Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 3NEW-YORK

New-York, la ville par excellence desÉtats-Unis, le Londres américain.

Se dresse en face de Brooklin qui s’élève dansl’île de Long-Island.

Longtemps rivales.

Aujourd’hui fraternellement réunies en unemême et seule cité.

Réunies par un pont qui est une merveille etsous lequel les plus grands navires passent toutes voilesdéployées.

Et superbe, colossale, imposante, pharemerveilleux, la Liberté éclairant le monde, de Bartholdi, faitplaner sur la rade ses flots de lumière symbolique.

Trois millions d’âmes.

Un commerce immense.

Tête de ligne du transcontinental qui l’unit àSan-Francisco.

En quatre jours, le train rapide noustransporte de l’Atlantique au Pacifique !

Dès que l’on a mis le pied dans cette ville,on se sent dans un monde nouveau.

L’œil cherche vainement les fiacres, lesomnibus, tout le vieil attirail roulant des villes européennes.

Plus de traction animale.

Tout par l’électricité !

Fiacres, tramways, chemins de fer électriqueset rien autre.

Dans deux ans, nouveau système !

On construit un chemin de fer entrePhiladelphie et New-York.

Une lieue à la minute.

Et tous les autres chemins de fer adopterontce système.

Nous, dix ans plus tard que les autres.

Mais alors Marseille, à deux cents lieues deParis, en sera à deux cents minutes, moins de quatreheures !

Alors les Américains auront doublé, triplécette vitesse.

Nous serons toujours en retard.

Pauvres routiniers.

À la sortie du vapeur, sur le quai même, lesvoyageurs furent cueillis par une voiture électrique.

Voiture de l’hôtel qu’on leur avaitrecommandé.

Douce traction !

Rapidité admirable.

À l’arrivée, on plaça les voyageurs dans unascenseur, leurs bagages dans un autre, et, en route pour lequatorzième étage, sans fatigue, assis dans de bons fauteuils.

Vos bagages sont arrivés avant vous.

On vous indique vos appartements.

Après, plus de garçons.

On remplace le personnel par le serviceélectrique.

Une plaque indicatrice en anglais, enfrançais, en espagnol, en portugais, etc.

Vous voulez un bain !

Votre salle de bain est là, tout contre ;vous y entrez. Vous pressez un bouton.

Tout un système de brosses, tout un appareil ànettoyer fonctionne.

De puissants jets lavent à grande eau ;votre baignoire étincelle.

Vous voilà assuré de sa propreté. Elle seremplit d’eau tiède. Un bouton pour l’eau chaude !

Un autre pour l’eau froide.

Après le bain, la douche.

Après la douche, la friction donnée par desbrosses mues par l’électricité.

Vous voulez une consommation ? De labière ?

Pressez le bouton bière.

Un grog au rhum ?

Pressez le bouton grog-rhum.

Une petite porte dont vous ne soupçonniez pasl’existence s’ouvre et roule sur ses propres rainures qui se sontretournées.

La consommation est dessus.

Mais le courrier est arrivé.

Vous avez des lettres.

On vous les envoie par les ascenseursdistributeurs qui remportent vos lettres.

Dans une de vos chambres, le téléphone et sonappel résonne dans toutes.

Une collation vous est servie de même qu’uneconsommation.

Aussi le dîner, si bon vous semble.

Point de garçons qui gênent la conversation etvous ennuient de leur présence.

Vous causez librement.

Le système américain consiste à mettre trenteplats sur la table.

Sur réchauds, ceux qui ont besoin d’être tenustièdes.

Les quatre sauces traditionnelles anglaisessont toutes préparées.

Les Américains, il faut leur rendre cettejustice, ont le secret de ragoûts excellents en dehors desrôtis.

Beaucoup de mets à base de lait et decrème.

Pâtisserie variée.

Tout cela mathématiquement doré, combiné etcuit à la température, le thermomètre marquant les degrés.

C’est de la cuisine dosymétrique[1] que vous modifiez, si bon vous semble, encorsant l’assaisonnement.

Autrefois la tranquillité dont on jouit dansces caravansérails qui sont des villes, puisqu’ils peuvent contenirsix mille personnes, était troublée par la crainte du feu.

Aujourd’hui, tout est en fer ou du moinspresque tout.

Le feu prend à un étage.

L’alarme sonne, indiquant l’étage où le feu apris.

Les sauveteurs de l’établissement font évacuertout cet étage.

Dans les autres, personne ne bouge !

Les isolateurs en fer fonctionnent ; lesjets d’eau automatiques fonctionnent.

En dix minutes, l’incendie est éteint sansqu’il ait eu chance de se propager.

Là-bas, c’est le contraire de chez nous ;ce sont les étages supérieurs qui sont réputés les plusaristocratiques.

Cela se comprend.

De sa fenêtre haute, on a le frais, la vue,l’air pur.

Sur le toit une immense terrasse, couverte detentes en été.

Et qu’on le remarque.

Les hôtels à quatorze étages ne sont pas lesseuls édifices aussi élevés.

De simples maisons de rapport en ont seize,dix-sept et même dix-huit.

Et l’aspect en est très imposant.Généralement, ils forment un quadrilatère qui couvre tout unîlot.

Square au milieu.

Même procédé de fabrication.

Ascenseurs partout.

Ascenseurs pour personnel.

Ascenseurs répondant à vos escaliers deservice pour fournisseurs.

La force motrice fournie par l’électricité oùon la demande.

Calorifère économique pour toutl’établissement et le gaz pour la cuisine, gaz fabriqué par uneusine dans la maison même et lui appartenant, ce qui n’a riend’étonnant.

Huit mille locataires !

La population d’une ville.

Pompiers à la solde de l’immeuble.

Isolement complet et rapide de toute chambre,de tout appartement.

Pompes qui fonctionnent d’elles mêmes, commedans les hôtels.

Et du fer, du fer, encore du fer, du ferpartout et toujours !

Puis, ô contraste !

Dans beaucoup de quartiers, nous dirions defaubourgs, des rues où s’élèvent des maisons basses, toutessemblables, entre murs et jardins semblables, très propres,coquettes, confortables. Ce sont maisons d’ouvriers, de petitsemployés formés en société.

En payant leur petit loyer, ils deviennentpetits propriétaires.

Tous gentlemen !

Tous en chapeau haute forme, en redingote, enpantalons quelquefois effrangés, ça ne tire pas à conséquence.

La femme américaine ne raccommode pas ;on achète du neuf.

Il est vrai que l’on fabrique des tissus à bonmarché.

C’est peu solide.

Ça s’abîme vite de partout.

Tout ce monde est singulièrement brutal etsingulièrement civil.

Les femmes sont très respectées et qui leurmanquerait serait puni d’une pénalité qui nous paraîtraitoutrée.

Il le faut, là-bas.

Les mœurs se sont pourtant adoucies, carl’émigration s’est arrêtée.

L’Europe ne vomit plus à flots son écume surles États-Unis.

C’est maintenant la troisième ou tout au moinsla deuxième génération du dernier grand flot d’émigrants qui donnele ton à la société.

Les manières ont encore une brutalitéchoquante pour nous ; mais combien elles se sont adouciesdepuis cinquante ans.

Une aristocratie est même en train de seformer.

Aristocratie d’argent.

Mais enfin, c’est une classe de millionnairesqui s’affine.

Elle voit Paris.

Elle visite Londres.

Elle s’instruit.

Elle veut paraître bien élevée !

Mais une autre aristocratie très supérieure àcelle-là lui donne le ton.

C’est celle des étudiants qui deviennent desmédecins, des avocats, des architectes, des peintres, dessculpteurs, etc.

C’est la tête de la nation.

Ce sont les intellectuels dans le bon etstrict sens du mot.

Tout cela en voie de formation.

On sent qu’il n’y a pas de traditions, pas devieille histoire.

Peuple neuf, fait de vieux peuples luienvoyant leur trop plein.

Lie et écume.

Mais ça commence à se tasser, à se trier, à sesélectionner.

Et puis les traits d’une race caractéristiquese constituent.

Mais que de gens d’aspect bizarre.

Nul part au monde ne se voit de telsphénomènes de disproportions.

Torses longs, énormes en hauteur, avec petitesjambes torses.

Jambes minces, hautes pour, petits torses,courts et trapus.

Bras démesurés !

Pieds beaucoup trop larges.

Admirables pieds et mainséléphantiasiques.

Ceci tient à des mariages entre femmes d’unenation et hommes d’une autre, très fréquents autrefois et très malassortis.

L’émigrant se mariait avec la femme qu’ilpouvait trouver.

On épouse comme on peut.

Mais tout cela s’épure et s’affine.

Or, l’influence du milieu s’affirme et l’onremarque beaucoup d’Américains tournant au type Peaux-Rouges.

Ce qui frappe le plus dans le court espace detemps qu’un voyageur pressé comme l’étaient les compagnons deM. de Rastignac, c’est l’incroyable universalité desproduits que vend un pharmacien et tout le secret de l’hypocrisieyankee explique précisément la chose.

Le Yankee est le descendant des premiersémigrants anglais, de ceux qui, persécutés comme protestants parJacques II s’enfuirent dans le nouveau monde où y furentdéportés.

C’étaient des fanatiques.

Leurs descendants en ont conservé quelquechose.

L’apparence seulement.

Ce sont les plus grands hypocrites de laterre, plus que les Anglais.

Ce n’est pourtant pas peu dire.

Et ils imposent l’hypocrisie à tout le mondecomme il faut.

Le monde sélect.

Tous font partie des sociétés de tempérance etni les dames ni les hommes sélects (lisez distingués si vousvoulez), ne voudraient entrer dans une taverne, dans un bar.

Ceux de sa caste le montreraient au doigt etil serait vitupéré par les femmes.

À table, point de boissons fermentées oualcoolisées.

On ne tolérerait ni la bière, ni le cidre.

Oui, mais le pharmacien vend toutes sortes deprétendus remèdes qui sont tout simplement des liqueurs.

Sirops à la menthe.

Sirops à l’absinthe.

Sirops au madère, etc.

Et ils vous servent tout cela chez eux. Commeon le ferait chez le pâtissier.

Excellent porto torréficateur[2].

Malaga anti-fébrifuge.

Et des gâteaux.

Comme la boutique est le rendez-vous desélégantes, les pharmaciens ont eu l’idée d’offrir à leurs clientesdes gants de luxe, vendus fort cher.

Comment refuser d’acheter la marchandise quevous vante un homme si complaisant !

Alors, voyant le succès de leur truc, lespharmaciens se sont mis à tenir parfumerie élégante, objets detoilette élégants, bimbeloterie élégante, dentelles, mouchoirsbrodés, etc.

C’est chez eux que l’on se procure tout ce queles Parisiennes appellent l’article de fantaisie.

Et c’est chose amusante que de voir comment lepharmacien force la main à sa cliente et même à son client.

Si l’on n’a pas acheté en dehors dela consommation, la fois d’ensuite le pharmacien vous sert du siropnon alcoolisé.

Vous comprenez la leçon.

Vous vous fendez de l’achat d’une boîte degants nu d’une bouteille de dentifrice. C’est joli comme truc.

Et tout un peuple pratique et supporte en toutl’hypocrisie de cette façon ou d’une autre. Mais le plus beau,c’est le cabinet de toilette pour homme et pour dames.

Très luxueux !

Très vaste.

Clair et gai.

On y entre avant le dîner.

Question de propreté !

Il faut bien se laver les mains. Mais on serince aussi l’estomac.

Des sirops apéritifs sont rangés dans unearmoire spéciale.

Madame en a la clef.

Elle ouvre l’armoire.

Elle et les invitées se paient desconsommations qui permettent de se passer de bière à table.

Les dames y viennent la figureenluminée ; les messieurs qui en ont fait autant de leur côtésont blindés.

Dans ces conditions, manger sans boire leurest très facile.

Et après ?

On se relave les mains.

On ingurgite à nouveau.

S’il y a soirée, tout est prétexte à passerdans le cabinet de toilette.

La digestion est lourde.

On a la migraine.

Bref, on boit et reboit.

C’est ainsi que les hautes classes américainesentendent la tempérance.

Oh ! très puritain, le high-life.

Et vous, Français, qui voulez boire votrebouteille de bordeaux à votre repas, déjeunez dans votrechambre.

Vous ne scandaliserez personne.

C’est ce que firent les compagnons du comte deRastignac, sur son conseil.

Ils mangèrent et ils burent à la française,après s’être entendus avec le maître d’hôtel, qui, éclairépar un billet de dix dollars, comprit parfaitement leursinstructions.

Du reste, court, très court séjour !

Il fallait se hâter.

Les heures était précieuses.

On prit le chemin de fer après avoir vuNew-York… à vol d’oiseau…

– Très bien, ces Américaines ! disaitMme Désandré.

» Quelle tenue !

» Et quelle tempérance !

» Rien que de l’eau sur la table !

– Et de l’alcool plein le torse ! dit enriant le comte de Rastignac.

Sa fille, d’un de ces mots à l’emporte-piècepeignait les Américaines.

– Des alambics en forme de… cruches àeau ! Des trompe-l’œil.

M. Désandré venant au secours de safemme, se mit à dire :

– Enfin avouez que ces gens-là ont beaucoup detenue.

– Je crois bien, dit la petite comtesse ;ils sont toujours raides.

Après celui-là on tira l’échelle.

Elle avait de l’esprit, la petitecomtesse ; elle faillit en mourir !

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