Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 4EN WAGON

J’ai déjà décrit la physionomie d’un trainaméricain, tous les wagons disposés en long et s’emboîtant les unsdans les autres.

Point de bancs.

Des sièges, des tables collées au parois,s’abattant, se relevant comme on veut.

Des lits s’abattant, se relevant de même etévitant au voyageurs le supplice de dormir assis, la tête retombanttoujours ou s’appuyant aux parois froides, prenant un rhume decerveau le plus généralement accompagné d’un torticolis.

Douce conséquence d’un voyage chez nous pourpeu qu’il soit long.

En Amérique, point de différence de classe etc’est gênant.

Cela provenait autrefois de ce que tout lemonde, même ceux qui s’étaient enrichis, étant peuple, ne fuyaientnullement le dur contact du peuple.

On se faisait volontiers respecter à coups depoing et de revolver.

Un duel au couteau ou au revolver était chosefréquente.

Aujourd’hui, ce n’est pas chose rare.

Pour que les querelles ne soient pas desassassinats, on règle le combat.

J’ai démontré combien nous devions auxAméricains, puisque ce sont eux qui ont inventé lerestaurant-salon.

Le nôtre n’est accessible qu’aux riches.

Là-bas, on peut déjeuner de trois sandwichs etd’une pinte de bière, à très bon compte.

Mais voilà que les distinctions de classes seproduisent.

L’inégalité des éducations, des rangs, desfortunes s’accusent.

Pas de différence de classe.

Entendu !

On ne veut pas toucher au principe sacré del’égalité.

On n’y touchera jamais…

Au grand jamais…

Est-ce qu’un citoyen Américain n’en vaut pasun autre.

Non.

Ne vous en déplaise, tel pauvre diable qui vachercher fortune dans l’Ouest ne vaut pas cent dollars.

Et voici le richissime Schapeforton qui vautun milliard.

Donc il peut plus pour ses satisfactionspersonnelles qu’un émigrant pauvre.

Et il est donné pour lui et d’autres moinsmilliardaires des crocs-en-jambe au grand principe de la sainteégalité.

Les sleepings-cars d’abord. Ça coûte beaucoupplus cher.

Lits, cabinets, toilettes, restaurantparticulier, couloir de promenade, terrasse.

Les gens mieux élevés que le commun desmortels s’y trouvent entre eux.

Première conquête de l’esprit aristocratiquesur la démocratie.

Mais mieux encore.

Il y a des wagons-salons réservés. Alors onest tout à fait chez soi.

Et c’était un de ces salons qui transportaitle comte et ses amis.

Or, s’il est interdit au commun des voyageursd’entrer dans les sleepings-cars et dans les wagons-salons, il estpermis aux voyageurs privilégiés de se promener dans le train.

C’est une distraction.

Il est, d’autre part, un usage assezsingulier, mais pittoresque.

Les Anglo-Saxons aiment à faire parade desentiments humanitaires.

Ils en sont très prodigues quand cela ne leurcoûte rien.

C’est pourquoi les compagnies transportentpour rien les Indiens.

Mais malheur à celui qui voudrait entrer dansle train.

On le jetterait dehors.

Point de ces pouilleux en contact avec deshommes libres.

Ils se tiennent sur le marchepied et s’yinstallent ingénieusement, eux, leurs sqaws et leurs enfants.

Pauvres diables !

Ceux qui se servent ainsi des trains sont lesplus dégradés des Indiens.

Ils sont parqués dans les réserves et nourrispar le gouvernement.

Mais avec une parcimonie révoltante, des volscommis par les agents, des dénis de justice atroces.

Poussés par la famine, ils deviennent pillardset dérobent le bétail des fermiers (farmers) avec une rareadresse.

Quelques familles cherchent à s’utiliser commedomestiques agricoles.

Celles-là sont les plus malheureuses, les plusdépenaillées de toutes.

L’Indien ne sait pas se tenir dans une placefixe.

Il se loue ici pour labourer, là pour sarcler,là pour moissonner.

Il pourrait vivre, pendant, l’hiver, de sonmaigre salaire.

Ce n’est pas dans son tempérament à économiserpar prévision.

Il boit à outrance ce qu’il a gagné et l’hiverl’empoigne presque nu et sans le sou.

Alors il mendie des haillons, se bâtit unehutte en forêt et bûcheronne au plus bas prix pour des bûcheronsblancs qui le méprisent et qui l’exploitent indignement.

Parlez des Indiens à n’importe quel fermier, àn’importe quel bûcheron et vous n’entendrez que cet éternelrefrain :

« Des Peaux-Rouges !

« Il n’en faut plus ! »

C’est une conjuration générale contre cetterace condamnée par la cruauté impitoyable des Anglo-Saxons.

Or, un ménage de Delawares s’était établi surle marchepied du wagon-salon que le comte et ses amisoccupaient.

Le mari s’était mis à préparer un manche pourun tomahawk qu’il avait acheté ; la femme allaitait un petitenfant.

Les Delawares ont été une des plus bellesraces indiennes.

Elle a presque disparu.

Or, ce ménage, un des rares survivants de lamalheureuse tribu, méritait que l’on s’occupât de lui.

Fils d’un sachem converti au christianisme,Tcha-Pelleti (Petit-Jaguar) et sa femme MaDachalit(Églantine-Double) étaient baptisés et avaient fait baptiser leurenfant.

Leur éducation s’en était ressentie.

Petit-Jaguar mettait de côté pour l’hiver,allait à la ville, avant les grands froids, chercher sesprovisions, on voyait ses sacs de farine et de lard, de riz et demaïs déposés et liés sur le marchepied.

Il était bien peigné, bien coiffé, bien vêtuet il avait une figure avenante, non dégradée par l’ivresse, choserare chez les Indiens en décadence.

Il n’était pas peint.

Signe de civilisation.

Ses vêtements étaient propres.

Sa femme et lui, en travaillant pour lesfarmers, avaient appris à parler anglais et français.Mme Jellalich s’intéressa aussitôt à eux et leurdonna des sandwichs et de la bière par la portière.

Ils lui en furent très reconnaissants.Petit-Jaguar remercia en bons termes. La conversation s’engagea.Jellalich s’en mêla.

Ces Indiens étaient montés à Saint-Paul ;c’est là qu’ils avaient fait leurs provisions.

Petit-Jaguar conta qu’il avait bien travailléavec sa femme pour les farmers.

Il avait fait labourage, ensemencements,sarclages, fenaisons, moissons.

Comme il retournait toujours dans la mêmeferme, qu’il ne buvait pas d’eau-de-feu et employait bien sontemps, on était assez bon pour lui.

Tous les dimanches seulement, il buvait un peude rhum pour chanter la gloire de ses ancêtres et leursexploits.

Alors seulement il se peignait et endossait lemanteau de cérémonie.

Il se rendait au bord du lac Winipeg, non loindu fort Nelson, près d’un cours d’eau qui se jetait dans lelac.

– Là, dit-il, avec ma femme, j’abats desarbres, je les ébauche, je les équarris.

» Puis, vers la fin de l’hiver, je m’empare desix chevaux sauvages, je les dompte, je les attelle aux arbres, et,sur la neige non encore fondue, l’arbre fait traîneau.

» Je le fais arriver ainsi au bord de larivière et j’en conduis un autre près de celui-là, puis un autre,puis d’autres encore.

» Je forme un train de bois bien solide avecde bonnes lianes.

» Puis j’attends.

» J’ai, du reste, en prenant mon temps,fabriqué au feu, puis à la hache, deux pirogues.

» C’est pour y mettre ce que j’ai de plusprécieux, mes armes, mes outils, mes fourrures à vendre, fruits dema chasse d’hiver (je suis bon trappeur), mes vêtements et quelquesprovisions pour atteindre la ville de Winipeg.

» Je vous ai dit que j’attendais.

» Il faut en effet que la débâcle ait lieupour que je parte.

» Je la laisse se produire.

» Le fleuve se gonfle.

» Il met mon train à flot.

» Nous partons.

» L’eau qui court vite à cette époque portemon train à Winipeg où je le vends.

» Je suis connu.

» Les marchands de bois savent que je saischoisir des arbres sains, bons pour la construction et bienéquarris.

» Je place mon argent dans une bonne banque etje descends dans le Sud pour commencer les travaux.

» Quand ils sont finis, je retourne dans leNord où je retrouve ma hutte.

» Plus tard, quand je serai vieux, j’auraiassez d’argent pour vivre avec ma femme, dans ma hutte, sans autretravail que la pêche et la chasse et nous ferons unjardin.

Mme Jellalich causa avec lafemme indienne et la trouva très douce, remplie de bons sentiments,très heureuse et très fière d’être mariée à Petit-Jaguar.

Elle éprouva de la sympathie pourDouble-Églantine.

Elle admirait les soins qu’elle prenait de sonenfant.

Mais on arriva à la Rivière-Rouge et, aprèsavoir comblé le ménage indien de sandwichs,Mme Jellalich fit des cadeaux à la femme.

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