Mémoires de Vidocq – Tome IV

CHAPITRE LXX. – LES ROULETIERS.

 

Le charretier obéissant. – Le voleur audacieux. – Le diadème dela reine de Naples. – Les diamants et le bal de la rue Frépillon. –Le préservatif.

 

Les rouletiers sont ceux qui volent lesmalles, les vaches ou autres effets sur les voitures, quellesqu’elles soient. La plupart des rouletiers sortent de la classeouvrière ; ils sont presque toujours vêtus ou encommissionnaires ou en rouliers. À une époque où ils étaient asseznombreux, ils avaient leurs principales stations dans les quartiersoù les arrivages de voitures sont les plus fréquents : la rued’Enfer, les faubourgs Saint-Honoré, Saint-Martin, Saint Denis, lesboulevards, la place Louis XV, les rues des Bourdonnais et desLavandières, les rues Tire-Chappe et Montorgueil étaientincessamment parcourus par des rouletiers. Lorsque des voleurs decette espèce avaient jeté leur dévolu sur un camion, ils lesuivaient, et à la première halte ils accomplissaient leurlarcin : il est peu de voitures qui ne leur aient payé unecontribution. Les premiers qui excellèrent dans ce genre, furentles Fanfan Maison, les frères Servier, lesJean, les Goupi, les Herriez, lesCadet, les Nissel, les Duboisl’Insolent, les Roblot, les Lafrance, lesLigny, les Doré, tous hommes aussi entreprenantsqu’adroits. Chaises de poste, berlines, guimbardes, diligences, pasde voiture qui ne leur dût quelque chose : ils faisaient leurscoups avec une audace incroyable. L’un accostait le roulier et leretenait à la tête de ses chevaux, tandis que les autresdébâchaient la voiture et faisaient tomber les ballots.

Voici, à ce sujet, un trait que l’on m’aconté : les frères Servier et deux autres rouletiers étaient,à la tombée de la nuit, aux Champs-Élysées ; l’aîné ayant liéconversation avec un charretier, averti par un mouvement de ladossière que sa voiture charge un peu à cul, veut regarder ce quioccasionne ce mouvement : « Je te défends de teretourner », lui dit Servier, et le charretier obéit.

On m’a assuré que, plusieurs fois, il estarrivé à Goupi de monter en plein jour dans les halles, sur unediligence, et d’en descendre des malles, comme à luiappartenant.

Un jour je suivais un rouletier fameux,c’était le nommé Gosnet ; en arrivant dans la rue Saint-Denisil saute sur une voiture, s’affuble d’un manteau ainsi que d’unbonnet de coton qu’il trouve sous sa main, et dans cet attirail ildescend avec une valise sous le bras ; il n’était pas deuxheures de l’après-midi ; mais pour éloigner les soupçons,Gosnet, en mettant pied à terre, alla droit au conducteur, et,après lui avoir parlé, il s’esquiva au détour d’une rue ; jel’y attendais, il fut arrêté et condamné.

Les rouletiers ne sont pas les gens les plusinstruits du monde : aussi dans leurs expéditions leur est-ilparfois arrivé de s’emparer d’objets précieux dont ils ignoraientcomplètement la valeur. L’un d’eux, que le vol d’une malleappartenant à la reine de Naples avait rendu possesseur d’undiadème, en fit présent à une fille avec laquelle il vivait. Ilvoulait ainsi épargner l’argent d’un peigne à galeries qu’il luiavait promis depuis long-temps. Faute de mieux, la princesseceignit l’ornement royal, et parut coiffée de la sorte au bal de larue Frépillon, dans la cour Saint-Martin : c’était sans doutela première fois qu’on y voyait des diamants.

Voulez-vous vous mettre à l’abri desentreprises des rouletiers ? N’attachez vos malles et vosvaches ni avec des courroies ni avec des cordes, mais avec deschaînes de fer que l’on ne puisse forcer sans qu’une sonnettecachée ne donne l’éveil : ce conseil s’adresse aux voyageurs.Voici maintenant pour les rouliers : qu’ils aient de bonschiens, les plus méchants sont les meilleurs, et que ces gardiensne soient plus sous la voiture, mais dessus. Que les camionneurs nesoient seuls que quand ils ne peuvent faire autrement ; qu’ilsrenoncent surtout à la funeste habitude d’entrer au cabaret ;offert et payé par un ami, un canon sur le comptoir n’est souventqu’une trompeuse amorce : ce sont les voleurs quirégalent.

Les blanchisseurs agiront sagement en faisantgarder leurs voitures par une grande personne et non par desenfants qui dorment, ou qu’il est si facile de distraire : onleur montre un hanneton, et le hanneton comme le voleur, tout celavole en même temps.

Les commissionnaires qui s’en retournent àvide, ne doivent jamais mettre leur argent dans des sacs placés lesuns dans les autres, ainsi que cela se pratique de coutume ;il est au contraire nécessaire qu’ils l’aient constamment en vue,sinon, tandis qu’ils cheminent pédestrement, on peut chercher,fouiller, trouver et décamper. Des voleurs ont eu la constance defaire plusieurs lieues dans une carriole, en attendant l’occasionde s’esquiver.

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