L’Illusion Comique

Scène VII

Adraste,Clindor

 

Adraste

Que vous êtes heureux ! et quel malheurme suit !

Ma maîtresse vous souffre, et l’ingrate mefuit.

Quelque goût qu’elle prenne en votrecompagnie,

Sitôt que j’ai paru, mon abord l’a bannie.

Clindor

Sans avoir vu vos pas s’adresser en celieu,

Lasse de mes discours, elle m’a dit adieu.

Adraste

Lasse de vos discours ! votre humeur esttrop bonne,

Et votre esprit trop beau pour ennuyerpersonne.

Mais que lui contiez-vous qui pûtl’importuner ?

Clindor

Des choses qu’aisément vous pouvezdeviner.

Les amours de mon maître, ou plutôt sessottises,

Ses conquêtes en l’air, ses hautesentreprises.

Adraste

Voulez-vous m’obliger ? Votre maître, nivous,

N’êtes pas gens tous deux à me rendrejaloux ;

Mais si vous ne pouvez arrêter sessaillies,

Divertissez ailleurs le cours de sesfolies.

Clindor

Que craignez-vous de lui, dont tous lescompliments

Ne parlent que de morts et desaccagements,

Qu’il bat, terrasse, brise, étrangle, brûle,assomme ?

Adraste

Pour être son valet, je vous trouve honnêtehomme ;

Vous n’êtes point de taille à servir sansdessein

Un fanfaron plus fou que son discours n’estvain.

Quoi qu’il en soit, depuis que je vous voischez elle,

Toujours de plus en plus je l’éprouvecruelle :

Ou vous servez quelque autre, ou votrequalité

Laisse dans vos projets trop de témérité.

Je vous tiens fort suspect de quelque hauteadresse.

Que votre maître enfin fasse une autremaîtresse,

Ou s’il ne peut quitter un entretien sidoux,

Qu’il se serve du moins d’un autre que devous.

Ce n’est pas qu’après tout les volontés d’unpère,

Qui sait ce que je suis, ne terminentl’affaire ;

Mais purgez-moi l’esprit de ce petitsouci,

Et si vous vous aimez, bannissez-vousd’ici ;

Car si je vous vois plus regarder cetteporte,

Je sais comme traiter les gens de votresorte.

Clindor

Me prenez-vous pour homme à nuire à votrefeu ?

Adraste

Sans réplique, de grâce, ou nous verrons beaujeu.

Allez ; c’est assez dit.

Clindor

Pour un léger ombrage,

C’est trop indignement traiter un boncourage.

Si le ciel en naissant ne m’a fait grandseigneur,

Il m’a fait le cœur ferme et sensible àl’honneur ;

Et je pourrais bien rendre un jour ce qu’on meprête.

Adraste

Quoi ! vous me menacez !

Clindor

Non, non, je fais retraite.

D’un si cruel affront vous aurez peu defruit ;

Mais ce n’est pas ici qu’il faut faire dubruit.

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