Au Pôle et autour du Pôle – Dans les glaces – Voyages, explorations, aventures – Volume 17

Chapitre 18LE DUEL

Oui, le duel était inévitable, en raison ducourage très différent des deux héroïnes.

Celui de la Parisienne était faitd’amour-propre et d’insouciance.

Nous le connaissons, ce courage gai, railleur,impertinent.

On connaît moins le courage sombre, froid,déterminé, silencieux, presque sauvage, sans aucun emportement,mais formidablement entêté de la race bretonne.

Elle est étonnante de sang-froid, de calme, dedécision.

Il y a de la fatalité dans cette bravoure quibrave tranquillement un obstacle vulgaire facile à éviter.

Le Breton ne veut ni se détourner, nireculer.

Ceux qui ont étudié comme moi ce genre debravoure sont convaincus que les Bretons aiment le danger pourlui-même ; leur nature rêveuse, mélancolique, a besoin desecouer son éternelle sombreur[5].

J’ai à citer des exemples qui ferontcomprendre le courage breton.

Je choisis à dessein des hommes qui ne passentpas pour héroïques.

J’ai vu Corbières, par un temps épouvantable,s’en aller à l’île de Siek, sûr d’être en perdition, et, comme onfaisait observer à ce grand poète trop peu connu qu’il n’enreviendrait peut-être pas, il répondit sans pose, trèssincèrement :

– Je veux chanter la mort en mer ; lenaufrage, la tristesse consolante d’un beau trépas, en pleinedémence des flots.

» Comment exprimer ces sensations, si je neles ai pas éprouvées.

Son canot sombra.

Il se sauva à la nage et nous revint meurtri,déchiqueté par les pointes des rocs.

Une autrefois, il fit un marché étonnant avecun jeune pêcheur.

– Guillaumic, tu ne vas donc pas à la pêche,aujourd’hui ?

– Pas possible, monsieur Corbières.

» La mer est démontée.

» On perdrait lignes et filets.

– Rien à faire alors ?

– Non, monsieur Corbières.

Lui, d’un grand geste :

– Tu vois l’île de Tizi-Aouzon ?

– Pas beaucoup.

» De temps en temps.

» Entre deux coups de mer.

– Ce que ça brise par là !

– Sûr, monsieur Corbières.

– Si un canot était drossé contre les rochersde l’île, crois-tu que ceux qui le monteraient seraient en péril demort ?

– Sûr, monsieur Corbières.

– Tu n’as ni femme ni enfants ; tu esorphelin et tu ne tiens à rien.

– C’est vrai, monsieur Corbières.

» Je suis comme un bouchon de liège qui flottesur l’eau.

Lui, tirant de sa poche un louis et lemontrant entre le pouce et l’index.

– Veux-tu gagner un louis ?

Guillaumic, l’œil étincelant :

– Oui, monsieur Corbières.

– Il y a des petits verres dans un louis.

– Oh oui !

– Tu connais mon bateau.

» Kérenfort ne veut plus le réparer.

» Il est f… ichu.

– Sûr qu’il n’est plus bon à grand’chose.

– Je ne veux pas qu’il meure sous le marteaud’un charpentier.

» Il a le droit de mourir en mer, en bravebateau qu’il a toujours été.

» Monte avec moi.

» Nous le jetterons sur les rochers de l’îleet il sera brisé en mille pièces.

– Mais… nous… monsieur Corbières ?

Lui, froidement :

– Risque à courir.

» Un louis… c’est quelque chose.

Guillaumic, riant :

– Et puis l’honneur de crever avec vous, si onen crève.

Ils y allèrent…

Le canot fut mis en miettes.

À marée basse, on alla les chercher surl’île ; une lame monstrueuse les avait sauvés en les portantpar-dessus les rocs, au centre de l’île.

Le lendemain, je ramassai une petite épave ducanot poussée sur la plage.

Je la conserve comme une relique.

Quand je rencontre Guillaumic à Roscoff et queje lui reparle de l’aventure… il rit.

Et il répète un mot que j’admire :

– Il n’y en a pas pour autant de temps qu’oncroit à boire un louis !

Je cite, parce que je tiens à faire comprendrece qu’est le courage breton que Corbières, le fin lettré, etGuillaumic, le fin matelot, ont si bien incarné en eux.

Et le mot du sauveteur de l’île de Batz, enfindécoré.

Le commissaire de marine lefélicitait :

– Oh ! monsieur le commissaire, il n’y apas tant de mérite qu’on croit.

Ça ne serait pas être marin que d’avoir lecourage de voir des gens se noyer sans chercher à lessauver !

Et mon ami Larher !

Je n’ai pas le courage de lui en vouloir, maisenfin, j’en aurais le droit.

Nous partons, dans une voiture traînée pardeux chevaux, et je m’aperçois que le cocher frappait un cheval,jamais l’autre.

J’en fis l’observation.

– Oh ! me dit Larher en riant, on nefrappe pas l’autre, parce qu’il a été mis à la réforme, vu qu’il aun sale caractère.

» Et, comme il n’y a que huit jours qu’onl’attelle, il n’a pas encore l’habitude.

» Hier encore, il a fait un accident.

» On le ménage, parce queMme Larher est dans la voiture…

» Sans ça…

Nous côtoyions, en ce moment, un précipicedans la montagne d’Auray, entre Huelyoët et Saint-Herbot.

Est-ce assez breton ? Vous me direz desmarins !

Mais Larher n’est pas marin, il est marchandde vins en gros.

Voulez-vous un notaire ?

Je vous présente M. Sutin.

Un vrai notaire.

Rien d’héroïque dans l’allure.

Et âgé.

– Comment, Monsieur Sutin, vous sortez par unvent pareil ?

– Je me f… iche du vent.

Et il sort.

C’est dans le sang breton.

Et Mme JosèpheBelles ?

Elle se jette à l’eau et sauve un baigneurimprudent au grand péril de ses jours ; l’autre secramponnait.

– Comment, vous, Madame Belles, avec troisenfants en bas âge, vous vous risquez comme ça ?

– Pas pensé aux petits.

» L’homme criait…

» Et puis, fallait bien y aller, il n’y avaitque moi sur la plage.

Toute la Bretagne simplement, prosaïquement,mais originalement héroïque tient dans ces trois exemples.

Et les différences de courage s’affirmèrentdans le duel.

L’on sait qu’il y avait un hall dans ceshôtels polaires, avec différentes salles sur les côtés, notammentsalle d’escrime avec panoplies.

Mlle de Rastignac pritcomme témoin Mme Castarel etMme Désandré qui fut chargée de diriger lecombat ; Mlle de Pelhouer fut assistéepar les deux Taki.

On choisit les épées.

La petite comtesse avait fait de tous lessports, y compris l’escrime.

Toutes les chances semblaient être pourelle ; mais on s’exagère beaucoup ces chances des bons tireursde salles d’armes.

Et, après tant d’exemples célèbres, on le vitcette fois encore.

Mlle de Rastignac sebattit comme en jouant, Mlle de Pelhouër serua sur son adversaire en vraie sauvage.

L’engagement fut très court.

Sur un coup droit bizarre, inattendu, endehors de toute règle, Mlle de Rastignac tombala poitrine traversée.

Et elle mourut en disant :

– Quel coup de bec !

En ce moment, M. d’Ussonville revenait dela chasse.

Il vit la morte !

Il s’emporta.

Il dit de dures choses àMlle de Pelhouër.

Celle ci ne répondit pas et se retira.

Une heure après, avec les deux Taki, saNadali, Bois-Brûlé, Francœur et Langue-de-Fer comme guides, ellequittait l’hôtel en traîneaux, résolue à regagner intrépidementWinipeg et delà New-York, puis la France.

Un hardi voyage, comme on se l’imaginerafacilement.

Dénouement fatal, comme je l’ai écrit.

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