pour le pays prennent tantd’intérêt,

Qu’il ne m’est pas permis de douter del’arrêt.

Ainsi de tous côtés ma perte étaitcertaine.

J’ai repoussé la mort, je la reçois pourpeine.

D’un péril évité je tombe en un nouveau,

Et des mains d’un rival en celles d’unbourreau.

Je frémis à penser à ma tristeaventure ;

Dans le sein du repos je suis à latorture ;

Au milieu de la nuit, et du temps dusommeil,

Je vois de mon trépas le honteuxappareil ;

J’en ai devant les yeux les funestesministres ;

On me lit du sénat les mandementssinistres ;

Je sors les fers aux pieds ; j’entendsdéjà le bruit

De l’amas insolent d’un peuple qui mesuit ;

Je vois le lieu fatal où ma mort seprépare :

Là mon esprit se trouble, et ma raisons’égare :

Je ne découvre rien qui m’ose secourir,

Et la peur de la mort me fait déjà mourir.

Isabelle, toi seule, en réveillant maflamme,

Dissipes ces terreurs et rassures monâme ;

Et sitôt que je pense à tes divinsattraits,

Je vois évanouir ces infâmes portraits.

Quelques rudes assauts que le malheur melivre,

Garde mon souvenir, et je croirai revivre.

Mais d’où vient que de nuit on ouvre maprison ?

Ami, que viens-tu faire ici hors desaison ?

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